Ce concert était entièrement consacré au compositeur à qui la Halle aux Grains semble particulièrement convenir quand il est défendu par les forces vives de l’Orchestre National de Toulouse, l’ONT pour faire court, et ex-ONCT, et l’un de ses maîtres, Josef Swensen.
Le programme est ambitieux, et rare, puisqu’il débute avec l’Adagio de la Symphonie n°10 suivie du Chant de la terre, cette Symphonie avec lieder. Dixième symphonie qui est un cri d’amour désespéré, tragique, mais c’est trop tard. « Alma chérie, vivre pour toi, mourir pour toi ! », elle ne l’entendra pas. L’Adagio est introduit par un Andante où les altos font entendre sans accompagnement, une phrase désolée qui se traîne, instable et tâtonnante. Ce monologue fait en quelque sorte figure d’épitaphe. Suivra une ample phrase chaleureuse et passionnée des cordes dans toute la plénitude de leur sonorité, et c’est parti pour ses plus de trente minutes avec des musiciens comme galvanisés par un chef qu’ils connaissent bien et apprécient, un chef qui les emporte par sa conviction, sa ferveur, sa tension et la clarté polyphonique qui se dégage, sans oublier le souffle, souffle dont le soliste à la trompette n’a pas manqué dans cet appel prolongé à l’aigu. Hugo Blacher n’a pas failli, on soufflait et on souffrait presque avec lui.
Rassuré si besoin était par tous les pupitres, on pouvait envisager la suite, sereinement. L’esprit de Mahler a continué à souffler, si présent. Tout respire avec naturel, clamé avec toute la sincérité requise, une version pudique et intériorisée, retenue et expressive, la “touche“ Swensen. Tous les pupitres semblent chanter d’une même voix, et on ne peut que noter la délicatesse des interventions des musiciens solistes surtout dans le “Der Abschied“.Nous tous avons pu remarquer l’enchantement du hautbois introduisant la phrase “Der Bach singt“, celui du violoncelle dialoguant avec la cantatrice, ou bien encore cette merveilleuse flûte solo (…“meines Freundes“ ; ich harre sein…). Ils furent à juste titre ovationnés. L’angoisse est toujours sous-jacente, et aucun espoir ne semble poindre à l’horizon même dans les derniers instants de l’Adieu. Ne précipitant jamais les tempos, même les allegros, Josef Swensen semble tenir à ce que toutes les sonorités exaltées de l’orchestre “mahlérien“ soient perçues par l’auditeur, et tous les timbres à tous les pupitres, flatteurs. Cors et contrebasses me paraissent des fondations à toute épreuve.
Tout au plus pourrait-on reprocher au chef de s’être laissé emporter par les sonorités de sa phalange et d’avoir couvert un peu, par moments, ses deux solistes mais, Christian Elsner était d’une telle sûreté, surmontant avec aisance les difficultés de la partition, et nuançant avec un tel à propos ses trois interventions qu’il était ainsi parfaitement démontré que l’œuvre est bien une véritable symphonie avec voix obligée. Pour la partie mezzo, Janina Baechle le sait, il est difficile de rivaliser avec les véritables contraltos dans cet emploi. Compensant largement par la finesse des nuances, la rigueur de l’émission, la musicienne s’attarde alors sur l’interprétation qu’elle rend d’une vérité bouleversante, surtout dans l’“Adieu“, incomparable de gravité à l’orchestre, où elle souligne la longue et déchirante agonie clamée par l’orchestre, avec grande simplicité, pudeur même jusqu’à l’ultime “Ewig“, le septième “éternellement“.