Voici encore de belles trouvailles issues du foisonnement de la rentrée littéraire. Des livres intimes, universels ou encore de beaux portraits qui captivent et font réfléchir.
Frida, l’amoureuse
Son visage, devenu célèbre, apparaît sur des tasses, des t-shirts, des porte-clés, des cartes postales, Frida Kahlo est partout. Mais qui est cette femme au regard noir ? Cette silhouette rieuse, colorée et énigmatique. Claire Berest perce un peu plus le secret de l’artiste mexicaine dans un roman passionnant. Rien n’est noir, est le récit d’une vie bouleversée et bouleversante. Frida Kahlo y apparaît plus naturelle que jamais, parlant et se mouvant avec une élégance et une intelligence hors du commun. Ceci est possible grâce au regard bienveillant de Claire Berest. Nul doute que l’écrivaine s’est fortement documentée, s’est imprégnée de l’aura de Frida Kahlo et a puisé dans l’admiration que son personnage lui procure pour ne faire qu’un avec son sujet. Qui parle ? Frida ? Claire ? Peu importe, les phrases sont justes, le rythme s’accélère et ralentit en fonction des épisodes et on parcourt la vie de Frida Kahlo comme un voyage initiatique dont on ressortira enrichi et heureux. Un roman à ne pas lâcher et qui donnera de la couleur au quotidien.
Lire l’interview accordé par Claire Berest à propos de Rien n’est noir ici.
Claire Berest, Rien n’est noir, Stock, 250 p.
Aimer par-dessus tout
Loulou Robert a définitivement trouvé sa place dans la littérature française en scrutant les émotions intimes. L’amour, la passion, la rage, la jalousie, tels sont les thèmes que l’on retrouve dans ses romans et le dernier ne fait pas exception. Dans Je l’aime, une femme – un alter ego, plus âgé ? – doute et s’ennuie. Jusqu’au jour où elle rencontre M. Mystérieux, charismatique, inaccessible, M devient un sujet d’obsession, l’homme nécessaire, celui qui changera la vie, lui donnera de la valeur. Une histoire débute, intense, folle, ravageuse. Surtout pour la narratrice qui centre son monde autour de cet homme. Amoureuse, groupie, dépendante, elle place son bonheur entre les mains de celui qu’elle idolâtre. Mais jusqu’où est-elle prête à aller pour vivre cet amour ?
On retrouve ici l’écriture nerveuse de Loulou Robert, celle qui avait déjà fait le succès de Bianca, son premier roman. Le phrasé est haché comme une respiration au souffle court. Chaque mot trouve sa place pour définir les contours d’une passion, les frontières d’une existence et finalement peindre le portrait d’une vie qui se règle.
Loulou Robert, Je l’aime, Julliard, 270 p.
Confessions intimes
Difficile d’être insensible au dernier roman d’Emma Becker et à son sujet : la prostitution. La Maison raconte l’expérience de l’auteur dans une maison close en Allemagne. Curiosité, objet d’étude, Emma Becker décide d’infiltrer cet univers à part pour en raconter son sentiment. Bienvenue dans un monde méconnu où Emma Becker raconte tout, les clients aussi différents que complexes et les filles aussi légères que tourmentées, torturées, intelligentes et souvent très drôles. La Maison a ses règles, ses codes, son quotidien tout tracé où personne ne s’étonne de rien. C’est dehors que le monde interpelle et questionne, ici, tout semble contenu, rassurant ? En tout cas, c’est la version que nous trouvons dans ces pages écrites avec beaucoup de finesse, d’honnêteté et un minimum d’interdit. Car comme le précise l’auteur « il était hors de question que je ponde un bouquin naïf ou misérabiliste ou pis, un bouquin qui n’aurait effleuré qu’une facette de ce travail. »
Le lecteur sera secoué et passera par plusieurs émotions mais ne sortira pas indemne de cette lecture. Après tout, c’est le rôle de la littérature !
Emma Becker, La Maison, Flammarion, 384 p.
Le procès d’une infamie
Karine Tuil se saisit également d’un sujet très difficile, le viol. Inspiré d’un fait réel, elle se plonge dans l’autopsie d’une famille qui part à la dérive. Jean, célèbre journaliste politique rencontre Claire, jeune essayiste féministe extrêmement douée. Ils se marient, deviennent un couple très influent et ont un fils, Alexandre. Quelques années passent et, un jour, Claire tombe sous le charme d’un autre homme. Elle quitte Jean, lui aussi, très ambivalent dans ses relations intimes et sociales. Claire s’installe avec Adam Wizman, son nouveau compagnon qui a deux filles, dont Mila. Jusque-là rien d’anormal. Mais un soir, Alexandre, revenu des Etats-Unis pour les vacances, se rend à une soirée et est contraint d’amener avec lui la timide Mila.
