Le 17 juin 2019, le Proviseur, les Enseignants et les Elèves du Collège Olympe de Gouges à Montauban ont souhaité honorer Don Antonio Machado, un des plus grands poètes espagnols du XXème siècle, en inaugurant une salle qui porte le nom de celui-ci, en partenariat avec l’Association Cervantes, Mémoires présentes, et la Fondation Machado de Collioure.
Ce qui était tout à fait de circonstance en cette du 80ème anniversaire de la Retirada, l’exil républicain espagnol en France, dont Machado a été l’une des nombreuses victimes.
Souvenez-vous de ces vers de Louis Aragon, dans Les Poètes :
Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d’Espagne Le ciel pour lui se fit plus lourd
Il s’assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours
Et de Paco Ibanez chantant superbement ses « Proverbios y cantares ».
Don Antonio Machado reste l’un des plus grands poètes du XXème siècle. Moins éclatante et audacieuse que celle de Lorca, mais empreinte d’une sagesse et d’une profondeur qui lui donne une portée égale à celle de Neruda l’Argentin, Pasolini l’Italien ou Nazim Hikmet le Turc, son œuvre interroge constamment les grands mystères de la vie humaine, dans une contemplation attentive des hommes et du monde.
Ce poète du romancero et de l’âpreté paysanne, de la copla populaire et savante, est mort en exil à Collioure, il y a 70 ans, loin sa terre natale qu’il a passionnément chantée. Sans doute, en franchissant à pied les Pyrénées, au bout de ses ailes exténuées, cet homme fier et libre pensait-il sans cesse à Soria, la petite ville du Nord de la Castille où il enseignait le Français, là où les terres nues et tristes sont « si tristes qu’elles ont une âme ». Et surtout à « ce patio de Séville, de ce clair jardin où mûrit le citronnier…, un huerto claro donde madura el limonero… » qui a vu son enfance.
Le franquisme l’en avait chassé.
Il fait partie des « Poètes du sacrifice » (vocable sous lequel les avait réunis leur compagnon Rafael Alberti) avec Lorca, tombé sous les balles phalangistes, et Miguel Hernandez, qui succomba à la tuberculose dans la prison Reformatorio d’Alicante, si magnifiquement chantés par Vicente Pradal. Habité d’une très haute idée de son pays, comme le philosophe et poète Miguel de Unamuno, viscéralement engagé aux côtés des combattants, défendant par l’esprit cette république légitiment élue contre les insurgés de Franco dit la Muerte soutenus militairement par les fascistes de Mussolini et les nazis d’Hitler, dans l’indifférence des gouvernements anglais et français, il est resté jusqu’au dernier moment à Madrid, puis à Valence, et il est parti, au milieu de son peuple souffrant et vaincu, dans le désespoir de l’exode, chercher refuge hors d’Espagne et mourir à Collioure le 22 février 1939.
Le poète y repose aujourd’hui et sur sa tombe une boîte aux lettres a été installée il y a quelques années par la Fondation Antonio Machado. Des milliers de lettres et poèmes sont recueillis tous les ans et font l’objet d’un archivage.
À l’instar de Collioure, une boîte aux lettres où chacun peut déposer un message a été inaugurée au collège Olympe de Gouges (une grande Dame trop en avance sur son temps qui a écrit la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne), à la porte de la salle qui porte désormais le nom du poète à Montauban, ce soir de juin 2019.
Cette très belle soirée a débuté par un chant choral et une lecture de poèmes par les élèves accompagnés par la chorale et des musiciens du collège sous la direction de Jérôme Abadie.
Devant un parterre de participants venus nombreux « sceller un pacte de fraternité avec l’Espagne », José Jorge, principal du collège a remercié les adolescents, les parents, les élus et les enseignants ainsi que les associations présentes : Miguel de Cervantès, Mémoires présentes, Fondation Antonio Machado, Présence de Manuel Azaña. Pour lui : « L’Espagne c’est une partie de Montauban, c’est une partie de Midi-Pyrénées, ça fait partie de notre identité, l’Espagne et la France c’est une amitié sans cesse renouvelée, il faut cultiver cette amitié car elle est gage d’un avenir plus serein pour tous. Ce sont les élèves qui ont choisi la Poésie en choisissant le nom d’Antonio Machado parmi ceux qui leur étaient proposés.»
Les représentants des associations et de la Fondation ont d’abord rappelé le contexte.
Monsieur Jean-Pierre Amalric de l’association Miguel de Cervantes (1) qui promeut la langue et la culture espagnole a rappelé avec émotion la grande silhouette du Poète.
Madame Marie-Paule Redon, de l’association Mémoires présentes (2), a rappelé les différentes formes de l’esclavage, depuis celui institutionnalisé en Afrique au XIXème siècle, en passant par les travailleurs forcés du Franquisme, jusqu’à celles d’aujourd’hui découlant de l’immigration clandestine en particulier.
La Señora Quèti Otero, pour la Fondation Machado (3), a présenté avec passion la belle personne et la pensée républicaine de celui que l’on surnommait El Bueno, le Bon, ainsi que le travail de mémoire remarquable de cette Fondation. Sans oublier le Prix international d’écriture des Lycéens attribué à une œuvre remarquable par sa volonté de partager le savoir dans la lignée universelle de l’esprit machadien.
