« Ne jamais oublier qu’à l’opéra, on chante d’abord quitte à négliger le désordre narratif !! » lis-je, et Lucrezia Borgia en est bien un excellent exemple, surtout quand les librettistes s’inspirent déjà du théâtre romantique d’un Victor Hugo.
Il est un temps où le Capitole de Toulouse avait la réputation d’être la scène des belles voix, puissantes et généreuses, (Ah ! Chaliapine !) ayant toute la faveur du public, et peu importait alors, la mise en scène, les décors, les costumes, la qualité de l’exécution orchestrale, voire la vraisemblance physique et psychologique des interprètes par rapport aux personnages incarnés. Tout cela est bien terminé, et le spectacle est maintenant un tout, même si bien entendu, les voix priment toujours. Nous sommes favorablement convertis au diktat: chant, musique et théâtre. Tout cela pour dire que nous avons avec cette production, chant, musique, théâtre et vraisemblance. Le public a reconnu la performance et fait un triomphe à l’ensemble.
Annonçons derechef la couleur, côté chant, c’est gagné. L’héroïne avant tout, c’est Annick Massis. Pour ma part, jamais déçu auparavant sur cette scène, un petit brin d’anxiété occupait mon esprit car, une prise de rôle, avec une équipe inconnue, avec une carrière disons bien avancée, il ne pouvait y avoir que l’assurance affirmée du Directeur artistique pour me libérer un peu. Et en effet : pari gagné. Le grand soprano drammatico d’agilità e forza a dominé le rôle, brossant un portrait parmi les plus complets de l’héroïne. Incarnation réussie. Physiquement crédible, forte d’une technique sans faille éprouvée sur les plus grandes scènes, sachant fort bien ce qu’elle peut faire, ou pas, elle est ainsi libérée de toute prise de risques inutiles. Cette vocalità, elle connait. Seuls, les quelques véritables connaisseurs du rôle pourraient invoquer telle ou telle facilité ou manque, prisonniers de vieilles cires. 99,9% des autres n’auront eu qu’à apprécier, un phrasé, dès le Prologue, un « Com’è bello » à ravir, une ligne mélodique sans faille, les jeux de clair-obscur, la palette de couleurs, la projection, le médium comme les graves, sonores sans appuyer et bien sûr les aigus et toujours ces vocalises, trilles sans reproche et pianissimos comme autrefois. La fin soulève le Capitole tout comme auparavant la scène très investie physiquement du marchandage raté avec le Duc. Grand moment de théâtre.
Mais Lucrezia n’est pas toute seule sur scène. Il faut une production qui la soutienne d’un bout à l’autre. Passons rapidement sur mise en scène menée par Emilio Sagi, décors et costumes pour lesquels je n’ai pas tout saisi, à part l’immense avantage que l’ensemble comporte tout de même, celui de ne gêner en rien le chant de tout un chacun, de ne pas avoir perturbé le déroulé par quelques précipités, d’avoir réduit au minimum, accessoires et autres. Le qualificatif d’atemporel étant adopté d’office, les anachronismes finalement, n’en sont pas, ce qui permet davantage de possibilités et ne soulève guère de discussions. Mais aussi, le parti-pris d’avoir cantonné les scènes et donc le chant au plus près du public, de la fosse et du chef ne peut pas nous contrarier, non plus. Astolfo nous a quand même fait peur !Assez en effet de ces “morceaux“ d’opéra qui se passent là-bas tout au fond ……Citons cependant les jeux de lumières sur miroirs et panneaux d’Eduardo Bravo qui sont du meilleur effet, fort réussis à mon goût.
Au vu de leur importance dans cet opéra, tous les comprimari que je ne voulais pas énumérer, vont être finalement cités ici. Les amis de Gennaro, François Pardailhé, Galeanos Salas, Rupert Grössinger, Jérémie Brocard, l’agent secret de la Duchesse, Julien Véronèse, le confident du Duc, Thomas Bettinger, l’Astolfo de Laurent Labarbe, et, autres artistes du Chœur, Alexandre Durand et Jean-Luc Antoine. Ils participent à la réussite de la production, et par leur chant, et par leur investissement scénique. Excellent choix d’une telle brochette de futurs talents. Cela s’appelle savoir monter une distribution !
On se plaît à souligner une fois de plus, la qualité des Chœurs et le travail de leur Directeur Alfonso Caiani, tout comme leur implication scénique. On dit bravo à Giacomo Sagripanti qui a su rendre au mieux cette production et qui se trouve ainsi associé à la réussite totale de l’entrée, enfin, de cette Lucrèce au répertoire du Théâtre. Son soutien sans faille dans les moments les plus délicats a été relevé par ses partenaires sur le plateau. Après, sur la gestion de quelques tempos, n’en déplaisent à certains, c’est bien lui qui tient la partition.
On termine ces quelques impressions avec Andreas Bauer Kanabas, Alfonso d’Este, duc de Ferrare, qui, physique aidant, confère au personnage toute l’épaisseur avec une voix de basse magnifiquement accentuée et projetée et une présence scénique d’excellent effet. Le public n’oubliera pas le “Vieni, la mia vendetta“. Je précise que le rôle peut être attribué à une basse comme à un baryton, a fortiori à un baryton-basse !
Eléonore Pancrazzi dans Maffio Orsini n’est pas encore le grand contralto virtuose que beaucoup attendent dans ce rôle. Elle compense par une présence scénique d’excellente facture et, vocalement, par tout l’aplomb nécessaire. La fréquentation du rôle et d’autres la conduiront vers plus de projection et de “sombre“ dans les graves, à n’en pas douter.
Quant au fiston caché, Mert Süngü risque bien de devenir comme une sorte de référence dans ce rôle de Gennaro. Merci pour le “T’amo qual dama un angelo“ pas toujours donné, mais qui aide bien à comprendre la suite. Vibrant et passionné, un chant heureusement dépourvu de toute sophistication, suffisamment dramatique et complètement crédible scéniquement, voilà bien une découverte encore. Et quel duo de fin d’acte et d’opéra ! Point final : il reste quelques places !!
Théâtre du Capitole
Lucrezia Borgia (Gaetano Donizetti)