Exposition Chemins de Compostelle au couvent des Jacobins du 29 mai au 2 septembre 2018
Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO il y a vingt ans. Pour célébrer cet anniversaire dans une des principales villes-étapes sur les chemins de Saint-Jacques, de nombreux événements sont organisés en 2018 à Toulouse. Parmi ceux-ci, du 29 mai au 2 septembre au couvent des Jacobins, une passionnante exposition qui permet au visiteur de découvrir ce qu’étaient les motivations, le parcours et la vie du pèlerin à l’époque médiévale.
Petit cours d’histoire et présentation de l’exposition avec la très érudite Marie Bonnabel, conservatrice du couvent des Jacobins, initiatrice et conceptrice de l’événement.
À quelle époque ont lieu les premiers pèlerinages à Saint-Jacques-de-Compostelle en Europe ?
Le corps de Saint Jacques a été découvert en Galice au IXe siècle mais c’est vraiment à partir du XIe que les chemins menant à Compostelle vont être très fréquentés par les pèlerins. Cette forte fréquentation se poursuit durant toute la période médiévale, véritable âge d’or du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, avant de connaître un coup d’arrêt avec la Réforme et le développement du protestantisme au XVIe. Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’on constate un regain du pèlerinage de par la volonté des autorités ecclésiastiques de la basilique de Compostelle. À partir de 1930, la redécouverte du Guide du Pèlerin, livre très ancien qui ne portait pas ce titre à la base mais réintitulé ainsi à l’époque, inaugure la vogue du pèlerinage ou plutôt des chemins de Compostelle tels qu’on les connaît actuellement, avec pour certains pèlerins des motivations religieuses et pour d’autres un intérêt sportif ou de défi lancé à soi-même.
Quand Toulouse devient-elle une étape importante voire un haut lieu du pèlerinage sur les chemins de Saint-Jacques ?
Toulouse devient une étape notable sur la route de Compostelle grâce à la basilique Saint-Sernin, lieu de recueillement important en raison de la présence des reliques de Saint Saturnin devenu par la suite Saint Sernin. Comme pour Saint-Jacques-de-Compostelle, l’âge d’or du pèlerinage à Saint-Sernin correspond aux XIe et XIIe siècles, la période où l’on bâtit la très belle basilique que l’on peut admirer aujourd’hui. Le plein essor du pèlerinage de Compostelle et celui de la dévotion aux reliques de Saint Saturnin à Toulouse sont tout à fait contemporains.
Y a-t-il un autre haut lieu du pèlerinage à Toulouse en dehors de la basilique Saint-Sernin ?
Des restes de Saint Jacques sont conservés à la cathédrale Saint-Étienne. D’autre part, le lieu d’hébergement des pèlerins était ce qu’on appelait à l’époque l’hôpital, c’est-à-dire non pas un établissement où l’on soigne comme de nos jours mais un endroit où l’on donne la charité. Ce lieu était l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques sur l’autre rive de la Garonne. Il est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO de même que la basilique Saint-Sernin au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. L’UNESCO reconnaît trois typologies de vestiges : les lieux de culte (comme Saint-Sernin), les lieux d’hospitalité (comme l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques) et les ouvrages dits de franchissement dont il demeure une toute petite partie à Toulouse, le reste d’arche du pont de la Daurade que l’on voit à côté du Pont-Neuf. Historiquement, c’est celui qui a précédé tous les autres pour franchir la Garonne.
Qui étaient les pèlerins qui prenaient les chemins de Saint-Jacques à l’époque médiévale ? De quelles couches de la société étaient-ils issus ?
Les pèlerins appartenaient à toutes les catégories sociales, des plus pauvres aux plus riches, et ce quelles que soient leurs occupations. Nous avons des témoignages de riches seigneurs qui sont partis en pèlerinage, d’ecclésiastiques comme Gothescalc, l’évêque du Puy-en-Velay, un des tout premiers pèlerins à prendre le chemin de Saint-Jacques en 950. Mais il y a aussi des gens beaucoup plus pauvres : laboureurs, paysans, etc. La seule véritable limite pour celui qui veut partir sur les chemins, c’est de pouvoir se libérer de ses responsabilités et activités pour ça. Quand on est un seigneur et que l’on part pour un long voyage, on n’administre plus sa seigneurie. Idem pour un paysan qui dès lors ne cultive plus sa terre, pour un ecclésiastique qui ne s’occupe plus de ses ouailles… Il faut donc un contexte favorable qui permet de s’en aller sans se soucier de ce qui va se passer en son absence. Cependant, faire le pèlerinage relève d’un choix personnel. La religion chrétienne, contrairement à l’islam dont le pèlerinage à La Mecque est un des cinq piliers, n’impose pas de faire le pèlerinage de Saint-Jacques, de Rome ou de Jérusalem.
