La mezzo-soprano Sophie Koch est de retour au Théâtre du Capitole dans « Ariane et Barbe-Bleue », opéra de Paul Dukas dirigé par Pascal Rophé et mis en scène par Stefano Poda.
Unique opéra de Paul Dukas, « Ariane et Barbe-Bleue » entre enfin au répertoire du Théâtre du Capitole, sous la direction de Pascal Rophé. Dans cette nouvelle production prometteuse de l’Italien Stefano Poda, Sophie Koch (photo) retrouvera la scène toulousaine où elle fit ses débuts dans des ouvrages de Mozart, puis dans « Mignon », et brilla dans « le Roi d’Ys », « le Chevalier à la rose », etc. : «Je suis très heureuse de revenir ici, qui plus est pour un aussi beau rôle que celui d’Ariane. Mais après tant d’années, c’est un peu comme un nouveau début – et un vrai défi !», confesse la mezzo-soprano française. Elle chantera pour la première fois le rôle d’Ariane aux côtés de Vincent Le Texier (« Les Pigeons d’argile ») dans le rôle-titre, et de la mezzo-soprano allemande Janina Baechle dans le rôle de La Nourrice.
Chef-d’œuvre oublié, le «conte musical» « Ariane et Barbe-Bleue » s’inspire de la pièce de Maurice Maeterlinck, « Ariane et Barbe-Bleue, ou Le Refus de la délivrance ». L’œuvre est contemporaine de l’écriture de l’opéra créé au printemps 1907, à l’Opéra-Comique : sixième femme de Barbe-Bleue, Ariane délivre les cinq épouses qui l’ont précédée, mais celles-ci préfèrent rester aux côtés de Barbe-Bleue, dans l’obscurité humide du château. «Personne ne veut être délivré. La délivrance coûte cher parce qu’elle est l’inconnu, et que l’homme (et la femme) préférera toujours un esclavage familier à cette incertitude redoutable qui fait tout le poids de la liberté», constatait Paul Dukas.
Pour Sophie Koch, «cette Ariane est un personnage d’une grande force. Elle vit une histoire d’amour assez atypique avec un homme, Barbe-Bleue, dont elle va rapidement découvrir les secrets : il garde ses premières femmes enfermées dans un souterrain… Or elle, elle est portée par une volonté exceptionnelle, une force incroyable. Elle va chercher à conquérir la liberté à la fois pour elle, mais aussi pour ses compagnes. Elle évolue donc dans un milieu qui peut sembler a priori hostile, avec cet homme qui semble trouver son bonheur dans l’enfermement de ses épouses. Si l’on va du côté de la psychanalyse, j’imagine qu’on peut comprendre ce caractère de Barbe-Bleue en se disant qu’il a dû subir de graves traumatismes dans son enfance et qu’il a désormais besoin d’être rassuré – et il se rassure en gardant ainsi ses femmes enfermées ! Cela peut paraître absurde et paradoxal, mais Barbe-Bleue ne leur veut aucun mal. D’ailleurs Ariane le dit elle-même, au dernier acte, quand elle le sauve des paysans : il ne lui a fait aucun mal».
Selon la mezzo-soprano, «ce n’est peut-être pas le mot idéal, mais il y a comme une bipolarité chez lui : une grande violence, et beaucoup de tendresse… Ariane est beaucoup moins ambivalente que Barbe-Bleue : d’emblée, elle est très claire et le texte dit tout haut ce qu’elle va faire : faire entrer la lumière, l’air frais dans ce monde sombre et humide, renfermé… “Il faut désobéir”, dit-elle très littéralement : “C’est le premier devoir quand l’ordre est menaçant et ne s’explique pas”. Durant tout l’opéra, elle n’aura de cesse de lutter contre l’arbitraire, contre ce qu’elle ne comprend pas, cherchant héroïquement cette liberté dont ses compagnes ne voudront finalement pas…».
