La chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues présentait « Fúria » au théâtre Garonne, dans le cadre du festival « Ici & Là » de La Place de la danse – CDCN Toulouse -Occitanie du 23 janvier au 9 février.
À en juger les spectacles de danse de Lia Rodrigues, on se dit que l’engagement dans l’art ne passe pas forcément par des paroles et des discours bien pensés et bien pensants. Assister à une pièce de cette chorégraphe brésilienne c’est être impacté intimement et organiquement par la question du politique. Vivre au Brésil, pays à la dérive, et travailler au cœur de la favela de Maré à Rio de Janeiro, ça vous forge une conscience politique chevillée au corps. Chez Lia Rodrigues, la fureur se fait chair. « Fúria », titre justement de sa dernière création, était à l’affiche du festival « Ici & Là » de la Place de la danse, sidérant dans leurs fauteuils les spectateurs du théâtre Garonne, les 31 janvier et 1er février derniers.
Amassée dans un coin du plateau, sous des couvertures, des duvets et des bâches en plastique, une tribu émerge lentement, comme des entrailles de la terre. Hommes, femmes, emmaillotés de frusques hétéroclites et bigarrées, d’accessoires et coiffes bricolés à base de sacs plastiques et autres bouts de tissu, certains le corps nus, peinturlurés de bleu ou d’or, ils avancent en un cortège étrange, trainant derrière eux leurs pauvres affaires. C’est d’une beauté inouïe. Pendant tout le spectacle, divers tableaux se succèderont, dessinant sur le rythme obsédant d’un chant tribal kanak, une humanité livrée à elle même. Vrillés, frénétiques, secoués de spasmes, comme possédés, la bouche déformée par des cris silencieux, les corps se forment en duos, en trios, en quatuors qui se défont, mutent et se transforment, recréant ainsi de nouvelles images crues, animales, sexuelles, martiales. Une jeune femme élevée en déesse est portée sur le dos de deux hommes marchant à quatre pattes, deux autres soulèvent par les pieds une femme nue, tête renversée, jambes écartelées, plus loin, quatre danseuses se lancent dans une réinterprétation du Lac des cygnes croisé avec un « french cancan » endiablé. Scènes de domination, de rituel sacrificiel, de danse tribale, de transe… les interprètes de cet orgiaque « Fúria » nous jettent au visage un corps politique et social diversifié : celui de femmes violentées, d’Afro-Brésiliens humiliés, piétinés, d’homme blanc hystérique, grimaçant, le sexe tenu à pleine main. Ces neuf danseurs et danseuses sont issus pour la plupart de la gigantesque favela de la Maré, une des plus pauvres et réputées dangereuses de Rio, c’est dire si leur engagement est une question de survie.
Le 1er janvier dernier, le nationaliste et populiste Jair Bolsonaro, ancien militaire nostalgique de la dictature, a pris ses fonctions à la tête du Brésil… Pour Lia Rodrigues, il ne s’agit plus ici de raconter l’état des lieux d’un pays mais bien de dire l’urgence : la dictature à l’œuvre, la misère, le racisme, l’homophobie, les assassinats impunis, tel celui de Marielle Franco, élue de gauche, engagée auprès des démunis, abattue avec son chauffeur à Rio en mars 2018 et à laquelle rendent hommage les artistes de « Fúria » lors des saluts. Le ministère de la Culture du Brésil vient d’être supprimé, mais l’art, privé de moyens, est entré en résistance.
Danse de sorciers se réappropriant des âmes et des corps offensés, « Fúria » invoque un autre monde, de liberté et de beauté violente. Revenir sur cette terre après une telle expérience n’est pas aisé.
Une chronique de Sarah Authesserre pour Radio Radio
- Festival de danse « Ici & Là », La Place de la danse – Centre de Développement Chorégraphique National Toulouse – Occitanie, du 23 janvier au 9 février 2019, www.laplacedeladanse.com