De quels pays venaient les pèlerins ?
Ils venaient de tous les pays christianisés d’Europe de l’Ouest à l’époque médiévale : France, Angleterre, Irlande, Allemagne, Danemark, Italie… Certains d’entre eux traversent la France, d’autres vont directement à Compostelle par la voie des mers.
Quels étaient les motifs et les motivations de leur pèlerinage ?
Le dénominateur commun de tous les pèlerins, qu’ils aillent à Compostelle ou dans d’autres lieux de pèlerinage, d’autres sanctuaires, était de se faire pardonner leurs péchés en bénéficiant d’une indulgence, c’est-à-dire obtenir la rémission de ceux-ci. Prendre la peine de marcher, de souffrir, d’endurer la difficulté du chemin contribuait au pardon des péchés. Cela étant, chacun avait des motivations supplémentaires ou plus personnelles. On pouvait partir en pèlerinage par dévotion. On pouvait partir parce qu’on avait échappé à un danger et que, priant le saint, on voulait le remercier d’avoir été sauvé. On pouvait partir en pèlerinage parce qu’on était malade et qu’on voulait guérir en s’en remettant à l’intercession d’un saint. On pouvait également partir en pèlerinage parce qu’on y avait été condamné. Dernier cas, on pouvait faire un pèlerinage par procuration, par exemple parce que son grand-père avait fait le vœu d’aller à Saint-Jacques, qu’il ne l’avait jamais fait et qu’on en héritait par testament, ou aussi parce que quelqu’un nous avait payé pour partir à sa place.
Lorsqu’on partait sur les chemins de Saint-Jacques au Moyen Âge, il s’agissait vraiment d’aller avant tout jusqu’à Compostelle ou il y avait d’autres buts pour les pèlerins ?
À cette époque il y avait beaucoup de sanctuaires, certains étant spécialisés pourrait-on dire, et on pouvait « pèleriner » vers un lieu particulier sans forcément aller jusqu’à Compostelle. Il était possible également, tout en ayant l’intention d’aller jusqu’à Saint-Jacques, de s’arrêter sur le trajet dans d’autres sanctuaires pour se recueillir et éventuellement bénéficier de l’intercession du saint célébré dans le lieu concerné.
Est-ce que le pèlerinage sur les chemins de Saint-Jacques générait sur son trajet un commerce, une activité économique spécifique ?
Effectivement, on observe à cette époque une activité économique importante liée au pèlerinage. Le pèlerin devait partir avec une bourse, pas trop garnie tout de même compte tenu des risques de vol mais suffisante pour régler tout ce qu’il avait à payer en route, notamment les péages, les franchissements de rivière en barque et tous les frais d’hébergement et de restauration. Nous savons par exemple qu’à Saint-Jacques-de-Compostelle même, les paysans avaient cessé de cultiver la terre, ce dont se plaignaient les seigneurs, parce qu’ils s’étaient rendu compte qu’il était beaucoup plus lucratif de vivre de l’activité économique générée par les pèlerins et de leur vendre des enseignes en plomb, de petites sculptures en jais, des coquilles Saint-Jacques… Il y avait des procès sans fin entre le clergé compostellan et les marchands pour le droit de place.
Vous voulez dire qu’à l’époque, il y avait déjà ce qu’on qualifierait aujourd’hui de commerce de « bondieuseries » ?
Absolument ! (rires)
Est-ce que le pèlerinage avait lieu tout au long de l’année, quelle que soit la saison, et quels étaient les dangers qu’encourait le pèlerin durant le trajet ?
Que le pèlerin aille à Compostelle par voie de terre ou de mer, il évitait de partir l’hiver. C’est la période des tempêtes et des naufrages lorsqu’on voyage par bateau et, pour tous ceux qui ne viennent pas d’Espagne, c’est celle où il faut passer les Pyrénées lorsqu’on se déplace sur les chemins. Là encore on évitait donc l’hiver pour ne pas avoir à passer le Col de Roncevaux, très dangereux bien que le plus pratiqué de tous, avec ses risques d’avalanches, le froid, la pluie, etc. Les dangers du trajet étaient à peu près les mêmes que connaissent les marcheurs d’aujourd’hui. On a chaud, on a froid, on a faim, on a soif, on a mal aux pieds, on est épuisé… Il ne faut pas entrer dans le cliché du Moyen Âge très sombre et morbide, les difficultés étaient sensiblement les mêmes que de nos jours à ceci près qu’on pouvait aussi tomber sur des aubergistes malveillants. Les auberges sur les chemins de Saint-Jacques avaient très mauvaise presse à l’époque. Nombre de leurs propriétaires étaient des filous qui essayaient d’escroquer les pèlerins. Pour illustrer cela, on peut citer le célèbre « miracle du pendu-dépendu » qui se situe à Toulouse et dans lequel un aubergiste tente d’arnaquer des pèlerins allemands. Des affaires comme ça sont légion à cette période. À part ça, le pèlerin risquait la noyade lors du franchissement d’une rivière ou d’un torrent – un des dangers les plus fréquents – ou de tomber sur un batelier mal intentionné. Il risquait aussi de mourir de faim, de maladie, de se faire détrousser par des voleurs. À chaque sanctuaire majeur est associé un livre de miracles (il y en a à Saint-Jacques-de-Compostelle, à Rocamadour, à Conques) qui raconte souvent les périls qui menaçaient les pèlerins. On y trouve dans la plupart des cas les exemples que j’ai rapportés.
