Théâtre. Comédie Française, Salle Richelieu, le 30 avril 2019. EURIPIDE : Electre/Oreste. Traduction : Marie Delcourt-Curvers. Nouvelle production. Mise en scène : Ivo VAN HOVE. Musique originale et concept sonore : ERIC SLEICHIM. Avec la troupe de la Comédie Française et les comédiens de l’académie de la Comédie Française. Trio Xenakis.
La modernité d’EURIPDE révélée à la COMEDIE FRANCAISE !
Avec l’entrée au répertoire de ce diptyque le théâtre antique est superbement mis à l’honneur dans sa modernité sauvage. En faisant confiance au metteur en scène Ivo van Hove et en mettant à sa disposition tous les superbes moyens de l’auguste maison, le résultat est magnifique. Le talent d’Ivo van Hove est capable de mettre ces deux pièces sauvages à la portée du public moderne dans la traduction très sobre et efficace de Marie Delcourt-Curvens. Loin de la forme poudrée et policée de nos superbes tragédies et comédies « historiques », la langue et la dramaturgie d’Euripide sonnent atrocement nôtres.
L’immédiateté de la psychologie des personnages et leur incarnation de passions qui les dépassent sont superbement sculptées par Ivo van Hove. Loin de penser qu’il y a la moindre outrance dans cette mise en scène puissante, je pense que c’est le minimum qui convient à la grandeur de ces deux tragédies. Les personnages évoluent dans la boue, les costumes sont ternes et misérables. Sauf évidemment ceux des puissants dont Oreste fait partie un temps. Mais rapidement après ses retrouvailles avec sa soeur Electre, il va la rejoindre dans cette misère vestimentaire et se tacher de boue.
Une incroyable version cinématographique de l’opéra Elektra de Richard Strauss par Goetz Friedrich en 1981 faisait déjà débuter l’opéra sous la pluie et dans la boue. Mais cette fois il s’agit de la terre, celle des pauvres gens, des laboureurs si utiles et pourtant si méprisés. La réalité de cette terre, le symbole de sa saleté, contiennent une évidence et une puissance salvatrice. Elle permet de comprendre comment ceux qui y sont jetés, mais qui ont connu autre chose, comme ceux qui ne peuvent en sortir, sont dans la même impasse. En ce sens la modernité de la colère légitime des gens réduits à peu, prend un sens tout particulier. Le frère et la sœur sont comme deux orphelins. Ils ont perdu leur père, mort et leur mère qui ne les protège plus et déshonore leur nom.
Ils nourrissent une rancœur et un désir de vengeance que rien ne pourra jamais calmer. Les costumes sont efficaces à caractériser les personnages et la beauté de celui de Clytemnestre/Hélène et des rois n’en est que plus outrancière.`Les lumières sont subtilement modulées. La boite noire au centre de la pièce est d’une intelligence proteiforme qui permet d’y voir tout, de la masure au palais. Le jeu des acteurs est extrêmement physique. Ils bougent sans relâche et leur voix en passent du murmure à la transe de pure violence. Les acteurs sont sonorisés autorisant voix détimbrées et murmurées d’un effet envoûtant. La partition musicale de Eric Sleichim avec essentiellement des percussions dont de superbes timbales et des instruments électroniques réalise un effet puissant. La beauté lumineuse des timbales semble éclairer ce cloaque. Et la chorégraphie de Wim Vandekeybus permet le ressenti de l’Ubris destructeur et furieux après le meurtre de la mère. Le jeu de Suliane Brahim en Electre est admirable de puissance et de fragilité alternées. Le corps frêle est capable d’une force herculéenne, ainsi sa danse après la mort de Clytemnestre donne presque la nausée tant elle fait comprendre l’extrémisme de l’au-delà de la violence. Christophe Montenez est l’Oreste qu’il lui faut, sorte de frère siamois. Le jeune homme a la violence adolescente, son audace et son jusqu‘au boutisme qui dans son cas sera le matricide.
