En septembre dernier, s’est tenue au Palais des Congrès Pierre Baudis pour la 7e année consécutive à Toulouse la nouvelle édition du Cartoon Forum, événement européen qui se présente lui-même ainsi :
Cartoon Forum is a pitching & co-pro forum for animated TV projects. For 3 days, producers have the opportunity to pitch their project in front of 1000 broadcasters, investors and other potential partners from 38 countries. Since its creation in 1990, 758 series found financing, representing a total budget of 2.5 billion EUR.
Cette année, 83 projets ont été présentés, et même si l’événement est européen avec comme invité d’honneur la Finlande, le Canada et des pays d’Asie et d’autres continents sont présents.
Concrètement, comment se déroule une journée typique ?
Tous les participants se rendent au Centre Dominique Baudis. Et se rendent au niveau -1 pour prendre un petit-déjeuner. Cette année, on était plus de 1000. Gros petit-déj’ donc, appelé le Croissant Show. Pendant qu’on finit de se remplir le bidou, les présentations des pitches de la matinée sont présentées sous forme de petites vidéos (bande-annonce, ou teaser, ou extrait). Il faudra choisir, car on ne peut pas tout voir. En effet, dès 10h, 3 projets sont présentés, chacun dans une salle, la Blue room, la Pink room, la Purple room, classées ici en nombre de places décroissant. Donc, soit on sait déjà ce qu’on veut voir, soit le Croissant Show est l’occasion de se positionner sur le projet, en fonction du pays, de la tranche d’âge du public ciblé, du projet en tant que tel, que ce soit pour sur le fond (l’histoire pour faire simple) ou la forme (l’animation choisie), ou le genre (pédagogique, divertissement etc). Chacun remplit le petit livret « agenda & notebook » qu’on nous a remis, et hop, on se dirige vers la salle choisie.
Au rez-de-chaussée, chaque participant a une boîte au lettre où les pitcheurs ont laissé des cartes postales, flyers, ou petits cadeaux. Car oui, le but est quand même de décrocher des partenariats, donc tous les moyens marketing sont utilisés. Donc, on se rend devant l’une des 3 salles réparties au +1 et +2, et le badge que chacun porte est reconnu automatiquement par un portillon avant de rentrer dans la salle, ce qui permet de savoir au pitcheur qui a assisté à sa prestation (journaliste, producteur, scénariste, diffuseur etc). Une équipe de jeunes bénévoles, les Toonies, nous proposent des casques avec traductions simultanées en français ou anglais. Une fois installés, on doit attendre le feu vert de la régie, car les 3 pitches doivent commencer en même temps, sinon, les suivants seront décalés et ce serait l’apocalypse. Le temps en salles dure 20 min (pitch + questions si le temps le permet) où un modérateur veille au grain (il a même un timer devant lui avec des voyants vert, orange ou rouge si le pitch est trop long), puis les échanges peuvent continuer autour d’une table à la sortie de salle, avec distribution de cartes de visite, félicitations.
Un break de 15 minutes est prévu à 11h15, puis déjeuner à 13h, avec le Coffee Show où nous sont proposées les présentations des pitches de l’après-midi.
Avant de parler des projets en tant que tels, évacuons de suite les aspects généraux.
– Bravo à l’équipe des Toonies, toujours au taquet, souriants, qui accueillent donc les participants dans chaque salle, leur distribuent des petits cartons (pour récolter les avis) et des casques pour la traduction. Avant de rentrer dans la salle, la langue dans laquelle se fera le pitch est annoncé. Donc, la plupart des projets même français peuvent se faire en anglais. Mais entrer dans une salle où il est indiqué « en anglais » qui commence par « on est français, alors on va parler français » n’est pas une boutade, mais un irrespect total pour les non-francophones de la salle, qui ont dû quitter leur siège pour vite aller récupérer des casques, que les Toonies étaient venus apportés.
– Tous ces oraux ont pour but de trouver des partenaires, donc, mine de rien, ils ont tous une sacrée pression, qui paraît ou non sur le visage de celui qui parle. Donc, quand il y a un bug informatique, cela peut-être pire. Mais tout le monde en étant conscient, le « oh putain » lâché d’une pitcheuse a fait rire l’intégralité de la salle, sans que personne ne soit choqué. Mais c’est plus sur le rôle des modérateurs où je voudrais m’attarder. S’ils sont garants de la bonne tenue de l’oral, ils devraient être, selon moi, bienveillants, accueillants, rassurants envers ceux qui vont parler. Si les formules « je suis ravi d’être là pour écouter ce projet qui m’a beaucoup plu » peuvent paraître cliché, ou dans un sens obligé, il n’en est rien, puisque les modérateurs connaissent les projets, les travaux précédents etc, et chaque phrase d’accueil, de tous les pitches auxquelles j’ai assistés, est toujours différente et contextualisée. Il est donc étrange, et pour moi plus que grossier, d’entendre Francis Nielsen faire des blagues – qui ne font rire que lui et qui donc n’en sont pas -, mais pire, déstabiliser les pitcheurs, et créer un malaise dans la salle.