L’une des épouses de Barbe-Bleue porte le nom de Mélisande, en hommage au « Pelléas et Mélisande » que Claude Debussy composa à partir d’un autre drame célèbre de Maeterlinck – Dukas reprend le thème qui lui est associé dans la partition de Debussy. Conjuguant puissance dramatique et beauté sonore, « Ariane et Barbe-Bleue » se classe alors parmi les réalisations post-wagnériennes au même titre, pour le répertoire hexagonal, que « Fervaal » de Vincent d’Indy (1897), « Pelléas et Mélisande » de Claude Debussy (1902), « le Roi Arthus » d’Ernest Chausson (1903) et « Pénélope » de Gabriel Fauré (1913).
À propos de son rôle, Sophie Koch assure que «la tessiture est très longue, et Paul Dukas demande à son interprète une très grande endurance. Même si comparaisons n’est pas raison, on pourrait peut-être comparer son Ariane à l’Isolde de Richard Wagner. Paul Dukas multiplie les formes d’écriture, avec beaucoup de pages en forme de récitatifs ; l’orchestre y est alors la plupart du temps d’une belle clarté, et laisse à l’interprète la possibilité de projeter le texte de manière aussi claire et audible que possible. Il y a un air, ou plutôt un arioso, dirais-je, au premier acte, que l’on appelle habituellement l’air des diamants – c’est une page où la mélodie est immédiatement reconnaissable et reste dans la tête ; et puis il y a les moments plus sombres, plus dramatiques, où l’orchestre enfle terriblement, et exige de l’interprète une puissance démesurée. Je pense ici au moment clé de l’ouvrage, quand Ariane parvient à briser la fenêtre qui occultait le souterrain ; quand la lumière entre, inondant ce lieu d’une clarté aveuglante, elle exulte – et la musique aussi ! Le problème, c’est qu’avec ces dynamiques fortissimo et la voix tout en haut de la tessiture, on a du mal à faire entendre le texte… Mais l’essentiel de l’émotion passe ici par la musique.»
Stefano Poda voit dans « Ariane et Barbe-Bleue » un «poème du mystère: Paul Dukas réunit dans sa musique le conte gothique du château de Barbe-Bleue avec le mythe classique d’Ariane et du labyrinthe, ce lieu impossible à “déchiffrer”. La poésie de Maeterlinck ajoute au drame une dimension unique d’indéfini et de magie : tout ce que cet ouvrage inspire est abstraction, rêverie, liberté. Loin des obligations de la narration, ce monde de l’inconscient est peuplé de symboles qui ne cherchent pas à trouver une explication», constate le metteur en scène qui signe également les décors, les costumes et la création lumière de cette nouvelle production.
Stefano Poda s’emploie à «faire vivre ce chef-d’œuvre comme une liturgie du mystère, une fenêtre ouverte sur des visions esthétiques qui nous éloignent des nécessités de la vie réelle». Celui-ci perçoit l’ouvrage comme le voyage initiatique d’une «femme courageuse: elle en accepte les épreuves, elle fait face aux défis des antagonistes en déployant toute sa richesse intérieure… Mais la rencontre la plus importante, c’est celle qu’elle fait avec les femmes prisonnières du labyrinthe, véritable miroir psychologique pour l’héroïne qui aspire à grandir. Ariane qui essaye de libérer les épouses de Barbe-Bleue n’est donc pas seulement une sorte d’Ulysse des temps modernes au féminin, responsable de ses compagnes : je dirais plutôt que ces femmes prisonnières ne sont que les différentes facettes d’un seul ego en lutte avec soi-même. Pour continuer sur son chemin, Ariane devra sacrifier la partie d’elle qui ne veut pas évoluer… ou peut-être est-ce le contraire ? Ma mise en scène à donc pour objectif de donner un corps visuel à cette merveille psychologique, tout en respectant le besoin d’absolu et d’ambiguïté que ses auteurs y ont exprimé.»
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Ariane et Barbe-Bleue • Paul Dukas
du 04 au 14 avril 2019
Affiche / Sophie Koch © Zakari Babel