Enfin le récital de Serge Lopez (4), guitariste virtuose, dont la musique est imprégnée de nombreuses nuances et parfums de la Méditerranée a conquis l’assistance.
Né à Casablanca, au Maroc, en 1958, c’est à Toulouse qu’il grandit dans une atmosphère musicale et un univers hispanique, se passionnant pour la guitare, dans un style plutôt électrique. A la maison, la musique est latine et l’identité espagnole et andalouse. Mais les sons électriques sont oubliés après deux années passées à Malaga où il découvre le flamenco.
Celui que l’on a vu aux côtés de Bernardo Sandoval, Mouss & Hakim, Francis Cabrel ou Nilda Fernandez (hélas disparu le 19 mai dernier à seulement 62 ans) etc. donne en solo toute la quintessence de son art.
Des différentes influences musicales qui l’ont nourries, alliées à une technique toujours travaillée, sont nées ses compositions personnelles d’une grande sensibilité qui échappent aux barrières d’un genre trop défini.
Il a joué et chanté à Montauban parmi celles-ci, Danzas del viento, Perfume, Carmino (qui je ne sais pas pourquoi m’a fait penser au grand Athualpa Yupanqui, Quisiera, La Luz de tu mirada, et Gracias a la vida de Violeta Parra (à qui Mercedes Sosa et Joan Baez ont rendu aussi hommage en chantant ce titre dans le monde entier) pour finir avec le Libertango d’Astor Piazzola.
Avec le duende qui l’habite, il fait vibrer son auditoire jusqu’au fond du cœur.
Cette belle soirée était une manière émouvante et chaleureuse d’évoquer Machado et les jours bleus qu’il aurait pu vivre à Collioure, comme il l’a écrit dans ses derniers vers, alors qu’il s’y mourait d’épuisement et de désespoir : « estos dias azule y este sol de la infancia, ces jours d’azur et ce soleil de l’enfance ».
Les Éditions Trabucaire viennent de publier, en collaboration avec la Fondation Antonio Machado, un livre événement qui retrace les derniers jours du poète dans ce port catalan, trois semaines après avoir passé la frontière avec le flot des réfugiés de Barcelone : Collioure… los días azules de Antonio Machado / Collioure… les jours bleus d’Antonio Machado (5)
N’oublions jamais Don Antonio Machado El Bueno qui nous a offert ses rêves bleus mais a été brutalement privé des jours bleus qu’il rêvait pour sa République espagnole assassinée, dans une répétition générale de la barbarie nazie qui a failli engloutir le monde ; et dont certains nostalgiques n’hésitent plus à afficher au grand jour les idées sales, profitant du découragement de désespérés sans mémoire.
Dans ce monde « menacé de tant de muselières » comme le disait mon cher Léo Ferré, il est vital de donner à entendre aux jeunes gens d’aujourd’hui la grande voix de Don Antonio Machado, en leur disant avec lui : « N’oubliez jamais que ce monde n’est pas viable si la force brutale au front de taureau est investie des pleins pouvoirs ».
Le 14 avril 2009 à l’Hôtel des Templiers de Collioure, j’ai écris ce poème que j’ai glissé dans la boite aux lettres de la tombe du poète dans le petit cimetière catalan :
CHER DON ANTONIO
Ne vous découvrez pas d’un fil
Les pluies tombent par mille en ce quatorze avril
Le soleil enfant capricieux
Joue à cache-cache avec ses amis nébuleux
La mer berce Collioure entre ses beaux bras bleus
À l’ombre du château
Où les commandos s’entraînent
La rue Antonio Machado
A revêtu son costume violet et sa cravate jaune
Le camélia a mis ses chaussures rouges
Homme bon et sage
Alors que le monde courait au naufrage
Dans ce port méditerranéen
Vous dûtes prendre sans livres et sans bagages
La nef qui jamais ne revient
Votre arbre surplombait les humaines futaies
Il fut écartelé violemment arraché
Ses racines en Castille et son tronc à Collioure
Mais votre source de jouvence offre toujours
Son ambroisie au Poète et au Révolté :
Viva la libertad !
Pour en savoir plus :
- http://www.cervantes82.fr/
- http://memoires-presentes.blogspot.com/
- machado-collioure.fr/ Médiathèque Antonio Machado Collioure 1 rue Jules Michelet 66190 Collioure 04 68 82 05 66
- http://www.sergelopez.com/
- https://www.trabucaire.com/171-collioure-les-jours-bleus-d-antonio-machado.. los días azules de Antonio Machado / Collioure… les jours bleus d’Antonio Machado.
Ouvrage dirigé par Serge Barba, avec les contributions de Monique Alonso, Soledad Arcas, José B. Boces Diago, Bastien Cases, Mercedes Cuesta, Georges Figuères, Jacques Issorel, Christian Lagarde,Oriol Ponsatí Murlà, Joëlle Santa Garcia et Verónica Sierra Blas. avec les traductions de Maite Barcons, Carmen Ponce Issorel, Marie Poricall Fontanell.
128 pages Bilingue français/espagnol Prix de vente 25,00 €