– Il y a eu deux sujets que je pourrais qualifier de tabous. Le premier étant les répercutions de l’arrêt de la chaîne France4. Avec sa réforme de l’audiovisuel du Ministère de la Culture, France4, qui propose en effet beaucoup de programmes d’animation, va donc être supprimée. Même en demandant aux responsables de programmes des autres chaînes de France Télévision si cela aura une incidence sur leur création avec par exemple une redistribution des programmes de France4, ils n’en savent pas davantage que moi. Second sujet : l’arrivée de Netflix qui diffuserait donc des programmes d’animation, ce qui n’est pas un problème en soi, mais le fait qu’aucune demande d’interviews n’est aboutie est plus surprenant.
– Et pour finir, les similitudes entre projets d’animation TV et le Cinéma. Les passerelles entre les deux sont de plus en plus nombreuses, et j’ai donc pu écouter des présentations faites par des noms que je connais du cinéma, du court-métrage. Les programmes dits « spéciaux », à savoir un seul programme de 26 minutes, sont en effet très proches de court-métrages, et il n’est pas rare de les voir regroupés dans un programme de court-métrages en salles de cinéma. Si les personnages de Panique au village ! ont été des personnages de la série, on les retrouve aussi dans un film, et des spéciaux, qui ont été aussi projetés en salles. Par contre, les mêmes « faits » rencontrés au Cinéma se retrouvent aussi en programmes TV, à savoir donc, l’arrivée de Netflix, mais aussi le nombre important d’adaptations de livres, un peu comme les franchises au Cinéma : sortir un film Marvel, c’est parier sur la curiosité des fans des bandes-dessinées, avoir déjà un public acquis. Il y a toujours eu des adaptations – de mon temps, c’était Ulysse 31, Les Schtroumpfs, mais c’est plus la diminution de projets originaux, comme si la prise de risque devait être la plus petite possible.
Et maintenant, les projets qui ont retenu mon attention :
NotFunny, série allemande Nichtlustig de 25 épisodes de 15 minutes pour les jeunes adultes et adultes, de Josha Sauer, qui adapte sa bande dessinée, en souhaitant en garder l’esprit, et se focalisant sur cinq personnages principaux : une femelle lemming qui veut se suicider, un professeur et un dinosaure bloqués dans une machine à voyager dans le temps, un Yéti , la mort qui vit une relation gay avec un caniche rose et un personnage qui vit dans un mur.
D’autres personnages tels que les Village People, un canard, un alien, Octozilla et d’autres compléteront la galerie où chaque épisode comprendra les cinq variations autour de chaque personnage principal, qui se regrouperont à la fin. L’esprit sera entre Pulp Fiction et celui développé par les Monty Python. Les extraits en animation 2D étaient franchement décalés.
Tufo, spécial italien de 26 minutes pour la famille, présentée par sa réalisatrice Victoria Musci qui nous explique qu’elle a grandi en Italie, avec les histoires de mafia passées, mais jamais celles actuelles. Basé sur l’histoire vraie d’Ignazio Cutrò qui, en ayant collaboré avec la police, a permis l’arrestation de certains membres de la mafia. Par peur des représailles, il quitte la Sicile avec sa femme et ses deux enfants, mais les pleurs de sa fille lui font changer d’avis, et sa famille réintègrent la société civile. Par ce programme avec animation 2D sur des décors en prise de vue réelle, la réalisatrice espère « aborder la dignité et redonner espoirs aux jeunes générations ».
Rabbit from a Tin Hat, série serbe de 12 épisodes de 11 minutes pour les jeunes adultes et adultes, présentée par deux auteurs et producteur serbes « on a changé de pays (Yougoslavie, Serbie) sans bouger de chez nous. Pour nous protéger, nos parents nous cacher certains événements de la guerre. Puis avec Internet, on a vu et su. Mais encore aujourd’hui, on peut avoir du mal à distinguer le réel de l’imaginaire, car il y avait aussi la parution de magazines traitant de la parapsychologie, au sujets bizarres et même plus ». A partir d’eux, ils ont voulu concevoir un documentaire animé mêlant l’ésotérisme, la parapsychologie en temps de crise internationale. Un peu comme certains épisodes de X-Files, où la science et l’imaginaire se côtoient. Les décors seront des photocollages, le tout en noir et blanc, avec très peu de couleur. Dans l’épisode 1, il sera question de l’utilisation de pendule pour retrouver des bateaux. Chaque épisode suivra un personnage dans un contexte bien précis, 12 au total.