Pas de témoignages d’attaques de pèlerins par des loups dans les forêts, par des ours dans les Pyrénées ?
Eh bien non. Contrairement à ce que nous supposions, nous n’avons trouvé aucun témoignage ou miracle lié à des attaques d’animaux sauvages, ce qui nous semblait pourtant tomber sous le sens. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas mais ça montre que ça n’a pas suffisamment retenu l’attention de ceux qui l’ont vécu ou raconté pour être relaté. Il devait donc y en avoir très peu.
Pour concevoir l’exposition consacrée aux chemins de Saint-Jacques au couvent des Jacobins, sur quels sources et documents vous êtes-vous appuyés ?
Comme il ne s’agit pas stricto sensu d’une exposition puisqu’il n’y a pas d’œuvres d’art qui sont présentées, c’est plutôt de l’interprétation de ce que sont les chemins de Saint-Jacques qu’il faut parler. Nous n’avons donc pas eu à rechercher d’objets à exposer. Les sources principales sont documentaires. Le document de référence sur lequel nous nous sommes appuyés en priorité est le livre d’Adeline Rucquoi Mille fois à Compostelle. C’est l’ouvrage scientifique le plus récent et il donne à ce titre les informations les plus avancées, les plus documentées sur le sujet. Il a été le cœur de notre réflexion et toute l’exposition a été élaborée à partir de ce livre. S’y ajoutent quelques articles scientifiques qui ont nourri également nos travaux de conception sur des aspects très spécifiques.
Comment se présente cette exposition ? Que donne-t-elle à voir et que propose-t-elle au visiteur ?
Elle l’invite à faire le pèlerinage de Compostelle en une heure en se glissant dans la peau d’un pèlerin. Au départ du parcours, le visiteur trouve une roue de la fortune qu’il va faire tourner afin qu’elle lui indique, suivant le sort, s’il est un seigneur, un marchand, le membre d’une famille de charpentiers, un frère dominicain, un laboureur, un pauvre ou un vilain… qui part sur les chemins de Saint-Jacques. En faisant tourner ensuite une autre roue, celle-ci va lui indiquer le motif de son pèlerinage parmi ceux que j’ai déjà évoqués précédemment. Partant de là, le parcours de l’exposition, en sept modules, va proposer à notre visiteur transformé en pèlerin de vivre symboliquement les étapes de ce qu’était le pèlerinage de Compostelle à l’époque médiévale.
Et concrètement, en quoi cela consiste-t-il ?
Cela consiste entre autres à marcher sur un tronçon de chemin en essayant de se repérer aux côtés de personnes de toutes origines, venues de tous horizons et parlant toutes les langues ; à visiter un sanctuaire notable et à y admirer les trésors et les reliques ; à s’approcher pour prier au plus près des reliques pour obtenir l’intercession du saint ; à traverser une forêt où les dangers dont nous avons parlé menacent le pèlerin mais où il est protégé par les saints qui intercèdent pour qu’il soit sauvé ou guéri des maladies ; à s’arrêter pour se reposer dans un hôpital ou dans une auberge s’il est assez riche pour ça ou chez une connaissance, un membre de sa famille s’il s’agit d’un seigneur ; enfin à faire une partie du voyage par voie de mer et profiter à ce moment-là de la solidarité qui était quelque chose d’important en ce temps entre les pèlerins, de très beaux récits en témoignent. Dernière et septième étape, l’arrivée à Saint-Jacques-de-Compostelle où sont présentés tous les différents rituels. Que fait-on en y arrivant ? En fonction du rôle qu’il a endossé au départ, le visiteur découvre sa destinée une fois qu’il a terminé le voyage à Compostelle.
L’exposition est présentée comme « immersive et ludique ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Il y a des animations et des jeux ?
