Il en sera donc ainsi dans l’opéra Ariane à Naxos de Richard Strauss, version 1916, à l’affiche du Théâtre du Capitole à partir du 1er mars 2019. Cette nouvelle coproduction sera dirigée par Evan Rogister et mise en scène par Michel Fau. Dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre National du Capitole. L’ouvrage réclame une distribution nombreuse et de haut vol.
La genèse de cet opéra fut plutôt complexe. La version donnée est celle de 1916, venant après celle de la création, le 25 octobre 1912 à Stuttgart, qui n’avait pas trouvé son public. Il faut dire que l’œuvre est, au premier abord plutôt touffue, et peut être qualifiée d’“abracadabrantesque“ si les meilleures intentions ne sont pas au rendez-vous. Tous les participants à la production se doivent d’être de la meilleure veine pour asseoir la réussite de l’ensemble. Ce qui devait être au départ une simple pochade, est devenu un opéra de chambre pour petit orchestre de 36 musiciens. Et avec piano. Ces derniers sont presque continuellement traités en solistes. Deux tableaux en somme : au Prologue, un jeune Compositeur désargenté convoqué qui ne comprend plus ce qu’on lui demande, ni comment il va faire, avec les comédiens, pour satisfaire les demandes irraisonnées de leur mécène. Le rôle est distribué à une femme au grand dam du librettiste. Puis une Ariane évidemment délaissée par Thésée, les deux subissant la harangue de Zerbinetta et de ses acolytes, une Zerbinetta qui a décidé de ne pas se laisser enfermer dans un amour exclusif. Puis, c’est l’arrivée de Bacchus qui enflamme tout. Artifices, archétypes, théâtre dans le théâtre sont pulvérisés par la force d’incarnation et la vérité de cette musique.
Comme dans Le Chevalier à la rose auparavant, et comme ce sera le cas après dans Arabella, Ariane à Naxos, se construit autour d’un trio de sopranos, mais en différenciant stylistiquement les trois emplois. Pour qui connaît Salomé de ce cher Strauss, son premier opéra, il va demander à Ariane son étendue vocale et sa souplesse. Catherine Hunold sera bien, et la Primadonna, et Ariane. À Zerbinetta de se souvenir des sopranos légers mozartiens à vocalises. C’est pour Elizabeth Stuphen. Au Compositeur de maîtriser le parlando, l’art de la conversation en musique, jusque dans son duo du Prologue avec Zerbinetta. Anaïk Morel aura cette lourde tâche. Quant à Bacchus, c’est le ténor Issachach Savage. On sait que Strauss adorait les voix féminines et beaucoup moins celle de ténor !! la partition du dieu de la vigne n’est pas un cadeau, et le musicien ne l’a pas raté.
Question comprimari, ils sont particulièrement nombreux, treize, car n’oublions pas que nous sommes dans non plus Le Bourgeois gentilhomme mais dans un opera seria et, non pas en suivant, mais en même temps, dans une pièce divertissante animée par les membres de la commedia dell’arte. En même temps, car il est demandé par « l’homme le plus riche de Vienne » de ne pas retarder de trop l’heure du feu d’artifice. On fera donc jouer les deux spectacles ensemble. Cela fera du monde sur le plateau.
On doit savoir que, en matière de mise en scène, Richard Strauss et ses librettistes laissèrent des indications particulièrement précises, ce qui est susceptible de rebuter certains metteurs en scène, d’en écarter d’autres, mais d’en convaincre quelques-uns tout à fait décidés à s’approprier l’œuvre comme Michel Fau, ici même. Michel Fau, cet amoureux du jeu théâtral, véritable esthète fasciné par les œuvres classiques, qui ne pouvait passer à côté de cet ouvrage, forme de théâtre dans le théâtre que représente Ariane à Naxos. L’homme de théâtre qui vous livre : « Je passe pour un acteur rétro mais je ne le comprend pas trop.(…) Je pense que je suis un acteur lyrique qui poétise la vie, qui réinvente la vie. » Peu de compositeurs d’opéra furent autant préoccupés de théâtre que Richard Strauss, et sa correspondance abonde de courriers se rapportant davantage à la dramaturgie qu’à la musique. Autre point qui lui tient à cœur, c’est bien la direction d’acteurs. Il lui faut des chanteurs mais aussi des acteurs suffisamment corrects. Et il s’intéresse d’abord à ses personnages, auxquels ils donnent une épaisseur humaine et une complexité psychologique, des points de vue qui nous font remonter jusqu’à Mozart. Ces éléments ne facilitent guère les tentatives de transpositions et actualisations, et les réussites dans ce domaine, lorsqu’il y a, ne sont pas légion. Mais l’amour de Michel Fau pour la musique de Richard Strauss, et aussi pour les livrets d’Hofmannsthal nous rassurent sur ce qui nous attend dès la Première, le 1er mars.
