Son premier livre a été publié en 2010 aux éditions Le temps qu’il fait, comme le premier roman de Christian Bobin autre amoureux des silences intenses, qui l’a encouragée dès le début à persévérer. Aujourd’hui Léonor de Recondo a publié cinq romans et peaufine une petite musique bien à elle…
Comment en vient-on à se décider à écrire « pour de vrai », à se donner à lire?
« J’ai beaucoup tourné autour de l’écriture. J’ai commencé par écrire des journaux intimes, puis de la poésie, du théâtre, j’avais toute une ribambelle de cahiers entamés. Et puis un jour j’ai décidé d’aller au bout de la démarche. Je me suis lancé le défi d’écrire un roman. Puis de le publier. Ce texte de forme très hybride, entre la poésie et le roman, n’a pas trouvé d’éditeur. Trop touffu. Dans un premier roman, on veut dire trop de choses. De ce premier acte j’ai essayé de faire mieux ; j’ai écrit alors La grâce du cyprès blanc envoyé par la poste à une vingtaine d’éditeurs. On écrit un texte et à un moment, quand on l’a corrigé, repris, re-corrigé, on sait qu’on a fini. Il faut alors un regard extérieur, celui de l’éditeur. Mon texte a donc été lu, j’ai eu des réponses, notamment de Sabine Wespieser mon éditrice actuelle qui ne l’a pas pris. Mais qui a publié le suivant, Rêves oubliés en 2012, et c’est comme cela que l’aventure a commencé. Tout s’est fait assez simplement finalement.»
Une fois le premier publié, les livres suivants en découlent-ils, comme liés par un fil secret ?
« Le fil secret (rires) c’est moi. Il n’y a pas de plan établi, quelque chose de conscient qui guiderait l’intention. Même si effectivement, au fil des romans il y a quelque chose de plus large qui s’esquisse. Autour des thématiques qui reviennent, autour du corps, des corps, du fait d’être ou de devenir soi. Ce qui est récurrent, c’est aussi qu’à chaque nouveau roman je suis dans le même état : je suis obsédée, longtemps avant, et pendant toute son écriture par ce roman à venir. Je passe tout mon temps avec mes personnages, je suis travaillée, habitée par le moyen de rendre leur incarnation, par leurs émotions. Puis quand le livre est fini, plus du tout : une fois le livre écrit, ils s’en vont vivre ailleurs. Dans leur rencontre avec les lecteurs. Ils me quittent complètement. Le livre passe. Et l’écriture circule.»
Cette écriture parlons-en : elle a quelque chose d’à la fois minéral et très sensible…
J’y travaille vraiment, je corrige beaucoup mes textes. Même si il est vrai qu’il y a déjà dans ma façon d’écrire à la base une certaine ascèse, des phrases concises. Je n’écris pas baroque au départ pour finir par tout enlever (rires). Je cherche le minimum de moyens pour aller précisément à l’émotion. Et le minimum d’effet pour laisser de la place à l’imagination. Pour moi l’important c’est ce qui se passe entre les lignes. Et je travaille aussi beaucoup la fluidité. Comme dans mon autre métier de musicienne, je sais depuis que j’ai commencé, qu’écrire est une discipline. Je suis très consciente du travail que cela demande, un travail quotidien. Pour que ce soit beau, sobre, limpide, avec des respirations. L’écriture a vraiment tout à voir avec la phrase musicale, ce sont les mêmes notions qui sont à l’œuvre.»
Comment vous emparez-vous de ce matériau de la langue?
Je parle plusieurs langues, l’espagnol, l’italien, l’anglais apprises de par mon histoire familiale (exilée au moment de la guerre d’Espagne), dans mes études à l’étranger, etc. De mon point de vue, on comprend une culture quand on en connaît la langue. Je suis sensible aux rythmes, aux sonorités, aux aspects grammaticaux d’une langue. Dans mon dernier roman par exemple Point cardinal j’ai beaucoup travaillé sur les pronoms il/elle puisque mon héros Laurent change d’identité et devient une femme. La langue nous définit : elle permet de se sentir soi. Elle est très liée pour moi aux questions d’identité.
Et très en prise avec l’époque et le monde dans lesquels on vit ?
Oui bien sûr, la langue est le reflet des avancées d’une société, du regard et de la pensée collective portés sur ces sujets. La question du genre, le mariage pour tous, etc. Je ne parle pas là de l’écriture inclusive qui ne m’intéresse pas, pour moi elle n’a aucun intérêt littéraire ou poétique. Je vis dans mon temps, je suis poreuse avec ce qui se passe dans la société. Ecrire est un acte politique, mais les événements sociétaux ne pré-définissent pas mes thématiques. J’écris plutôt poussée par la curiosité. Et centrée sur le corps. Et sur l’énergie que doivent déployer mes personnages. Sur les armes qu’ils vont pouvoir utiliser quand ils sont en difficulté. Et sur leur grande sensibilité au monde…
Cette sensibilité, elle éclaire la plupart de vos romans…
Je suis en effet très sensible à la nature, à la lumière. La lumière sur la montagne par exemple me remplit de joie. C’est une notion moins présente dans Point cardinal qui est très centré autour de l’être, mais c’était primordial dans Pietra viva autour de Michel Ange. La nature y est très inspirante, très spirituelle. Ecrire comme toute œuvre d’art c’est donner à lire, à voir, c’est donner tout court. C’est un acte généreux. Ecrire c’est tendre vers la lumière. C’est essayer de comprendre le monde et de transmettre une émotion profonde. C’est créer, en écrivant, un espace contemplatif. J’avais des parents plasticiens qui m’ont transmis ce sens d’une beauté qui nous dépasse, qui est toujours là. C’est une transcendance. »
Propos recueillis par Cécile Brochard pour FLASH le mensuel
Léonor de Recondo © Emilie_Dubrul
Léonor de Recondo a publié Rêves oubliés, Pietra viva, Amours et Point cardinal tous chez Sabine Wespieser éditeur.
Elle sera présente au Marathon des mots le 28 juin à 18h à la librairie Les Passantes à l’Union, le 29 juin à la librairie Privat à 11h pour mener en binôme avec Olivia Gazalé une réflexion sur l’identité masculine (thème central du Marathon des idées) et le même jour à 14h30 à la Chapelle des Carmélites avec le comédien et metteur en scène Clément Hervieu-Léger pour une lecture de Point cardinal.