Maman pleut des cordes, spécial français de 26 minutes, d’Hugo de Faucompret, issu des Gobelins en 2015, que l’on connait déjà pour son travail autour du poème Automne du programme En sortant de l’école. La bande annonce au moment du Croissant Show a porté ses fruits : salle plus que comble.
L’histoire se centre autour d’une petite fille dont la mère est en dépression « mais ça ne sera pas triste, promis ! Car la dépression n’a pas à être tabou ». Elle est envoyée chez sa grand-mère, où elle va se faire de nouveaux amis, et aussi rencontrer un gigantesque vagabond dans la forêt. Les dessins mêlant dessins et peintures sont splendides, le projet original.
Little People, Big Dreams, 26 épisodes espagnols de 11 minutes destinés au 4-7 ans. Adaptés de 21 livres pour enfants traduits en 20 langues, chaque récit raconte l’histoire d’une petite fille qui a poursuivi son rêve, et aura un fil conducteur identique : le rêve de la petite fille, son parcours, les embûches et la réussite, avec la prudence que ce mot exige vu qu’un des personnages sera inspiré de la vie d’Anne Franck. Chaque épisode sera fait par un artiste différent, avec une musique propre à chacun. Il y aura aussi une chanson du pays pour chacun, avec par exemple une chanson mexicaine pour l’épisode consacré à Frida Kahlo. Même si cette série ne concerne que des personnalités féminines, elle ne s’appelle pas Little Girls car « nous ne nous adressons pas uniquement à un public de petites filles, car ces histoires s’adressent à tout le monde ».
A Bear Named Wojtek, spécial (coproduction Royaume-Uni et Pologne) de 30 minutes à destination de toute la famille. Voici comment le projet nous a été présenté : A Bear Named Wojtek tells the fantastic journey of an orphaned Syrian brown bear who was adopted by Polish soldiers during World War II, becoming a beacon of hope and an emblem of their fate. A half hour animated film, A Bear Named Wojtek is essentially a love story for one’s homeland : an important subject in times of refugees, nationalism and xenophobia. It relates the experience of the Polish people during World War II through the true story of Wojtek and his friend Peter Prendys, a driver in the 22nd Artillery Corps of the 2nd Polish Army. The journey takes Wojtek and Peter from the Persian mountains to Egypt, travelling through Italy and on to Scotland, ending at Edinburgh Zoo.
A partir de cette histoire vraie qui marque encore la Pologne et l’Ecosse, le réalisateur Iain Gardner souhaite une animation 2D traditionnelle avec une technologie permettant de rendre les coups de pinceaux. Ses références sont The Snowman de Raymond Briggs et L’Homme qui plantait des arbres de Frédérick Back. Le dessin et l’animation que nous avons pu voir sont superbes.
Noah’s Tree, spécial hongrois de 25 minutes en stop-motion, à destination de la famille pour Noël, réalisé par Péter Vácz, à qui l’on doit le merveilleux Rabbit and Deer.
Le personnage principal est un jeune garçon qui a pour copain un petit bâton. Il fait des sculptures, et inconsciemment, il fait un trou au niveau du cœur, et de son cœur, un arbre en sort.
Le garçon se réveille dans une forêt où les arbres parlent. Avant d’être ces arbres, ils ont été des humains, qui n’ont pas su régler leurs soucis. Deux elfes poussent le garçon à exprimer ses émotions. De retour chez lui, le garçon dit à ses parents qu’il ne comprend pas pourquoi ils ne s’aiment plus et pense qu’ils ne l’aiment plus. Le réalisateur nous confie que c’est un sujet très personnel, que son frère a souffert du divorce de ses parents « si on exprime ses émotions, c’est la meilleure chance de trouver une solution. Noël devrait être un moment joyeux mais il arrive qu’on ressente encore plus l’absence des êtres aimés »
Dans ta face, série française de 30 épisodes de 1 minutes 30, à destination des jeunes adultes et des adultes. « Trop gay, trop noir, trop grosse etc, il y a toujours quelqu’un pour qui on est « trop » quelque chose, et qui nous agresse. Chaque épisode décrira donc une personne dérangée dans son quotidien, qui se fait agresser. S’en suivra une répartie qui claque, sans violence mais toujours avec de l’humour. Dans chaque épisode, on décrira une scène de vie courante, mais on ne saura pas qui va harceler et qui va répondre avec humour, car les agresseurs n’ont pas de stéréotypes ». La présentation a conquis l’ensemble des spectateurs, car on a tous assisté à une telle scène, et une fois à la maison, à cogiter sur comment on aurait pu agir. L’humour comme défense, j’adhère !