L’appui qu’il prend sur son décorateur et costumier à la fois, David Belugou, nous rassure encore davantage, et enfin ces quelques mots, complètement !! : « Pour le Prologue, on a respecté le côté XVIIIè siècle voulu par le livret, avec une grande fantaisie dans les costumes. Et pour la deuxième partie, nous avons opté pour une esthétique Art Déco, plus proche de l’époque du compositeur. De la sorte, le supposé ouvrage imaginaire sera plus “moderne“ que le Prologue. Ce qui rejoint son opinion sur ce que l’opéra représente bien pour lui, soit, ce n’est pas une reproduction de la réalité mais un rêve éveillé… » Je n’oublierai pas le poste Lumières de Joël Fabing, un poste qui peut enchanter tout le plateau avec toutes ces possibilités nouvelles, ni le poste maquillages car Michel Fau en fait un élément à part entière dans le travail de production. Il est confié à Pascale Fau.
Mais revenons à Richard Strauss dont tout le monde, ou presque, s’accorde à déclarer que, dans la période 1885 à 1910, il a pu faire preuve d’une géniale activité créatrice. Ceux qui diront qu’après cette date, il vit une période plus terne, sans originalité, sont plus que sévères dans leur jugement. 1910, c’est le chef-d’œuvre incontestable “Le Chevalier à la rose“. Il reste une quarantaine d’années à vivre au compositeur jusqu’en 1949, et on ne va pas lui reprocher de ne pas être en permanence sur la ligne de crête dans ses productions lyriques. Ceux qui ont entendu et vu des opéras comme l’Ariane qui nous occupe, La femme sans ombre, Arabella, Capriccio, Daphné, l’Amour de Danaë peuvent témoigner que les ouvrages en question méritent toute notre attention, et bien au-delà. Chantre de la voix féminine dans tous ses registres, Richard Strauss ne se lasse pas de glorifier la femme, de traiter l’orchestre avec une souplesse et une brillance toute mozartiennes, de débiter le texte sur un mode fluide et intimiste de « conversation en musique. », maniant les récitatifs avec une virtuosité consommée. À qui la priorité, aux mots ou aux notes ? En artisan pragmatique et réconciliateur, l’auteur d’Ariane à Naxos va travailler sans cesse à leur union, comme à l’entente harmonieuse de la fosse et de la scène, de la comédie et de la musique pure.
Synopsis, si l’on peut dire !! Ou plutôt gestation. Alors, que représente “Ariane“ ? C’est une pièce ambitieuse, un opéra à thèse esthétique, dans laquelle Strauss essaya, avec l’aide de son librettiste favori Hugo von Hofmannsthal de traiter le mélange des genres : comique et tragique. Avant d’en arriver là, l’œuvre dut subir une série d’avatars. Au point de départ, 1912, c’est une œuvre double : le Bourgeois gentilhomme de Molière, condensé en deux actes mêlés de musique. Suit un troisième acte : car, en lieu et place de la fameuse cérémonie turque, Monsieur Jourdain commande, à un jeune compositeur, un opéra, « Ariane à Naxos ». Mais, comme notre bourgeois a commandé d’autres divertissements, qu’il fait venir une troupe de commedia dell’ arte, et qu’il ne sait plus comment ordonner sa soirée plutôt longue…, coup de génie, si l’on peut dire, il décide qu’on jouera simultanément l’opéra et la commedia dell’arte !! Et dans la seconde version, 1916, exit Le Bourgeois gentilhomme. Voilà bien un exercice de haute virtuosité de la part du musicien et de son librettiste. Et on ne peut qu’imaginer les situations imprévues à la Pirandello. En même temps, l’exercice peut se révéler redoutable.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
Ariane à Naxos / Richard Strauss • Michel Fau
du 1er au 10 mars 2019