Dans une production ayant déjà fait ses preuves question décors et costumes et lumières et mise en scène, on retrouve l’opéra le plus émouvant de Jules Massenet à partir du 20 juin, au Théâtre du Capitole, jusqu’au 2 juillet. Lacrimosa dies illa.
Les Souffrances du jeune Werther seront assurées par Jean-François Borras, l’un des plus importants ténors de la jeune génération, doublure de Jonas Kaufmann au Met dans ce même rôle. Quant à Charlotte que tout embellit, glorifie, excuse, il faut une mezzo-soprano toute en émotion et détermination sans excès, le timbre requis conférant au personnage une intensité dramatique peu commune : c’est pour Karine Deshayes dont la magnifique carrière a pris son envol ici même. Ses qualités la conduisent dans des opéras de Mozart à Massenet en passant par Rossini, Meyerbeer, …mais aussi au récital et au concert.
Si l’opéra-comique de Massenet – il est désigné ainsi puisque donné sur la scène de cette salle parisienne – contribua à populariser davantage le roman de jeunesse de Goethe, il n’en reste pas moins vrai que l’œuvre jouissait déjà non seulement d’une juste renommée de par sa valeur intrinsèque mais encore certains la tenaient pour une des dates essentielles de l’histoire de la littérature européenne. Comme si, 1774, le coup de pistolet de Werther signait l’acte de naissance du romantisme. Le Sturm und Drang a trouvé son astre, son manifeste. On sait que la jeunesse d’Allemagne, et bien vite, celle d’Europe, fit de Werther son messager et son modèle, jusqu’à provoquer des suicides. Goethe se défendra d’ailleurs d’être assimilé à son héros.
Si l’élaboration du livret de l’opéra fut un épisode complexe, le roman de Goethe, dans une certaine mesure, est bien autobiographique. Lui-même choisit la fuite comme échappatoire. Pour son roman, il opte pour un dénouement beaucoup plus théâtral. Si on s’attarde un peu sur le héros, on remarquera que, ce dernier, aux traits à peine modifié par les librettistes, devient sous la plume du compositeur, un violent et un passionné fougueux rejetant souvent au loin la rêverie. C’est qu’il s’est écoulé plus d’un siècle de passion romantique entre le roman du poète et l’élaboration de l’opéra.
De Goethe à Schiller, lettre de 1797 : « Seule la musique peut amplifier, commenter et enrichir un drame, dont nous ne pouvons avec notre pauvre vocabulaire de poètes, qu’esquisser les contours. » Remarque : Werther a été créé à Vienne, en allemand, le 16 février 1892, à la demande d’Ernest Van Dyck, le plus grand ténor wagnérien de l’époque, alors qu’en France, sous prétexte d’Exposition Universelle, on préférait donner Esclarmonde du compositeur, opéra beaucoup plus riche en décors et costumes. À Paris, ce sera pour le 16 janvier 1893. Massenet a trouvé son ténor, justement repéré dans Esclarmonde : ce sera le ténor toulousain Guillaume Ibos, de renommée internationale, comme on dit. Il faudra dix années pour que Werther assoie sa réputation. Remarque, la création au Capitole eut lieu durant la saison 1892-93, dans la foulée de Paris …mais sans Ibos, né à Muret en 1860. La création fut qualifiée de prestigieuse et éclatante alors.
On a écrit que Werther était un long requiem, lacrimosa dies illa, jour plein de larmes que celui-là. Requiem à un jeune poète, s’achevant in paradisum : « C’est le chant de la délivrance, l’hymne de pardon redit par l’innocence ». Mais ce qui fait la poésie et la force unique de cette déploration, c’est qu’elle dédaigne le théâtre, théâtre auquel elle est pourtant destinée. Les larmes sont partout à l’intérieur de la musique, mais ne perturbent jamais une ligne de chant toujours simple et dépouillée, souvent tendre jusqu’à se rompre. Massenet, génie de l’effet théâtral, s’en est abstenu ici. Pas de théâtralité, mais une poésie douce et morbide d’autant plus passionnée qu’elle se censure, une fusion inouïe de l’élégiaque et du tragique. Vous l’avez compris, les larmes font partie intégrale de cet opéra. Elles coulent, coulent, non pas des sanglots mais de “patientes gouttes“ jusqu’à la bénédiction du héros sur sa tombe « d’une douce larme en son ombre tombée. »
Ainsi, Massenet nous livre des mélodies les plus libres, attendries, émues, vibrantes enfin. Tout en conférant à l’orchestre une participation intense s’appuyant sur une partition des plus sincères. Rude tâche pour le chef d’orchestre, Jean-François Verdier en charge du plateau et des forces vives de l’Orchestre national du Capitole et de la Maîtrise du Capitole pour les scènes d’enfants qui ouvrent et clôturent à la fois l’opéra sur leur Chants de Noël. Un chef qui devra mettre en valeur la place considérable que Massenet a donné à dame Nature, Prélude frissonnant, Clair de lune mystérieux, voluptueux, Scène des tilleuls, puis Nuit de Noël, glaciale et haletante, suite d’admirables peintures musicales de la Nature.
La principale transformation question personnage, c’est bien Charlotte. On sait l’amour de Jules Massenet pour l’éternel féminin et le nombre d’opéras qu’il leur a consacrées : pas moins de quatorze ouvrages désignés par un nom féminin. Ici, Charlotte est victime du devoir, elle doit épouser Albert par raison, consciente de son amour pour un autre. À peine esquissée au premier acte, et deuxième, elle s’impose au troisième dans la résignation du sacrifice, dans la grandeur du renoncement. Ce n’est plus elle mais Albert qui enverra Werther au suicide. Progressivement, Charlotte devient une figure tragique, aimée et aimant passionnément, impression renforcée par la tessiture grave du rôle, choisie par le compositeur éloignant celle de soprano qui aurait pu priver le personnage du galbe émotionnel nécessaire. C’est donc le choix d’une mezzo-soprano, et le timbre de Karine Deshayes semble fort en accord avec celui souhaité par Massenet.
Enfin, Il y a Sophie interprétée par Florie Valiquette, sœur de Charlotte, fraîcheur et pureté avec une touche d’émotion, tel doit être le personnage, empreint de charmes pétillants.
Il y a bien sûr Albert, celui à qui Charlotte a été promise par sa mère maintenant décédée. Le personnage paraît facile à chanter car pas de performances vocales au rendez-vous mais, un rôle théâtral délicat. Jovial d’abord, serein au deuxième, tourmenté au troisième, il n’est ni méchant, ni ridicule mais, il doit savoir éprouver de la tendresse, de l’émotion, de la détermination et plus encore puisqu’il adjoint sa femme à remettre elle-même les pistolets sachant l’usage qu’il en sera fait. C’est André Heyboer qui l’interprète. Il fut Germont père dans La Traviata passée.
La production à l’affiche a prouvé toutes ses qualités à deux reprises, en avril 1997 d’abord puis en novembre 2000. Nicolas Joël en assurait la mise en scène dans des décors et costumes d’Hubert Monloup et des Lumières d’Allain Vincent.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Werther • Jules Massenet
du 20 juin au 02 juillet 2019
Florie Valiquette © Brent Calis • André Heyboer © Luc Fauret • Le voyageur contemplant une mer de nuages (Caspar David Friedrich 1774 – 1840))- Hamburger Kunsthalle, Hambourg