May B, pièce chorégraphiée par Maguy Marin, est jouée au ThéâtredelaCité jusqu’au 1er décembre. Exigeante, étonnante, inquiétante. Assister à une représentation de ce spectacle est une aventure.
Le spectacle était attendu par les toulousains (par ceux qui se rendent au théâtre, par ceux qui aiment la danse). Le hall du ThéâtredelaCité grouille de spectateurs – il n’est que dix-neuf heures. Avant même que les portes de la salle principale soient ouvertes, ce qui traîne dans l’air, c’est l’atmosphère des grands soirs. Ceux où il est bon de ne pas se laisser endormir par la fatigue et la foultitude de (mauvaises) raisons de ne pas s’aventurer.
Maguy Marin est une fille d’ici. Née au tout début des années 1950, à Toulouse. Quelques années, donc, après la fin de la guerre. Une période où les artistes, les écrivains notamment, se demandent ce qu’il est encore possible de dire après ces assassinats massifs. Samuel Beckett écrit dans ces décennies. L’irlandais est le socle de May B. La chorégraphe le rencontre, à dix-huit ans, en 1981, après avoir contacté les Editions de Minuit (celles qui publient l’auteur). Elle désire créer en se servant de ses personnages, de cet égarement qui les caractérise.
Ainsi se fait May B. Le rideau se lève, lentement. Le plateau est nu. Dix danseurs, cinq hommes et cinq femmes, se tiennent sur scène, dans la pénombre. Leur visage, grimé d’argile, de craie grise. Leurs vêtements, blancs, tombants, légers, usés. Des boulangers épuisés ? Des vieillards ? Des gargouilles ? Des grabataires ? Ils gémissent, ensemble. Ils traînent des pieds. Ils avancent à pas de loups sur des oeufs. Ils ont la bouche pleine d’onomatopées. Ils forment un groupe dont on se demande s’il est humain. Du fond de leur gorge, s’échappe une voix maléfique, démoniaque, d’outre-monde.
Le bruit fort de tambours leur donne l’allure d’un char de carnaval déréglé. Leurs mains frappent leur corps, leurs pieds tapent la scène. Ils soufflent jusqu’aux oreilles des spectateurs. Tout fait son. Le silence, parfois, tombe brutalement, voile le plateau. Ça fait sens.
Ils sont vidés de leur force. C’est l’impuissance, qui se montre, sur scène. Elle est sexuelle. Les danseurs (les comédiens ? ils sont les deux) se grattent les fesses, les uns aux autres, se caressent les parties, s’astiquent, s’embrassent. Ils n’y arrivent pas, jamais. Ils se retournent, maladroits, ils se touchent, se repoussent, se prennent à l’envers. Ils se tordent, possédés. Ils se combattent. Ils se mangent, parfois. Leur corps sont des tables de travail, de découpe, enfarinées, sur lesquelles s’émiettent un gâteau (une comédienne en planque une part dans son habit, le spectateur est ébahi).
May B, c’est un démon qui lit Beckett. La pièce laisse le spectateur bouche bée, il l’emmure dans un caveau, sans lucarne par laquelle la lumière puisse percer. La chorégraphie est sans arrêt sur le fil, sur une ligne de rupture, elle avance en funambule. Elle tangue entre le rire et le désarroi, le silence et le boucan, la course et la statue, l’individu solitaire et la famille. Le spectateur est impuissant. Il ne peut tout apercevoir, il est impossible d’observer chaque danseur-comédien.
Ils applaudissent. La pièce n’est pas terminée. Les danseurs-comédiens reviennent. Ils passent une porte, traversent le plateau, sortent. Et, encore. Et, une nouvelle fois. Et, de même. Et, ils répétent. Cet éternel retour est démesuré. Le spectateur est épuisé. Il hallucine. Les projecteurs s’éteignent-ils ? Non. La lumière tombe-t-elle ? Non. La pénombre se fait-elle ? Non. Et, finalement… si. Rideau.
📍 Entretien avec Maguy Marin : un vent de révolte souffle sur Toulouse
Billetterie du ThéâtredelaCité
ThéâtredelaCité
May B de Maguy Marin
vendredi 30 novembre et samedi 1er décembre 2018