Il ne vous reste plus que quelques jours pour aller à la Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine rue du Périgord à Toulouse (1) vous « rincer l’œil », comme disait mon cher Léo Ferré, avec une superbe exposition autour des Quatrains d´Omar Khayyam (2), présentée par Audrey Bonniot, responsable du Patrimoine écrit, et Manijeh Nouri, présidente de l’association Ariana, regards persans.
Elles ont souhaité confronter et mettre en écho une double production picturale ayant pour inspiration le poète Omar Khayyam, elles ont donné à voir non seulement des éditions patrimoniales du poète persan, mais aussi en correspondance des illustrations de ses poèmes par deux artistes qu’il a inspiré, Hossein Behzad et Edmond Dulac.
Le peintre toulousain Edmond Dulac (ou Edmund Dulac, 1882-1953), a illustré une édition des quatrains d’Omar Khayyam de 1901, alors qu’Hossein Behzad (1894-1968), peintre iranien originaire du Khorassan, s’est inspiré de ce même poète pour produire une série de miniatures en 1943.
Pour tous les amateurs de Poésie, Omar Khayyam (c.1048 Nichapour,Iran-c.1131 Nichapour) est un phare.
Enfant, j’ai découvert émerveillé, au fond de la bibliothèque de ma grand-mère, ses poèmes dans une petite édition de 1925, avec des traductions de Fanz Toussaint et des illustrations de Paul Zenker.
Quelques vers sont restés dans ma mémoire :
Bois du vin, car tu ne sais d’où tu es venu.
Réjouis-toi, car tu ne sais où tu vas.
[90]
Bois du vin car ce vin, c´est la vie éternelle,
C´est ce qui reste en toi de la jeune étincelle :
Comme le feu brûlant, il change les chagrins
En une eau généreuse et vitale, nouvelle.
[88]
Debout ! Sers le remède au cœur lassé, morose.
Verse le vin musqué, le vin de couleur rose,
Antidote puissant à tristesse, à chagrin :
Donne le vin, rubis, et le luth, virtuose.
J’ai appris plus tard (à la Bibliothèque d’Etudes et du Patrimoine justement) que Khayyam était un homme brillant, excellant aussi en philosophie, en mathématiques et en astronomie. Mais sa popularité en Occident est surtout due à ses Robbayat, quatrains parfois désabusés où il chante la vie, les femmes, le vin. Cela lui a valu d’ailleurs quelques problèmes avec des dignitaires religieux car le vin n’est pas la boisson privilégiée par le Coran.
La première traduction des Robbayat est due à Edward Fitzgerald en 1850. On dit que Marguerite Yourcenar était fascinée par deux personnages historiques : l’empereur Hadrien et Omar Khayyam; mais n’ayant pas le temps matériel de se consacrer aux deux, elle opta finalement pour la célèbre biographie d’Hadrien. On peut toutefois découvrir la vie de Khayyam et la quête du manuscrit des Robbayat dans le beau roman d’Amin Maalouf intitulé Samarcande.
Mais revenons à l’exposition.
En regard du texte en persan figure sa traduction en français bien sûr, mais aussi en occitan: excellente initiative tant les liens entre la poésie des troubadours et la poésie persane ont été nombreux.
L’art des Troubadours était une alchimie qui associait les influences venues d’Orient à celles des cultures « celtes » qui faisaient déjà partie de leur patrimoine. Le rayonnement culturel de la Grande Méditerranée, Madre Meditterania, s’étendait alors jusqu’à l’Inde du Nord à la Scandinavie. Et comme l’a si bien montré René Nelli, les Occitans, au XIIe siècle, s’inspirèrent de l’Andalousie arabo-andalouse, débordante de créativité, pour créer leur nouvelle expression poétique et musicale. Liée au soufisme, la philosophie musulmane née de la rencontre des Arabes avec les Persans, prônait la tolérance, l’humilité, la libre-pensée, la vénération de l’amour, des arts et des sciences (tout ce que la croisade contre les Albigeois s’acharna à détruire).
Dans ces deux traditions, on considérait les poètes comme les fleurons de la culture (autre temps, autres moeurs…).
D’où un dialogue entre ces deux civilisations qui n’est pas tout à fait rompu puisqu’au début des années soixante-dix, Djamchid Chemirani, le maître du zarb iranien, est venu s’installer en France, collaborant par exemple avec René Clemencic, spécialiste de notre musique médiévale. Rien d’étonnant à ce que les poésies des troubadours et leurs musiques rappellent tant à un maître de musique persane les poésies et les musiques de sa culture.
La vie passe mystérieuse caravane,
Dérobe-lui sa minute de joie!
Porte-coupe, pourquoi t’attrister sur le lendemain de tes compagnons?
