María Pagés, star du flamenco, transcende le célèbre personnage de Carmen dans Yo, Carmen, présenté à Odyssud. Un hymne dansé dédié aux femmes du monde entier.
On dit d’elle qu’elle est la reine du flamenco moderne. Danseuse arborant de longs cheveux bruns, elle est née dans le berceau du flamenco, à Séville. Bref, María Pagés avait le profil idéal pour incarner Carmen. Pourtant, elle a toujours refusé le rôle : trop stéréotypé. A 55 ans, ce n’est pas l’idée que la chorégraphe se fait de la femme : « Dans Carmen, c’est surtout le rôle masculin qui raconte tout, qui crée un personnage selon son idée de la femme », attractive parce qu’elle est belle et sensuelle, « je trouve que ce n’est pas ça la femme réelle » estime l’artiste.
En dix tableaux, entourée de six danseuses, elle brosse le portrait de la femme authentique telle qu’elle l’entend ; ses émotions, sa sensualité, sa solitude, la maternité et les inégalités. Yo, Carmen, un manifeste féministe ? « Si le féminisme c’est l’idée qu’hommes et femmes doivent continuer de travailler ensemble pour avoir les mêmes droits, alors oui c’est un manifeste féministe ».
Donner la parole aux femmes
La nouvelle de Prosper Mérimée n’est que le point de départ, le prétexte pour rendre un hommage vibrant aux femmes et faire entendre leurs voix. A l’occasion de leurs tournées, María Pagés et El Arbi El Harti, son mari et collaborateur, ont recueilli les témoignages de femmes du monde entier ; une aborigène en Australie, une geisha au Japon, une réfugiée nigériane en Espagne… Des idées communes ont émergées. Toutes partagent la même préoccupation de pouvoir revendiquer leurs désirs, leurs droits et leur liberté : « C’est à partir de ça que s’est construit Yo, Carmen. « Yo », ce n’est pas moi María ; c’est vous, elles, un moi collectif autour de l’idée universelle de la femme ».
La trame sonore résonne en ce sens, composée entre autre de textes de Marguerite Yourcenar, Margaret Atwood et de la philosophe espagnole María Zambrano. On y entend aussi des poèmes de María Pagés, artiste totale qui ne se contente pas de chorégraphier, de danser et d’écrire : elle imagine aussi les costumes de ses pièces ; robes longues taillées près du corps, rouges, pourpres ou couleur chair comme une prolongation de la peau : « J’aime le travail de la couleur. Quand nous travaillons sur une chorégraphie, je l’associe avec les costumes, toujours. C’est immédiat. C’est une continuité dans la création ».
« Le flamenco est un art en évolution »
Au rythme des chants, des guitares et des talons qui claquent sur le sol, María Pagés mêle avec soin tradition et modernité. Aux extraits de la partition de l’opéra de Georges Bizet se mêlent des musiques classiques et populaires ayant inspiré le compositeur de Carmen, ainsi qu’une réinterprétation flamenca d’airs classiques et une composition originale écrite spécialement pour le spectacle. La chorégraphe, qui a collaboré avec Mikhail Baryshnikov, Sidi Larbi Cherkaoui, Carlos Saura ou encore l’architecte Oscar Niemeyer, a le don d’ouvrir le flamenco au monde contemporain et de susciter le dialogue entre les genres : « Le flamenco est un art en évolution ».
Dans le centre chorégraphique qu’elle a créé et qu’elle vient d’inaugurer à Fuenlabrada près de Madrid, la danseuse se donne pour objectif de protéger le patrimoine chorégraphique tout en soutenant la création : « La tradition a un rôle important de transmission de générations en générations mais le flamenco doit aussi être un reflet de ce qui se passe dans la société actuelle, de ce que nous vivons ». Danser la vie en somme… Et le plus longtemps possible conclut la chorégraphe : « Je suis née danseuse. La danse fait partie de ma composition, alors je danserai toute ma vie même assise ou en dormant, et je me sens très privilégiée pour ça ».