La Fondation Bemberg est heureuse d’annoncer que, fidèle à son souci d’enrichir régulièrement les collections léguées par Georges Bemberg, elle vient de faire l’acquisition d’une peinture destinée à compléter les collections anciennes.
Il s’agit d’une œuvre de Mattia Preti, (Taverna, 1613 – Malte, 1699), dit le Cavalier Calabrese, qualifié, à juste titre, de suprême “inactuel“, artiste important de la peinture italienne du XVII° siècle. Une toile de 127 x 101 cm, qui sera exposée à la Fondation Bemberg à partir du 26 juin 2019.
Mattia Preti est né en 1613 à Taverna en Calabre, Italie du sud, et se forme auprès de son frère ainé Gregorio, de dix ans son aîné, son “premier maître“, dans la Rome des années 1630, cité papale, creuset où s’élabore la peinture baroque. La parenthèse caravagesque est alors refermée. Seul, un Valentin de Boulogne perpétue encore cet héritage. Mais, le style de ce peintre naissant est bien hérité du caravagisme (voir plus loin). Il est aussi dépendant d’un courant défini par la Manfrediana Methodus, en rapport avec le caravagesque Bartolomeo Manfredi. Bohémiennes, joueurs, popolani, buveurs et autres musiciens sont tous des archétypes caravagesques. Preti reprend ces figures dans ses œuvres de jeunesse. Et même s’il va de l’avant, son admiration pour son ancêtre reste indéfectible. On s’extasie sur sa Partie de cartes, ou son Concert, de 1635. Dans la plupart de ses œuvres, Preti a recours à une lumière nocturne, c’est à dire à un éclairage artificiel, qui fait irruption (latéralement) dans l’espace pictural pour venir extirper les figures des ténèbres. À l’instar des caravagistes qui l’ont précédé, Preti se détourne de la lumière du jour – il préfère situer ses personnages dans des milieux sombres et indéfinis – et opte souvent pour des figures à mi-corps comme ce saint Sébastien que d’autres, si nombreux, représentent en pied.
Toutefois, il évolue au milieu des années 1640, grâce à ses voyages à Venise où il étudie les compositions de Titien, de Véronèse et son plafond de San Sebastiano, et à Bologne où il voit celles des Carrache et du Guerchin, ce dernier étant une source inépuisable pour lui. Cela lui permet de combiner la lumière expressive du réalisme sombre avec les effets d’espace atmosphérique à la vénitienne, n’hésitant pas à créer des œuvres d’une théâtralité impressionnante, souvent due à un cadrage par dessous. À ce sujet, sa toile L’Impératrice Faustine rend visite à sainte Catherine d’Alexandrie en prison, semble être un résumé de toutes ces influences saisies. À son retour à Rome en 1646, il travaille pour le pape Innocent X Pamphili (voir Velasquez puis F. Bacon) ainsi que pour d’autres importants mécènes, et décore à fresque le chœur de San Andrea della Valle. Sur ce chantier, il est confronté à deux artistes, Le Dominiquin et Giovanni Lanfranco.
Mattia Preti aura la chance de vivre longtemps, soit 86 ans, dont six décennies de pratique artistique intensive, devenant l’un des artistes les plus prolifiques du Seicento, l’un des plus éclectiques et parmi les moins dogmatiques de cette période, un artiste cultivé, versatile et polyvalent. Mais, on retrouvera dans sa production et tout au long de celle-ci, un fil conducteur qui est celui du Caravage, presqu’oublié, sachons-le, quand il commence à peindre. Délaissant l’idéologie subversive de Merisi dans le choix de ses sujets, il se focalise davantage sur la forme, se démarquant de la technique du Caravage par sa grande maîtrise du dessin et ses talents de fresquiste.
