Le Théâtre du Capitole propose pour la première fois sur scène, une production de La Ville morte, opéra en trois actes, créé en 1920 – son auteur a 23 ans – acclamé durant des années puis oublié pendant des dizaines d’autres, et aujourd’hui affiché dans les principales capitales de la musique. Cinq représentations vous attendent à partir du 22 novembre.
Le come-back sur les scènes consacrées à l’art lyrique est assez fulgurant même si les difficultés de la mise en scène peuvent faire hésiter et retarder les projets. Ce retour rappelle l’époque glorieuse où, au lendemain de sa double création, à Cologne et à Hambourg (là, le triomphe est indescriptible !) le 4 décembre 1920, l’ouvrage était parti à Vienne et à New-York. Pour Paris, il faudra attendre 1982, à la Maison de la Radio, et encore en version concert. L’heure de la réparation teintée de revanche a sonné, d’aucuns louant à la fois la force théâtrale et les beautés musicales de cet ouvrage lyrique digne des plus grands du XXè siècle.
Dès la création à Vienne début 1921, après Violanta écrit à 16 ans et donné sur scène, une certaine Elsa Bienenfeld écrit : « Die tote Stadt affirme la maîtrise de l’âge adulte…Depuis que l’on écrit de la musique pour le théâtre, jamais compositeur n’avait accompli autant à un aussi jeune âge… Une tempête juvénile souffle sur nous…Qui peut dire où ce jeune démon, ce glorieux artiste et ce musicien original va maintenant nous conduire ?… » Au milieu des années 1920, en Allemagne et en Autriche, Korngold est le compositeur germanique le plus souvent représenté, après Richard Strauss. Quand on sait qu’il sera obligé de quitter Hambourg en 1934 pour les Etats-Unis en exil forcé, quel étrange destin que celui de ce surdoué, adulé dans sa Vienne d’adoption et devenu outre-Atlantique, musicien de tant de films (17) à Hollywood, de 1935 à 1946, comme Les Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz, ou du même metteur en scène, The Sea Wolf / Le vaisseau fantôme.
« Le plus bel espoir de la musique germanique » dixit Puccini, entame la composition de son troisième opéra en 1916, l’année de ses 19 ans. Il a déjà été remarqué par un certain Gustav Mahler qui, à la lecture de quelques lignes de partition écrites par le petit Erich, se serait écrié en 1906 !! : « Un génie ! Un génie !! » L’enfant n’a pas dix ans. La source de son futur ouvrage est un roman d’une centaine de pages de Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, écrit en 1892, un véritable best-seller à l’époque, l’un des plus représentatifs du mouvement symboliste, et également l’un des plus célèbres de son auteur. L’intrigue du roman (voir plus loin le synopsis de l’opéra) met en scène le personnage de Hugues, un homme qui pleure la mort de sa femme. Un miracle lui fait rencontrer, dans la rue, celle qui pourrait être le double de la disparue. Il l’invite chez lui, la séduit, lui donne un toit et, dévoré par le remords, l’étrangle avec une des tresses des cheveux de son épouse, religieusement conservée dans son écrin que la curieuse a eu le tort de profaner.
Mais avant de devenir Die tote Stadt, le roman va subir de profondes transformations. D’abord, sachons que le livret est écrit par le fils et par le père, Julius. Ce dernier étant un éminent critique, il va se camoufler derrière un pseudo, Paul Schrott, Paul étant le prénom choisi pour le héros, et Schrott, comme les éditions …Schrott, Paul Schrott héritant de la paternité de l’opéra. Julius nous donne quelques indications sur le travail avec son fils. « La transformation de l’intrigue en rêve est mon idée. Je souhaitais adoucir l’impact de la strangulation, et conclure sur une note élégiaque ».
Erich Wolfgang Korngold
Quant au compositeur, il s’explique sur ce qui l’a attiré dans le roman de Rodenbach : « Cette atmosphère mélancolique, si typique de Bruges ; le conflit spirituel entre les deux principaux personnages ; le pouvoir érotique de la femme vivante luttant contre l’influence de la morte ; le concept fondamental de l’affrontement entre la vie et la mort, plus particulièrement la manière dont les exigences de la vie peuvent nous aider à relativiser notre chagrin devant la perte d’un être cher. » Quel décor extraordinaire en effet que cette ville immobile, figée et encerclée par ses canaux. Comme le Pelleas et Mélisande de Maurice Maeterlink, les deux ouvrages contemporains baignent dans une même eau noire qui attire et engloutit. En transformant le récit en rêve, Korngold s’ouvre d’infinies opportunités de varier les atmosphères et de créer une fantasmagorie colorée, tant sur le plan visuel que musical. La cantatrice chantant les deux rôles, Marietta sera la vivante, et Marie, forme anoblie de Marietta sera la défunte. Le spectre de cette dernière est l’expression imagée de ce phénomène que l’on commence à explorer au XXè siècle : la névrose.
Et puisque nous sommes dans le rêve, Korngold ne souhaite pas accentuer, ni la violence, ni l’horreur du récit et, s’écartant de tels chemins, préfère composer une sorte de vaste poème épique pour voix et orchestre, sur un sujet puissamment romantique et passionné. À l’atmosphère du roman, Korngold substitue un climat d’une sensualité étouffante. Le synopsis devient alors : Veuf inconsolable, Paul vit à Bruges dans le souvenir de sa défunte épouse, Marie. Ni Brigitta, sa gouvernante, ni Frank, son ami proche, ne peuvent le sortir de ses pensées. L’atmosphère de cette ville l’envoûte au point qu’il croit un jour revoir sa Marie sous les traits de Marietta, une danseuse à laquelle il succombe. Sa brève aventure avec elle lui révèlera l’inanité de son fantasme. Quant à la vulgarité de Marietta, elle salit la mémoire de Marie. Délivré après avoir étranglé Marietta en rêve, Paul décide de quitter la “Ville morte“.
En 1918, il va s’interrompre sur le sujet, pris par de multiples occupations. Il entame ainsi une nouvelle carrière de chef d’orchestre tout en continuant à composer d’autres pièces. Son opéra s’appelle encore Der Triumph des Lebens (Le Triomphe de la vie). En effet, même si notre sujet renferme des éléments morbides et fantastiques, l’ouvrage se présente davantage comme un hymne à la vie que sous l’apparence d’une méditation sur la mort. C’est le temps des folles années vingt qui commencent, et celui de sa propre précoce et spectaculaire réussite, somptueusement ignorée par presque toutes nos “bibles“ musicales rédigées en français !! Un comble. C’est ainsi le temps de l’usage répété de l’adjectif “nouveau“, appliqué à chaque concept. Admirons les peintures d’Otto Dix et les collages dadaïstes de Raoul Hausmann, ou les œuvres de Christian Schad, chantre de la Nouvelle Objectivité, pendant que le Berlin des années 20 est plongé en partie dans cette fête fantasmée, ponctuée de cabarets et de chorus girls.
Pendant ce temps, avec La Ville morte, Erich Korngold devient comme le fils spirituel de Gustav Mahler, Alexandre Zemlisky et Richard Strauss.
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Ne pas oublier de consulter pour participer à tous les événements ayant lieu autour de cet opéra. Citons l’Atelier Korngold le samedi 24 novembre à 17 h au Théâtre, le samedi 19 au Gœthe-Institute, une rencontre avec Torsten Kerl, les conférences,……
Michel Grialou
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
La Ville Morte • Erich Wolfgang Korngold