Le lendemain, c’est la douche froide. Alexandre est convoqué par la police. Une plainte pour viol a été déposée à son encontre. Que s’est-il passé dans la soirée ? Alexandre se rappelle avoir bu, fumé et avoir emmené Mila dans un local à poubelle. Pour fumer en cachette. Que s’est-il réellement déroulé ensuite ?
Deux versions vont se superposer, mais qui dit la vérité ? Karine Tuil dresse le portrait d’un fait divers devenu une catastrophe où personne ne sort indemne. Un roman pas facile à lire mais écrit avec objectivité et clairvoyance.
Karine Tuil, Les choses humaines, Gallimard, 352 p.
Un bal singulier
Un premier roman a fait forte impression en cette rentrée littéraire et il est signé Victoria Mas. L’histoire est originale et sublime, celle d’un bal des folles. Mais pas seulement, Victoria Mas questionne sur la folie et sur la délimitation floue qui sépare les humains, d’un côté ceux dits « normaux » et de l’autre « les fous ». L’histoire se déroule à la fin du XIXème siècle entre les murs de la Salpetrière. Un nom célèbre revient souvent, celui de Charcot. En effet, le médecin est un vrai héros, une star dans cet hôpital. Dévoué à la folie, il tente de nombreuses expériences afin de guérir celle-ci. Enfin, ce que les institutions d’alors appelaient folie. Car Louise est-elle vraiment folle ? Cette jeune fille semble au contraire complètement normale, à l’exception près qu’elle entend et voit les défunts. Elle tait ce secret, consciente que cela pourrait lui causer des ennuis dans une famille où seul le rationnel compte. Mais, un jour, c’est plus fort qu’elle, elle en parle à sa grand-mère, persuadée que l’aïeule qu’elle aime tant saura la protéger. Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’a pas de don de voyance, car la vieille femme, apeurée, en parle aussitôt à son fils. Et le destin d’Eugénie s’écroule. A son insu, elle est conduite à l’hôpital psychiatrique. Le père ne veut plus rien savoir d’elle.
Geneviève qui travaille dans l’hôpital depuis très longtemps se rend compte instantanément que la nouvelle arrivante est différente. Mais lorsqu’elle abordera Eugénie, elle le regrettera amèrement, car la jeune fille lui transmet un message de sa défunte sœur : seule Geneviève pourra l’aider à sortir de l’hôpital. Dès lors une relation se tisse entre les deux femmes et l’intrigue devient captivante.
Victoria Mas nous fait déambuler dans les couloirs d’un hôpital célèbre, nous fait entrer dans le cerveau de ces femmes – car ce sont toutes des femmes – et nous relève de terribles vérités sur la condition des femmes de cette époque. Un roman passionnant, agréable à lire, et avec des personnages très attachants. Incontestablement un premier roman qui mérite l’engouement qu’il suscite.
Victoria Mas, Le bal des folles, Albin Michel, 256 p.
Quelques rendez-vous du mois…
6/11 – Louis-Philippe Dalembert, Mur méditerranée, Sabine Wespieser, Ombres Blanches, 18h. 6/11 – Amélie Nothomb, Soif, Albin Michel, Fnac. 8-10/11 – Foire du livre de Brive (en présence de nombreux auteurs) Programme ici. 9/11 – Michel Dieuzaide et Christian Authier, Toulouse insolite, Ombres Blanches, 18h. 9/11 – Maxime Chattam, Un(e) secte, Albin Michel, Librairie de la Renaissance, 14h. 12/11 – Jean-Philippe Toussaint, La clé usb, Minuit, Ombres Blanches, 18h. 16/11 – Aurélien Bellanger, Le continent de la douceur, Gallimard, Ombres Blanches, 16h. 22/11 – Brigitte Giraud, Jour de courage, Flammarion, L’autre rive, 19h. 22/11 – Éric Neuhoff, (Très) cher cinéma français, Albin Michel, Privat. 18-1/12 – Festival Lettres d’automnes à Montauban. Programme ici |
Photo : Victoria Mas © Astrid di Crollalanza