Verse du vin… La nuit s’écoule…
D’autre part, en s’abimant dans la contemplation des illustrations des deux artistes, on a aussi l’impression de se trouver devant un travail d’enluminure médiévale occidentale (La Cité des Dames, les Très riches heures du Duc de Berry), ou arabe (Les Makamat de Hariri).
Nul, parmi ceux qui ont intérrogé le noir mystère,
N’a fait un pas hors du cercle de l’ombre.
Ô femme, quelle bouche sinistrement muette as-tu baisée
Que tu nous ai tous créés silencieux et impuissants?
Enfin, pendant ma visite de l’exposition, me sont aussi revenus à l’oreille deux beaux enregistrements du duo Bab El Khorassan avec Hamid Khezri (dotâr/chant) et Caroline Dufau (chant) qui refaisait le pont entre la Perse et l’Occitanie :
Ab la dolcor(Guillaume IX d’Aquitaine, XIesiècle)
et Altas undas(Raimbaut de Vaqueiras – XIIesiècle)
Si le coeur vous en dit, il vous reste jusqu’au 16 novembre pour profiter de la vue de ces trésors.
Et 2 visites guidées vous sont proposées par Dame Manijeh Nouri, de l’association Ariana, regards persans, les Mardi 5 novembre 18h-19h et Jeudi 7 novembre 18h-19h (3).
Ne vous en privez pas.
Ni de lire ou relire Omar Khayyam :
[100]
Hier, j´ai mis ma lèvre aux lèvres de la jarre,
Pour savoir si le temps me serait large ou rare.
Ses lèvres sur ma lèvre, elle m´a répondu :
« Bois du vin, car la mort est une mer sans phare.
[158]
Le Ramadân finit, c´est la saison des fêtes,
Saison des beaux diseurs de légendes bien faites,
Des bons marchands de rêve, amis porteurs de vin…
Enivrez-vous, cœurs las, de jeûne et de retraites.
PS.Dans le cadre de l’exposition « Omar Khayyam, au regard de peintres du XXe siècle de Toulouse à Khorassan » du 1er octobre au 16 novembre 2019 à la Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine, une rencontre-signature aura lieu le dernier jour de l’exposition, samedi 16 novembre de 17h à 19h en salle Patrimoine avec l’écrivain franco-iranien Hamèd Fouladvind pour la sortie de son dernier livre en persan et en français « Du côté de chez Khayyam. Nihilisme et fatalisme dionysiaque au temps des Assassins » publié aux éditions Behjat & Shoma en 2019 et en présence de l’éditeur.
Pour en savoir plus :
- Bibliothèque d’Etude et du Patrimoine, 1 rue de Périgord 31000 Toulouse
- Omar Khayyam, dont le nom signifie « vendeur de tentes », du métier de son père, est né en 1048 à Nichapour (actuellement en Iran). Sa vie est indissociable des mouvements qui agitent alors le Moyen-Orient, entre instauration de la religion musulmane et domination des seldjoukes turcs. Après des études dans sa ville natale, Khayyam passe de nombreuses années à Samarcande sous la protection de Abou Tahir, qui est alors administrateur de la ville. Il y écrit notamment un important traité d’algèbre. A l’invitation de Malik Shah, troisième sultan de la dynastie des Seldjoukes, et de son vizir Nissan El Molk, il se rend à Ispahan, qui est alors la capitale du royaume. Il y fait construire un gigantesque observatoire, à partir duquel il mesure la longueur d’une année. Khayyam trouve qu’une année fait 365,24219858156 jours. C’est une mesure d’une incroyable précision! On sait désormais que la longueur d’une année change au niveau de la sixième décimale durant une vie humaine, et à titre de comparaison, la longueur d’une année à la fin du XIXè était 365,242190 jours. A la suite de cette mesure, une réforme du calendrier fut adoptée dans le royaume seldjouke, comme ce fut le cas cinq siècles plus tard en Europe à l’instigation du pape Grégoire. Après la mort en 1092 de ses protecteurs, Nissan el Molk d’abord, puis un mois plus tard le sultan, Khayyam tombe en disgrâce à la cour et sa vie se fait moins sereine. En 1118, il quitte Ispahan pour passer quelques mois à Merv (cité située au Turkmenistan), puis il va terminer ses jours dans sa ville natale. Une des difficultés de son premier traducteur Fitzgerald fut de distinguer le vrai du faux, car plus de 1000 poèmes sont attribués à Khayyam. Fitzgerald en retint 170, et sa traduction est aussi considérée comme un des chefs d’œuvre de la littérature anglo-saxonne.
- visites guidées Mardi 5 novembre 18h-19h et Jeudi 7 novembre 18h-19h. Inscriptions sur réservation au 05 62 27 66 66 (accueil de la bibliothèque d’Etude et du Patrimoine)