Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Depuis quelques mois, j’ai repris l’habitude d’aller au cinéma à la séance du mercredi à 10h30. À cette heure-là, il n’y a pas foule et les bouffeurs de pop-corn ainsi que d’autres aliments, solides ou liquides, ingurgités bruyamment durant la projection sont rares. Plaisir de voir des films dans des salles presque vides. Le hall du Gaumont-Wilson ressemble à un magasin de confiserie, regorge de crèmes glacées, de bonbons colorés, de boissons, de diverses sucreries chimiques. Des machines délivrent les tickets, il faut choisir sa place numérotée. Comme les salles sont peu fréquentées à la première séance, l’infraction consistant à ne pas s’asseoir forcément à la place désignée ne porte guère à conséquence. J’ai connu le temps des ouvreuses et de leur lampe de poche assistant les retardataires. On leur glissait alors une ou deux pièces dans la main.
Un matin de début mars, peu avant huit heures. Le Pont-Neuf sous un grand soleil offre une lumière et un panorama exceptionnels. On peut apercevoir la chaîne des Pyrénées sous la neige et les mouettes se dégourdissent les ailes en faisant des circonvolutions majestueuses. Où dorment les mouettes la nuit à Toulouse ? On dirait le titre d’un roman de Katherine Pancol.
Dominique Noguez est mort le 15 mars. Je l’avais interviewé à Toulouse voici une vingtaine d’années dans le hall de l’hôtel du Capoul, un jour où l’écrivain venait présenter l’un de ses livres à la librairie Privat. La première fois que je l’ai rencontré, c’était durant l’été 1997 à Paris, chez lui, au 23 rue de Seine. Il allait publier à la rentrée Amour noir, l’un des plus beaux romans d’amour qu’il m’ait été donné de lire chez mes contemporains immédiats et qui obtiendrait le prix Femina à l’automne suivant. J’ai revu ensuite Dominique bien des fois, en général pour des déjeuners ou des dîners parisiens arrosés en compagnie d’amis choisis. Nous avons ainsi croisé nos fourchettes au Ribouldingue, au Comptoir de l’Odéon, Chez Michel, au Severo, au Racines de Pierre Jancou… Il y avait en général Guillaume Zorgbibe, François Taillandier, Matthieu Jung, Laurent Maréchaux, parfois Jérôme Besnard ou Olivier Maulin. La dernière fois que nous avons dîné ensemble, c’était fin juin 2018 avec Matthieu dans un restaurant en vue de la rue du Cherche-Midi que j’avais choisi. Bof. Heureusement, la carte des vins tenait la route et nous commençâmes par un blanc d’Olivier Cousin qui, à cause des précautions insistantes du sommelier (« Vous connaissez ce vin ? Vous l’avez déjà goûté ? »), braqua mes commensaux. Souvent, Dominique brocardait notre penchant pour les vins naturels comme lors de ce dîner au Severo où, descendant allègrement des bouteilles de Binner, Barral ou Dard & Ribo, il se félicitait de ne pas devoir boire nos vins déviants dont pourtant les quilles en présence étaient les plus dignes représentantes. En fait, Dominique aimait les vins naturels sans le savoir. Pendant notre dernier dîner, il m’avait parlé de son souhait d’éditer sa correspondance avec Michel Taillefer, l’un de ses amis de jeunesse qui enseigna longtemps l’histoire à l’université du Mirail. Guillaume Zorgbibe va éditer ce livre. Nous le lirons. Il faudra aussi relire les livres de Dominique, dont le délicieux Les Martagons, prix Roger Nimier 1995, le premier roman que je lus de lui. En revanche, je n’ai jamais lu Les Derniers jours du monde, porté au grand écran par les frères Larrieu – qui furent ses étudiants quand il enseignait le cinéma – et dont certaines scène furent tournées à Toulouse, notamment place du Capitole.
Mon répertoire téléphonique ressemble de plus en plus à un cimetière. On appelle cela vieillir.
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photo : Marine Rullier