Ils y montent toujours avec la même bonne humeur des spectacles qui font salle pleine. Stéphane Batlle et Pierre Matras les deux directeurs artistiques du Grenier de Toulouse n’en démordent pas, ils sont heu-reux et c’est tant mieux. Pour preuve cette nouvelle saison, jalonnée de reprises à succès mais aussi de créations et toujours portée par un enthousiasme qui fait plaisir à voir.
Open
« Au Grenier de Toulouse, on monte des pièces pour se faire plaisir. Oui, parfaitement. Et en toute honnêteté, notre satisfaction maximale est atteinte quand la salle est debout et applaudit. » C’est par ces mots, qui leur ressemblent dans leur sincérité et leur spontanéité, que s’ouvre l’édito de la plaquette de saison d’une des plus vieilles compagnies de théâtre de Toulouse qui décidément ne fait pas son âge. D’autant que la troupe, au fil des années, s’est enrichie de jeunes recrues et qu’elle est régulièrement rejointe, sur les différents projets, par la fine fleur des comédiens en herbe de la région.
Installée à Tournefeuille la compagnie a inauguré l’an dernier un équipement flambant neuf : la Maison du Grenier est à la fois leur nid, la salle de création et de répétition de la troupe et le siège de l’Ecole d’Art Dramatique de la compagnie et est aussi proposée à la location pour les entreprises, associations ou autres compagnies artistiques. Une ruche qui bruisse de leurs activités multiples. Les spectacles ont en général lieu à l’Escale voisine, salle de Tournefeuille, mais les partenariats (notamment avec la salle Altigone à Saint Orens ou la Comédie de Toulouse) et les tournées (en Haute-Garonne, en Bretagne, dans le Gers, le Tarn, dans les Pyrénées orientales et même jusqu’à la Comédie Bastille à Paris) permettent désormais à d’autres publics de découvrir leurs créations. Ils sont open !
Oscar et la dame rose en tournée
Difficile de privilégier tel spectacle plutôt qu’un autre, mais c’est le jeu (et puis rien n’empêche le spectateur gourmand d’aller se plonger dans la liste exhaustive des propositions sur leur site). Il y a bien sûr des incontournables dans leur programmation et Oscar et la dame rose en fait partie. Pour ceux qui connaissent l’histoire, ils en savent d’avance la grande émotion, mais pour les autres il faut juste s’imaginer un comédien plus tout jeune (oups, pardon) qui réussit la performance d’incarner à lui seul une galerie de personnages, à commencer par un petit garçon de dix ans. Oscar est malade, il écrit à Dieu qui lui a fait cette mauvaise blague, sur les conseils de mamie Rose qui veillera sur lui jusqu’au bout.
« Cher Dieu,
Je m’appelle Oscar, j’ai dix ans, j’ai foutu le feu au chat, au chien, à la maison (je crois même que j’ai grillé les poissons rouges) et c’est la première lettre que je t’envoie parce que jusqu’ici, à cause de mes études, j’avais pas le temps. »
Inutile de préciser qu’il faut au comédien le bon doigté pour ne pas sombrer dans le pathos dégoulinant et çà tombe très bien parce que Pierre Matras, qui l’a joué des centaines de fois désormais, est ici très sobre et infiniment juste. On le savait drôle, le texte l’est aussi, profondément, mais le voilà vraiment émouvant. On avait vu la pièce toujours montée avec des comédiennes femmes, Annie Duperey, Danièle Darrieux, qui incarnaient le point de vue de mamie Rose. C’est peut-être là la clé de la version du Grenier : Matras donne à entendre le point de vue d’Oscar et ça change tout. A saluer quand même encore une fois, car on salue le comédien, la mise en scène maîtrisée de Lucie Muratet qui lui offre le rôle dans un bel écrin de simplicité sans effets de manche.
C’est tellement bien qu’il s’exporte à Paris à la Comédie Bastille du 20 septembre au 6 janvier prochain (Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert, Paris 11ème / Dates et horaires sur comedie-bastille.com) et que les gens de la région n’auront que deux dates pour le (re)voir à Altigone à Saint-Orens-de-Gameville vendredi 29 et samedi 30 mars 2019 à 21h.
