Le noir. Le noir par excellence. L’œuvre la plus noire de Shakespeare, et aussi de Verdi : Macbeth.
Plein de bruit et de fureur, de désir et de violence, de solitude et de mort, le rouge et le noir, le rouge du sang et le noir des cœurs et des âmes, telle est l’œuvre qui vous attend, tel est l’opéra Macbeth de Giuseppe Verdi. Ce fut un coup d’audace, il fut dès 1847, un coup de maître.
Vous vous devez d’être au rendez-vous de cette coproduction à partir du vendredi 18 jusqu’au mardi 29 mai. L’opéra en quatre actes fut d’abord créé à Florence en 1847. Inutile de rappeler dans le détail la gestation du livret, conçu par Verdi lui-même en prose puis confié à Piave pour le versifier, puis corrigé par le poète Maffei. « Concision et sublimité », telle était la consigne du natif de Busseto. Tout en restant au plus près de son écrivain adoré qu’il connaissait parfaitement, William Shakespeare. Pour ses ouvrages écrits avant 1848, Macbeth était le préféré du compositeur.
Mais le Macbeth que nous connaissons de nos jours n’a que peu à voir avec la partition primitive, rarement utilisée dans nos théâtres actuels. En effet, Verdi révisa celle-ci en vue de sa création française en 1865. Paris avait juste exigé le ballet habituel mais le compositeur révisa son opéra en entier, les modifications s’intégrant finalement très harmonieusement. On reconnaîtra à cette partition des moments musicaux de toute beauté, c’est indéniable, tantôt d’une grandeur tragique et d’une étrangeté que le compositeur aura quelque mal à surpasser, tantôt d’une suffocante beauté lyrique. Et ce, de la première scène à la dernière. N’attendez pas le fameux ballet, il n’est pas au rendez-vous. On va espérer que les coupures ne seront pas trop nombreuses non plus car, et c’est affolant, on constate que parmi les enregistrements, peu sont qualifiés de … complet.
Une chance côté musique, c’est bien toujours dans la fosse, des musiciens de l’Orchestre National du Capitole. Ils sont dirigés par Michele Gamba qui vient pour la première fois au Capitole. La lecture de son début de carrière nous autorise absolument tous les meilleurs espoirs, que ce soit dans les nombreux intermèdes musicaux ou dans l’accompagnement des airs. Pour les chœurs, comme celui des Ecossais, pas de soucis non plus avec les Chœurs du Capitole sous la direction d’Alfonso Caiani.
La mise en scène est confiée à Jean-Louis Martinoty dont il a été dit le plus grand bien dans sa réalité. Elle sera réalisée par Frédérique Lombart. L’ouvrage étant une coproduction, et Toulouse arrivant en dernier, on peut supposer que les imperfections notées en son temps ont pu être gommées et ainsi, la scène “capitoline“ bénéficier des raccords. Les décors de Bernard Arnould ont été qualifiés d’ingénieux. Les costumes, dits d’inspiration moyenâgeuse, de Daniel Ogier ont su emporter l’adhésion d’une majorité, de même que les lumières de François Thouret et la vidéo de Gilles Papin.
De Macbeth, vient à l’esprit immédiatement, les interventions surnaturelles. C’est la première fois qu’elles apparaissent sur les scènes italiennes dans la première partie du dit Ottocento. Elles se limitent pourtant seulement à deux moments essentiels. Le premier tableau de l’opéra, Acte I Scène 1, s’ouvre sur un orage, nocturne cela va de soi : trois coups de tonnerre font apparaître successivement trois groupes de sorcières. Sous la tempête des cordes et des ricanements des bois dans la fosse, celles-ci se lancent dans un sabbat de cris furieux, sur une ronde populaire aux accents hystériques et railleurs. Verdi invente là un langage “fantastique“ inspiré de Berlioz, mais aussi on pense à Weber et son Freischutz et bien sûr à Meyerbeer avec Robert le Diable, deux opéras découverts il y a peu dans des salles italiennes. L’orchestre est primordial ici : il tonne, halète, tressaute, et ce, de façon plus inquiétante encore au troisième acte, lors de la grande scène des “apparitions“, Acte III, Scène 1.