Le crime salvateur est donc accompli au début d’Oreste, la deuxième tragédie. Nous y découvrons le jeune homme caché dans la terre, presque invisible.
La manière dont il se love dans la terre nourricière, cherche à y disparaître, épouvanté par son matricide, relève du désespoir du « desêtre » comme de la recherche d’une annulation de soi mélancolique. Quels rôles exigeants pour ces jeunes acteurs portés ici jusqu’à l’incandescence ! La folie amicale et amoureuse de Pylate (Loïc Corbery) est admirablement rendue par son jeu sensible, y compris dans les silences émus. Elsa Lepoivre est une Clytemnestre à qui l’on pourrait presque pardonner et une Hélène vaine et inconséquente. Quelle élégance et quelle beauté de port
Denis Podalydes incarne un Mélénas pleutre et fade à souhait, très humain. Didier Sandre en Tyndare, père des deux soeurs funestes, garde une intransigeance sans faiblesse, une rigidité impitoyable digne du Commandeur. Sa présence donne tout son poids et son charisme à ce personnage pourtant odieux. Rôles plus courts mais oh combien humains : l’Hermione de Rebecca Marder est délicieuse d’innocence, Benjamin Lavernhe a une noblesse immense en laboureur, mari respectueux d’Electre, l’esclave phrygien d‘Eric Génovèse est toute veulerie humaine dehors ou sagesse suprême, il sait que rester en vie compte seul quoi qu’il arrive. Le Choryphée (Claude Mathieu) et le Chœur sont traités avec beaucoup de force et de présences individuelles par le metteur en scène. La beauté des gestes de soutien ou la fulgurance des danses sont des moments chargés en émotions inoubliables. En Deus-ex-machina, Apollon, est campé par Gaël Kamilindi qui promène une indolence divine charmante. Dans sa mise en scène Ivo van Hove lui apporte peu de crédits. Personne ne semble croire véritablement à ses promesses de bonheur et la dernière image sauvage dit même tout le contraire. C’est un des éléments de puissance et de modernité des tragédies d‘Euripide que cette manière d’oser juger les dieux.
En somme Electre et Oreste d’ Euripide font une entrée au répertoire qui marque notre époque par leur modernité digne de l’actualité. La question de la radicalisation de la haine est admirablement démontrée avec cette audace du matricide qui répond au sentiment de négation ressenti par les rejetés, les humiliés. L’admirable mise en scène d’Ivo van Hove, pétrie d’intelligence et d’humanité, va être l’aune auquel toute référence à l’antique fera date.
Il est possible de tenter d’avoir une place à La Comédie Française ou à Epidaure ( Grèce) cet été mais il est plus raisonnable de miser sur la diffusion au Cinéma Pathé Live partout en France et à l’étranger les 23 mai, 16, 17 et 18 Juin 2019 .
Théâtre. Comédie Française, Salle Richelieu, le 30 avril 2019. EURIPIDE : Electre/Oreste. Traduction : Marie Delcourt-Curvers. Nouvelle production. Mise en scène : Ivo VAN HOVE. Version scénique : Bart Van den Eynde et Ivo van Hove. Scénographie et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : An D’Huys. Musique originale et concept sonore : Eric Sleichim. Travail chorégraphique : Wim Vandekeybus. Dramaturgie : Bart Van den Eynde. Assistanat à la mise en scène : Laurent Delvert. Assistanat à la scénographie : Roel Van Berckelaer. Assistanat aux costumes : Sylvie Lombart. Assistanat aux lumières : François Thouret. Assistanat au son : Pierre Routin. Assistanat au travail chorégraphique : Laura Aris. Avec la troupe de la Comédie Française et les comédiens de l’académie de la Comédie Française. Trio Xenakis : Adélaïde Ferrière, Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry, Othman Louati, Romain Maisonnasse, Benoît Maurin
percussions (en alternance).