Cyrano de Bergerac en reprise
Il y a une autre émotion différente bien sûr à revoir le succès de Cyrano de Bergerac dans la mise en scène de Laurent Collombert. Une émotion liée aux personnages et au texte magnifique de Rostand qui peut se voir, se revoir et même se re-re-voir tellement on en redemande des serments murmurés sous un balcon à la belle Roxanne ou des tirades de hâbleur à propos d’un nez.
Cyrano de Bergerac se savoure quelle que soit le dosage. Bien sûr il faut des comédiens solides pour prendre leur place derrière les Daniel Sorano et autres Gérard Depardieu de notre panthéon, mais Laurent Collombert qui est présent dans la majeure partie des créations de la compagnie depuis 2007 s’est attaqué à ce gros morceau de répertoire sans sourciller. Un acteur solide donc, qui a également incarné (et il le reprend cette saison) l’Etranger de Camus mis en scène par Stéphane Batlle. Des rôles phares dans une carrière, mais Collombert a la discrétion et l’humilité de ceux qui se savent aussi bien entourés : une vingtaine de comédiens sont à ses côtés, pour incarner les Cadets de Gascogne, les jeunes filles et les figures phares du texte de Rostand. Un chœur formé par l’ensemble vocal Les Chant qui p’l’eut sous la houlette de Julie Briend-Lefrançois assure la partie musicale de cette superproduction. Masques et combats réglés au millimètre viennent parfaire le tout.
Et de nouvelles créations…
Mais une nouvelle saison ne serait rien sans les nouvelles créations : la troupe monte trois nouvelles propositions, Les affaires sont les affaires d’Octave Mirbeau, Roméo et Juliette et Même pas mal ! de Dolores Gracia mise en scène par Cécile Carles, respectivement pour les fêtes de fin d’année, au printemps et en avril.
« Les affaires sont les affaires » mise en scène par Stéphane Batlle entre de plain pied dans un des répertoires de prédilection du Grenier, le comique début de siècle. Chef-d’œuvre théâtral de Mirbeau, comédie à la Molière, la pièce a été créée en 1903 à la Comédie-Française, avec un succès qui ne s’est jamais démenti lors des très nombreuses reprises jusqu’à aujourd’hui. A la tête d’une fortune colossale, Isidore Lechat est prêt à tout pour s’enrichir encore et encore. A priori un être peu sympathique et pourtant : tout le talent de Mirbeau sera de nous le faire voir autrement, pétri d’humanité et surtout extrêmement drôle.
Faut-il encore présenter Roméo et Juliette ? La pièce est tout simplement my-thique. Ecrite en 1595, elle reste la tragédie la plus jouée de William Shakespeare et ses jeunes amants sont connus dans le monde entier comme symboles de l’amour. Avec ce choix la compagnie poursuit son envie de redécouvrir les Classiques en les donnant à jouer non seulement aux piliers de la troupe mais surtout, et là il le fallait, aux plus jeunes recrues (Loïc Carcassès, Rose-Hélène Michon, Lucas Saint Faust, Cédric Guerri) qui ont quasiment l’âge des rôles. Pierre Matras, quinze ans après avoir joué lui-même le rôle-titre sous la direction de Maurice Sarrazin au Théâtre Sorano, rêvait d’en donner sa version. C’est chose faite puisqu’il la met en scène avec son complice Stéphane Batlle..
Enfin Même pas mal ! est une création mise en scène par Cécile Carles. Elle a confié à la comédienne Muriel Darras dont on connaît la fougue et la tendresse le soin d’incarner Dolores, enfant bagarreuse qui est devenue pionne dans un collège et qui se souvient de ses émotions de môme. Même pas mal ! comme elles le disent « c’est l’histoire d’un tas d’enfants, ceux que nous étions, que nous aurons, qui sont là et le revendiquent : humains, croûtes sur les genoux et gros mots plein la bouche, cherchant le bonheur sans comprendre la formule magique. L’histoire d’une enfant devenue femme ». A découvrir.
Cécile Brochard
Grenier de Toulouse
Saison 2018 / 2019 • Tournefeuille
Cyrano de Bergerac © Isabelle Matras • L’Etranger © David Gaborit • Romeo & Juliette © Pascal Campion