La plus grande collection d’œuvres au monde d’un peintre vivant Pierre Soulages fait une place à une très belle rétrospective d’un peintre, disparu brutalement à 34 ans, fasciné par le monochrome, Yves Klein et son IKB, bleu outremer
On ne pouvait espérer un meilleur endroit que ce Musée Soulages qui a vu le jour il y a peu dans une grosse bourgade aveyronnaise, Rodez, plus connue alors par sa stupéfiante cathédrale. L’architecture du Musée est une réussite. Il héberge deux donations exceptionnelles du peintre Pierre Soulages et de son épouse Colette. Et, cerise sur le gâteau, la salle vouée aux expositions temporaires accueille en ce moment dans une scénographie idéale un ensemble d’œuvres résumant la diversité du travail de ce peintre en éruption permanente d’idées, certaines extravagantes comme les néoréalistes ont su en créer, et les réaliser. C’est encore jusqu’au 3 novembre.
La présentation des œuvres de Pierre Soulages n’étant pas le but de cet article, sachez tout de même que si vous voulez comprendre tout l’intérêt que comporte les vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, vous vous devez de passer par là auparavant pour suivre la complexité des travaux qui ont amené à une telle réalisation et présentés en documents. Sans parler de la mise en évidence remarquable de toutes les facettes du travail de l’artiste centenaire sous peu.
Mais, disons quelques mots de ce peintre à la vie relativement courte comme hélas de si nombreux artistes avant lui. Il fait partie de ce mouvement puissant et international, les Nouveaux Réalistes, qui parlait de l’homme dans cette nouvelle nature, créée par lui, urbaine et médiatique, cette nature revendiquée par l’immense Andy Warhol. On y retrouve, Arman, César, Villeglé, Hains, Rotella, Dufrêne, Deschamps, Christo, Spoerri, Raysse, Tinguely, Niki de Saint Phalle. La démarche originale du Nouveau réalisme est parfaitement illustrée par chacun et, bien sûr, par Yves le monochrome. Une démarche se situant d’abord par rapport au support. En effet, celui-ci n’est plus une surface sur laquelle le peintre intervient mais c’est ce qui l’entoure, le monde lui-même, qui se fait support. Ainsi, c’est le choix que peut en faire l’artiste qui va lui donner son statut d’œuvre d’art. Le geste quant à lui est primordial : il n’est plus pictural mais c’est un geste d’appropriation décidé par l’artiste.
« Un jour, un joueur de flûte se mit à jouer qu’une seule et unique note l’étirant en longueur. Au bout de vingt ans, lorsque sa femme lui fit remarquer que les autres joueurs de flûte produisaient tous plusieurs notes harmonieuses et des mélodies, et que cela était tout de même plus varié, le joueur de flûte mono-ton répondit que ce n’était pas sa faute s’il avait déjà trouvé la note que tous les autres cherchaient encore. » Cette vieille histoire persane est la réponse que donnait Yves Klein à la question souvent posée de savoir ce que signifiait “Yves le monochrome“. Cette métaphore, il la réalisa tout au long de son travail de peintre, recherchant une correspondance intime entre la couleur et notre sensibilité humaine. Fascinante ou irritante, la couleur est un médium sensoriel universel: elle imprègne l’homme. Klein l’incombe d’une valeur spirituelle.
La ligne court vers l’infini, tandis que la couleur, elle, “est“ dans l’infini disait celui qui devina quelle était la couleur de la terre : bleue comme une orange…
Le moulage présenté, en plâtre et peint en bleu IKB, est celui de son ami Marcel Raysse, et il est monté sur un fond doré. Le bleu outremer semble repousser l’or, électrisant ce portrait d’une aura magique. Cette momification sublime de Raysse offre une présence intemporelle de l’artiste qui devient immortel : Ecce Homo.
Quand on pense, Yves Klein, tout de suite, le cerveau s’inonde de bleu, le fameux IKB, International Klein Blue, le bleu outremer, dont le pigment est déposé comme tel à l’Institut national de la propriété industrielle dès 1960. Mais il n’y a pas que du bleu même si ce bleu envahit tout l’espace. À travers la réflexion de sa trilogie des couleurs, “Yves le monochrome“ identifie le chemin d’une synthèse universelle. En effet, si le bleu symbolise le spirituel, l’or, l’absolu, le rouge, la vie, l’union des trois inscrit l’homme dans une fusion méditative avec l’univers dont il se fait le guide par sa perception sensible.
Les anthropométries, dont le terme est né sous la plume de son ami Pierre Restany (Anthropos : homme, Métrie, mesure) définissent bien une mesure du vivant. Sorte d’écritures immatérielles, elles ne font plus appel au pinceau, mais à des corps enduits de peinture, le bleu IKB, corps qui se figent sur des papiers, ou bien peuvent s’animer en un étrange ballet orchestré avec minutie par un peintre qui ne peint pas ! on est dans la performance, certains travaux étant réalisé au milieu du public ! Mais “le maître du ciel“, tel qu’il se qualifie, après s’être approprié la vie par la peinture, imprimera ensuite la trace humaine par des flammes. Il sera rejoint plus tard par un adepte du pinceau abandonné, lui aussi remplacé par des flammes avec Jean-Paul Marcheschi. Sachons qu’à ses débuts, Klein a aussi utilisé le roulor et bien sûr les éponges « naturelles ».
Quelques mots sur celui qui héberge “Yves le monochrome“ : Pierre Soulages. Né en 1919 à Rodez, ville qui se prépare à lui fêter un vibrant anniversaire, il étudie aux Beaux-Arts de Montpellier. Il s’installe à Paris en 1946. Il se fait remarquer dès sa première exposition personnelle qui a lieu en 1949 à la galerie Lydia Conti. Deux ans plus tard, il entre à la galerie Louis Carré. Réfractaire à toute influence, Soulages affirme son style, et inscrit des signes puissants et sombres oscillant entre le brou de noix et le noir le plus dense. Dès ses débuts, il va montrer les possibilités qu’offre le noir pour capter ce qui paraît être son antithèse, la lumière. La vision de l’artiste entraîne alors une nouvelle structure plastique du tableau où le tracé du signe dans l’espace désigné est essentiel. Ayant fait ainsi du noir SA couleur exclusive et de la ligne son principal moyen d’expression, le peintre recourt bientôt au couteau et à la spatule qui remplacent le pinceau. C’est ainsi qu’écrasé par le large outil, la matière devient forme.
À partir de 1979, la plupart des tableaux seront tout entiers plongés dans le noir. Il travaille alors de plus en plus dans la texture et sa variabilité dans les épaisseurs d’un noir ivoire, soit en l’étalant à la brosse pour creuser des stries, soit en l’écrasant avec une large lame. Il compose par registre de matière apparaissant fibreuse ou lustrée, dans l’alternance ou l’opposition de leurs rythmes différenciés. C’est ainsi qu’en regardant certaines toiles d’un noir absolu, ou s’aperçoit que la lumière émane de la matière et la déborde pour venir jusqu’à l’observateur. (petite vidéo). Pierre Encrevé, l’un de ses proches maintenant disparu, écrira à ce propos : « Non monochrome, il s’agit d’une peinture monopigmentaire déployant toute sa polyvalence chromatique au gré des variations de la lumière et des déplacements du regard. »
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Musée Soulages Rodez
jusqu’au 03 novembre 2019