Oui, quel pied avec cette deuxième représentation de l’opéra La Ville morte qui a cloué dans son fauteuil le public, et ce sur deux heures. On n’a jamais aussi peu toussé dans une représentation en matinée ! Mais quand musique et chant et théâtre se conjuguent de la sorte, c’est un don du ciel pour les amateurs. Car oui, ça c’est de l’opéra.
Lire, ou relire mes articles, sur La Ville morte rubrique opéra, et Korngold et son concerto pour violon rubrique musique classique.
Remercions d’abord Erich Wolfgang Korngold, ce compositeur de 23 ans à la création, mais à l’ouvrage depuis plusieurs années déjà, et qui a écrit des pages pareilles pour un énorme orchestre et pour chanteurs, chœurs et maîtrise, et ce, sur un livret dont il est aussi le coauteur. On ne se prénomme pas Wolfgang pour rien. Musicien de génie, à l’évidence. Un compte-rendu de ce spectacle devient alors un exercice particulièrement délicat mais, on se lance. Et attaquons par la musique. Non, elle n’est pas tonitruante, et je dirais même que l’orchestration de cet ouvrage est étincelante. Une certaine démesure ? Et alors, il y a des paroxysmes musicaux, quelques-uns en accord parfait avec certains points du livret, un peu comme dans Elektra de Richard Strauss. Ils font alors ressortir d’autant des moments éblouissants de retenue, et il n’y a que rarement des instants où les voix peuvent paraître couvertes, je dis bien paraître. Le travail du chef Leo Hussain est énorme, et réussi, avec un orchestre de plus de 75 exécutants dont les qualités permettent ce type d’ouvrages. Bravo à l’ensemble de l’Orchestre du Capitole.
Sans plus attendre, disons tout le bien de cette mise en scène qui nous évite tous les pièges tendus par le livret. Ou plutôt tendu par le roman qui a servi de base au livret, et qui permet à certains metteurs en scène de nous asséner des visions psy les plus inconséquentes, pénibles, dérangeantes à l’œil, se complétant par des scènes graveleuses puisqu’on l’aura compris, Paul couche enfin avec Marietta, la danseuse. Ici, on n’est pas spécialement installé sur le divan freudien, ni dans la salle du docteur Bruno Sachs. Respect du livret mais celui du compositeur (et de son père en partie). Grâce à Philipp Himmelmann, metteur en scène, le principe des cases nous évitent tout cela. Et, fort astucieusement, mais là c’est moi qui le dit, les trois “cases“ en hauteur, très occupées, permettent au chant de s’éloigner de la fosse et c’est tout bénef’ pour l’équilibre musique et chant.
Livret respecté avec une mise en scène qui nous conduit bien jusqu’à la pleine assurance que Paul a bien vécu un rêve tout simplement. C’est suggéré et, parfaitement dirigé, ce sont les chanteurs qui, en plus de leur travail côté gosier, s’investissent dans la réalisation. Mais comme on ne leur demande pas n’importe quoi, ils peuvent et jouer et prêter la plus grande attention à leur chant. Décors discrets, lumières superbes, vidéos de même, le résultat question théâtralité est remarquable. Et pas de décorum extérieur, pas besoin de Bruges et ses canaux, un certain dépouillement qui n’entrave en rien le déroulement du spectacle.
Toujours côté réalisation, le tableau se rapportant à la troupe de Marietta venue jouer Robert le Diable à Bruges est en tout point réussi. Il nous permet aussi d’apprécier quelques seconds rôles, tous parfaitement tenus, sans oublier le superbe Fritz-Pierrot de Thomas Dolié, et les membres du Chœur du Capitole. Ceux qui pourraient s’étonner des délires ayant trait aux costumes et maquillages se dirigeront vers les années 20 donc, et Otto Dix par exemple.
Matthias Winckler, baryton, est parfait dans le rôle de Frank, avec toute l’autorité nécessaire, tout comme la mezzo de Katharine Goeldner dans celui, plus épisodique de Brigitta. Mais on reste “scotché “par le tandem Paul-Marie/Marietta. De Torsten Kerl, on sait que Paul lui appartient. Il le chante depuis bientôt 20 ans et la tessiture ne l’a jamais effrayé, et ne l’effraye toujours pas, d’autant plus qu’il était aujourd’hui plus en forme que jeudi. Rôle écrasant du ténor héroïque, d’une vaillance sans faille, qu’il mène jusqu’aux larmes dans sa dernière apparition qui pétrifie le public. Quant à Marietta, prise de rôle à ce qu’il paraît, c’est subjuguant. Tout au long de ce qui relève d’un véritable marathon, la soprano dramatique Evgenia Murareva est Marie/Marietta, et vocalement, sans faille, projetant avec toute la musicalité indispensable, et scéniquement par un tempérament dramatique réjouissant. On a le droit de signaler aussi une plastique qui est un atout supplémentaire pour un tel rôle, sans offusquer quiconque.
Maintenant, il faut aller visiter du côté points négatifs. Eh bien, désolé : RIEN. Une entrée de rêve au répertoire du Capitole.
Il vous reste 3 représentations pour apprécier ce chef-d’œuvre.
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Théâtre du Capitole
La Ville Morte • Erich Wolfgang Korngold