Un Requiem pour ne pas oublier et pour que vive la liberté !
Il est des moments musicaux qui sont inclassables et ce Requiem de Verdi, donné à Saint-Sulpice le 13 Novembre, est un de ceux qui resteront dans les mémoires. Ainsi le très long silence qui a terminé le Requiem représente le plus bel hommage et les plus belles minutes de silence possibles. Et le public incrédule d’abord puis silencieux, a finalement applaudi généreusement un tel moment de grâce. Car comment parler d’un concert si porteur d’émotion sans le dénaturer ? Hugues Reiner a porté ce projet avec toute sa générosité, invitant l’association Live for Paris à l’événement commémoratif des tueries du 13 Novembre 2015. Il y a eu beaucoup d’émotions dans la vaste église malgré le froid et l’acoustique difficile. Il faut dire que dès le concerto de trompette de Marcello qui ouvrait le concert, Guy Touvron après son vibrant hommage à son collègue et ami avait donné le ton : La musique vivante console de la mort comme rien d’autre. Le vaste Requiem de Verdi est composé à l’envers. Car la fin : le Libera Me de la soprano, est la pièce composée en premier pour un Requiem d’hommage à Rossini qui n’a jamais vu le jour. Verdi chantre de l’opéra ne pouvait décevoir et a composé avec ce Requiem une grande fresque opératique donnant un relief particulier à la Doxa chrétienne ; car s’il suit le texte latin il est peu de dire qu’il lui donne une vigueur incroyable avec des accents terribles ou touchants et de vastes phrases en gestes vocaux quasi surnaturels. Le quatuor de solistes est utilisé comme dans un opéra. C’est la soprano qui est la plus exposée mais personne n’est secondaire. La soprano Blerta Zhegu est remarquable de sureté d’émission et de beauté de ligne vocale. L’homogénéité de la voix lui donne de l’autorité comme une grande tendresse. Elle a remplacé au pied levé Isabelle Ange malade en apprenant sa partie en moins de six jours ! Guillemette Laurens faisait là une prise de rôle attendue en mezzo. En effet la Grande Diva sombre du baroque pour fêter ses 47 ans de carrière osait une entrée dans le répertoire romantique qu’elle affectionne tant. Son timbre prenant, sa diction faite drame et ses phrases ciselées, avec de grands contrastes, ont fait merveille. Dans toute sa partie, que ce soit en solo, en duo, trio ou quatuor elle apporte une diction vivifiante et un sens de la fusion des timbres dignes de l’extraordinaire madrigaliste qu’elle est. Le ténor Joachim Bresson avec un engagement très émouvant a chanté avec une grande musicalité ; quand d’aucuns ne sont que voix large, lui nuance et phrase délicatement sa partie. La voix au grain noble permet de porter loin une émotion non feinte. Il est bien rare de voir un artiste vivre si intensément ce qu’il chante. La basse Robert Jezierski apporte beaucoup de force et de stabilité avec un art du chant verdien bien maîtrisé. L’accord entre les voix des quatre chanteurs a été remarquable avec la constante recherche d’un bel équilibre. Il faut dire que le travail sur les parties solistes avec Hugues Reiner, semble particulièrement abouti. Bien souvent des choses très fines ont été perceptibles qui sont souvent noyées dans les décibels et qui ce soir ont livré la quintessence de l’art vocal de Giuseppe Verdi. L’orchestre et le chœur, tous très engagés, ont parfaitement été à la hauteur de l’événement. Et la direction souple et digne d’Hugues Reiner a magistralement fait avancer le drame sans jamais rien lâcher. Tempi élégants, articulations fines des chœurs, belles couleurs orchestrales, excellent dosage des nuances entre tous, son Requiem de Verdi est un grand opéra construit dans une dramaturgie assumée. Le début pianissimo fantomatique, les fresques chorales, les trompettes spacialisées de la terreur du Dies Irae, comme la tendresse de l’Agnus Dei ont emporté le public dans les émotions contrastées attendues.
Et ces minutes de silence finales en hommage aux morts de Novembre 2015 resteront comme un moment de magie de la vie. Voila un magnifique Requiem porté par des musiciens engagés totalement dans la dramaturgie sublime de Verdi. Cela méritait bien le voyage à Paris !
Compte-rendu Concert. Paris. Eglise Saint-Sulpice, le 13 Novembre 2019. Benedetto Giacomo Marcello ( 1686-1739) : concerto pour trompette en ré mineur ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : Requiem. Blerta Zhegu, soprano ; Guillemette Laurens, mezzo-soprano ; Joachim Bresson, ténor ; Robert Jezierski, basse ; Guy Touvron, trompette ; Euromusic Symphonic Orchestra. Choeur International Hugues Reiner. Hugues Reiner, direction.
lien vers l’association Live for Paris
lien vers le Choeur Hugues Reiner