Notre toile, dont le professeur John T. Spike, spécialiste de l’artiste, a confirmé l’authenticité, a été datée par ce dernier de cette période romaine vers 1650-1652. Il la met en rapport avec les pendentifs de la coupole de l’église San Biagio à Modène, où les quatre évangélistes nus sont comparables à notre figure. On y perçoit les influences que Preti a réinterprétées. Ce tableau de dévotion, de moyen format pour un particulier, se distingue par la position du saint, face à l’arbre auquel il est attaché et non dos à lui, comme souvent. Preti abandonne l’image d’un Sébastien raide, immobile, subissant son sort, tels que ceux de la Renaissance par Mantegna (vers 1480, Louvre) ou Pérugin (1495, Louvre). C’est un athlète au torse puissant, au corps éburnéen en mouvement, qui ne reste pas statique malgré les flèches qui criblent son dos. Le modèle populaire est un nu sculptural dont la puissance dramatique est contenue dans le visage baigné d’un rayon de soleil et tourné vers le ciel. L’ensemble est marqué par un fort contraste de clair-obscur, des détails réalistes, souvenirs du caravagisme : la trace du bronzage de son cou, la noirceur de ses ongles ou le sang coulant sur ses hanches. Un chromatisme minimaliste, typique de la période napolitaine de Preti, avec des tons privilégiés sobres (gris, argentés, beige). Il est non moins splendide que le Saint Sébastien du Musée di Capodimonte de Naples, de dimensions bien plus vastes soit 240 x 169 cm. Dépouillement et sobriété rendent ce tableau saisissant.
On retrouve l’empreinte d’un tableau comme la Flagellation du Christ du Caravage, présent au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Preti gravite aussi dans le cercle du Cavaliere Bernini dit Le Bernin. La vigueur musculaire n’est pas sans rappeler les fleuves sculptés sur la Fontaine des Quatre Fleuves de la Piazza Navona de Rome (1651), exactement contemporaine, notamment Le Nil, qui a lui aussi les bras tendus, croisés dans le prolongement de l’épaule.
Suite à cette première représentation de saint Sébastien, Preti a été amené à peindre à nouveau ce sujet à plusieurs reprises au cours de sa carrière, lors de son passage à Naples de 1653 à 1661, où il évite l’impitoyable grande épidémie de peste de 1656 qui va décimer 55% de la population napolitaine soit 250 000 dont nombre de peintres post-caravagistes. Naples où le passage du pas encore illustre Caravage a amené la constitution de La Scuola Napoletana, inspirée de la dernière période du maître, faite d’introspection, de désespoir, de dépouillement et de thématiques à forte intensité tragique. Ce même John T. Spike vous dira que : « les sujets qui tournent autour d’affaires de mœurs à conséquences tragiques intéressent Preti au plus haut point, si bien que les variations sur le thème de la décapitation d’Holopherne par Judith sont devenues une de ses spécialités. »
Judith vient de décapiter Holopherne et tient encore sa tête – Mattia Preti. Cette grande huile sur toile est au musée des Beaux-Arts de Chambéry
On n’oublie pas qu’alors, Naples est la capitale de la vice-royauté espagnole. Paradoxalement, cette épidémie va constituer une véritable aubaine pour l’artiste qui va recevoir des commandes prestigieuses qu’il se fera un devoir d’honorer. Certains de ses clients napolitains ont un penchant certain pour les tableaux avec martyrs, décapitations et autres sanglantes réjouissances. Mais il tient compte, en même temps, aux préconisations de l’art contre-réformiste en matière d’art sacré, à savoir que pour éduquer le fidèle, il faut le toucher sans l’effrayer, ni le bouleverser. Il est aussi désigné pour peindre les sept fresques votives des sept portes de la cité. L’artiste se révèle être un « peintre d’histoire sacrée de premier rang ».
Il partira s’installer à Malte après 1661. Ce saint Sébastien était très vénéré en tant que protecteur contre la peste mais il est aussi le patron de Taverna, la ville de naissance de l’artiste. Le retable le plus spectaculaire, commandé à Preti en 1657 pour l’église San Sebastiano de Naples, montre le martyr assis, le corps écartelé (il est maintenant au musée de Capodimonte). L’artiste a continuellement renouvelé son iconographie, le mettant en scène tantôt debout et en pied, tantôt assis ou à mi-corps. On peut notamment citer celui daté du milieu des années 1660 (surintendance des beaux-arts de Cosenza), un aux alentours de 1680 (Jerez de la Frontera, collection privée), deux œuvres datées des années 1680 (Taverna, Banque du Crédit Coopératif de la Sila Piccola) et de 1687 (Taverna, église San Domenico), ou encore celui à mi-corps de 1694 (Valette, Musée national des beaux-arts), dernier tableau connu du peintre. Mattia Preti décède le 3 janvier 1699 à la Valette.
Cette belle œuvre de ce peintre passionnant, qui viendra dans les semaines à venir enrichir les collections de la Fondation Bemberg à Toulouse, a été acquise en vente publique à Carcassonne le samedi 27 avril 2019.
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