Oui. Je suis partie du principe suivant : quand on ressent des émotions et que l’on est personnellement impliqué dans une activité, on a plus de souvenirs que lorsqu’on contemple et qu’on est passif. L’idée est donc de plonger le visiteur dans l’action et de l’immerger autant que possible dans des émotions. D’où le terme d’exposition « immersive » puisque le visiteur déambule dans des décors qui sont des évocations du Moyen Âge, dans des ambiances sonores, olfactives, avec beaucoup de choses à voir mais aussi à manipuler.
C’est là qu’intervient l’aspect ludique de l’exposition ?
Tout à fait. Il y a une vraie dimension active pour que le visiteur s’implique en jouant et ce dès le départ du parcours de l’exposition en faisant tourner la roue de la fortune. Il va ensuite toucher des reliques comme on le faisait au Moyen Âge (il fallait s’en approcher au plus près et surtout les toucher). Il y a aussi des volets à ouvrir pour découvrir le sort des pèlerins lorsqu’ils sont en danger, des éléments à manipuler pour voir comment se déroule le voyage par voie de mer, et d’autres aspects ludiques lors de la visite. En complément de ce parcours, nous proposons des livrets de salle qui permettent aux plus curieux d’en savoir plus, d’avoir des précisions grâce à des mises en contexte et des encadrés qui donnent des informations supplémentaires. J’ajoute qu’il est prévu des visites théâtralisées trois fois par jour avec des comédiens qui vont emmener un groupe de visiteurs à leur suite pour déambuler à l’intérieur de l’exposition. Ils ne sont pas seulement en représentation, ils vont interagir avec les visiteurs en leur donnant un chapeau, un bâton, une besace pour qu’ils entrent encore plus dans la peau du pèlerin. Ils leur posent aussi des questions pour, sur la base des réponses données ou en fonction du pays d’où viennent les personnes, faire un lien avec certaines histoires, certains miracles célèbres liés à l’histoire des chemins. L’idée est de saisir des éléments propres aux visiteurs pour les impliquer personnellement dans l’exposition.
Est-ce que cette exposition s’adresse à tous les publics, quel que soit leur âge, quel que soit leur degré de connaissance de l’histoire des chemins et du pèlerinage ?
Elle s’adresse à tous les publics, la seule condition nécessaire pour la parcourir étant de savoir lire. Donc en ce qui concerne les enfants, on peut considérer qu’elle est accessible à partir de 6/7 ans. L’objectif de l’exposition est d’apprendre en s’amusant. Elle a été conçue avec un comité scientifique composé notamment d’universitaires toulousains de la Faculté Jean-Jaurès. Nous avons donc essayé de transmettre un contenu aussi scientifiquement sérieux et précis que possible mais de le faire de la manière la plus amusante qui soit. Les enfants qui savent lire sont clairement invités à la découvrir sachant que les adultes aiment également beaucoup apprendre en jouant lorsqu’ils veulent bien s’y autoriser…
Il y a d’autres événements organisés à Toulouse pour célébrer les 20 ans du classement des chemins de Saint-Jacques au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pouvez-vous nous en donner un aperçu ?
Cette exposition est une petite partie de ce qui va être proposé à Toulouse pour fêter ce vingtième anniversaire du classement à l’UNESCO. Autour d’elle, pour faire découvrir ce qu’étaient ces chemins et ce qu’ils sont encore aujourd’hui, il y a tout un programme qui s’étale aussi sur trois mois avec des concerts, des conférences, des visites guidées… L’Office de Tourisme va régulièrement proposer des visites guidées sur le mode « Découverte de la ville sur les pas des pèlerins ». Il y a une exposition à la basilique Saint-Sernin, des conférences comme celle de Quitterie Cazes le 8 juin consacrée à la place qu’avait Saint-Sernin dans le pèlerinage. Autre exemple, un concert au cours duquel on fera entendre la Chanson de Sainte-Foy-de-Conques, lieu de pèlerinage éminent au Moyen Âge et probablement étape pour beaucoup de pèlerins se rendant à Compostelle. La version médiévale de cette chanson est donnée le 9 juin aux Jacobins par l’ensemble de Brice Duisit, le musicologue qui a exhumé la Chanson de Sainte-Foy-de-Conques. En tout, trente événements sont organisés à Toulouse pour célébrer les 20 ans du classement des chemins à l’UNESCO.
Entretien réalisé par Éric Duprix
Couvent des Jacobins
Chemins de Compostelle
du 29 mai au 02 septembre 2018
Balisage en centre urbain Toulouse © ACIR Compostelle
Basilique Saint-Sernin © Patrice Nin