COMPTE-RENDU, concert. La Roque d’Anthéron, le 8 août 2019. RACHMANINOV. L. Geniusas. Varvara. Orch Tatarstan. A. Sladkosky.
Les nuits du piano à La Roque sont toujours un événement car deux concerts se suivent. Dans un but de jouer « tout russe », en l’honneur de Rachmaninov, la soirée a été organisée avec un orchestre, un chef et deux pianistes russes. L’ Orchestre national symphonique du Tatarstan et son chef titulaire ont animé toute la soirée avec beaucoup d’énergie comme de puissance. Débutant le concert par le concerto le plus célèbre, le n°2, le jeune Lukas Geniusas, 29 ans, a d’emblée mis la barre très haut avec une introduction richement timbrée et un crescendo savamment organisé. Las, le chef avait décidé de lâcher toute la puissance de son orchestre, comme pour faire ses preuves. L’effet a été de noyer le soliste, sans pour autant mettre en valeur son orchestre. Il a fallu attendre le deuxième mouvement pour que le soliste et l’orchestre, sans trop d’interventions du chef, organisent un beau dialogue musical. Dommage car les sonorités de l’orchestre sont naturellement belles, il n’est pas besoin de forcer les choses.
Chef exacerbé, pianistes plus musiciens …
Nuit Rachmaninov sacrément russe !
Ce sont les forte trop appuyés qui dénaturent le son trop cuivré, et mettent en difficulté le soliste. Le final grâce à l’intelligence de jeu de Lukas Geniusas a gardé l’équilibre presque intact, trouvé dans le deuxième mouvement plus chambriste. Mais comment Alexander Sladkosky peut-il se laisser aller à hurler les phrases qu’il veut mieux entendre ? S’oublier en tapant du pied ? J’aime mieux les chefs qui savent obtenir autrement ce qu’ils souhaitent… Le jeu de Lukas Geniusas a dû être athlétique et les moyens pianistiques énormes. Mais sa musicalité se déploie bien d’avantage dans les échanges chambristes subtils, les phrasés amplement développés, les nuances finement amenées. Cela a pu être présent dans un deuxième mouvement qui restera un merveilleux souvenir sous le ciel en train de s’étoiler et dans le bis, un prélude en sol de Desyatnikov, dans lequel sa fine musicalité a pu rayonner.
Le poème symphonique « L’ île des morts » d’après le tableau de Böcklin permet à l’orchestre de briller par des qualités de timbres et d’interventions subtiles. L’orchestre a été vraiment superbe mais dans sa manière de s’adresser à l’orchestre Alexander Sladkosky a surtout adopté de la terreur et du grandiloquent. Toute une part de mystère et de rêverie a été noyée dans les forte et les phrasés appuyés. Ainsi préside une vision noire et terriblement écrasante de la mort. Ce soir cette île des morts a été île de terreur !
En deuxième partie de nuit la pianiste russe, Varvara, toute de grâce et de délicatesse entre en scène. Après la furie orchestrale de la première partie bien des spectateurs ont pâli pour elle. Mais la frêle apparence est bien trompeuse et la pianiste a imposé son jeu d’emblée, obtenant bien plus de musicalité de la part d’ Alexander Sladkosky. Le concerto n°4 a été totalement réussi avec une précision des attaques orchestrales bien venue et un jeu pianistique d’une rare subtilité. Ce concerto à la virtuosité magnifiquement rendue avec une grande musicalité par le jeu subtil de Varvara a été un beau moment.
C’est dans la Rhapsodie sur le thème de Paganini que l’entente entre l’orchestre et la soliste a été musicalement parfaite. Impossible d’établir un rapport de force entre l’orchestre et la soliste dans cette subtile musique de Rachmaninov. Les variations sont rythmiquement et harmoniquement inventives et Varvara a pu développer un jeu subtil, nuancé, plein de couleurs. Les instrumentistes ont pu dialoguer librement avec elle car Alexander Sladkosky n’a pas eu d’interventions trop envahissantes. Le succès de Varvara a été magnifique et le public a obtenu deux très beaux bis de Medtner ; ils nous ont régalés du jeu subtil de cette musicienne virtuose rare.
Il semble bien plus difficile de trouver un chef, qu’un bon orchestre ou d’extraordinaires pianistes à La Roque d’Antheron … En tout cas l’âme russe a soufflé ce soir, un peu contre les cigales, pour mettre en valeur le génie de Rachmaninov; certes il est russe d’origine mais a vécu aux États Unis et su très habilement mêler son tempérament à la musique américaine, en particulier au jazz. La Russie était à l’honneur cette année à la Roque d’ Anthéron.
Compte-rendu concert. La Roque d’Anthéron. Parc du Chateau de Florans, le 8 Août 2019. Serge Rachmaninov ( 1873-1943) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur Op.18 ; L’ile des morts Op.29 ; Concerto pour piano et orchestre n° 4 en sol mineur Op.40 ; Rhapsodie sur un thème de Paganini Op.43 ; Lukas Geniusas et Varvara, pianos ; Orchestre national du Tatarstan – Alexander Sladoksky, direction – Photos : © Christophe GREMIOT