Mais, au bilan, on se demande qui, des sorcières ou de Lady Macbeth atteint finalement le comble du terrifiant. Contrairement au drame originel, c’est bien elle, Lady Macbeth, que Verdi érige au rang du personnage principal. Est-elle le jouet des forces obscures du destin ? Pas sûr. C’est elle qui chante sa soif insensée du pouvoir, elle qui cherche à forcer les prédictions des sorcières, elle qui pousse son époux au crime, elle qui finalement est à la manœuvre et tire toutes les ficelles du drame implacable. Aucun amour déçu ne participe à cette marche en avant déterminée uniquement par cette volonté de puissance, abrupte et démente. C’est le drame du « couple criminel »avec toutes ces zones d’ombre, ses régressions, ses complexes de culpabilité, les figures du père et de la mère, c’est le drame de la puissance ou d’une inextinguible soif de puissance. Du temps de Verdi, ce qui était le drame d’un crime perpétré pour accéder au trône par « une femme ambitieuse et son mari, un faible et torturé de doutes » devient chez le compositeur le drame de deux êtres solitaires qui ne parviennent pas à rompre la solitude qui les sépare. Lady Macbeth sombre dans la folie, retombe en enfance tandis que Macbeth s’abandonne de plus en plus à l’autodestruction.
Verdi élabore alors un personnage hors normes, à mille lieues de la chanteuse suggérée au départ pour la création en 1847, la grande Tadolini dont il dira : « Cela paraît absurde, mais la Tadolini est une femme remarquable avec un beau visage, et je désire une Lady Macbeth laide et monstrueuse. La Tadolini chante à la perfection et je voudrais que Lady Macbeth ne chante absolument pas. La Tadolini a une voix superbe, éclatante, claire et puissante, et je voudrais avoir pour Lady Macbeth une voix rauque, étouffée, caverneuse. » Finalement, la créatrice du rôle sera La Barbieri-Nini de prénom Marianna. Celle-ci raconte le cauchemar de ses répétitions : « Vous aurez peine à le croire, mais la scène du somnambulisme me conduisit à trois mois d’étude : pendant trois mois, matin et soir, je cherchai à imiter ceux qui parlent en dormant, qui articulent des mots (comme me disait Verdi) presque sans remuer les lèvres et en laissant immobiles les autres parties du visage, y compris les yeux. Ce fut à devenir folle. »
Pour Macbeth, le général de Duncan, roi d’Ecosse, c’est le baryton ukrainien Vitaliy Bilyy. Depuis Le Comte de Luna du Trouvère, Renato dans Le bal masqué, puis Don Carlo dans Ernani, Enrico dans Lucia, j’avoue adhérer aux prestations de ce chanteur, et je suis certain que, bien dirigé, il fera, d’abord vocalement un excellent Macbeth, (il l’a déjà chanté à la Scala) et scéniquement une référence définitive dans le rôle.
On en vient à Lady Macbeth, LE RÔLE. Vous l’aurez compris, il ne faut pas une Tadolini ! mais on n’est pas obligé d’aller chercher la plus disgracieuse des sopranos dramatiques pour satisfaire ce cher Giuseppe. On peut retenir une chanteuse qui a ce qu’on a coutume d’appeler un port, qui “a du chien“, un visage capable de refléter moult sentiments, et une voix, loin d’être laide ! mais que l’intéressée peut enlaidir si nécessaire. Il vaut mieux dans ce sens. Donc, c’est Béatrice Uria-Monzon qui aura la lourde charge de mettre en relief le caractère irrationnel, démoniaque et inhumain de sa Lady. Elle devra “coller“ au mieux au souhait de Verdi qui souhaitait “un opéra presqu’entièrement déclamé“ tout en lui écrivant dans la scène du banquet, le redoutable Brindisi, dans lequel il réclame à une coloratura drammatico spinto les agilités d’une “donizettienne“. Sans oublier, dans “Una macchia è qui tuttora“, un chant, dépouillé de tout effet, privilégiant une ligne mélodique à mi-chemin entre lied et déclamation. Chanter avec la plus grande simplicité et une voix sombre…Quant au râle de la mort, une plainte du cor anglais fera fort bien l’affaire et de façon plus poétique. Variété des couleurs sombres, noirceur des imprécations, agilité stupéfiante, toutes ces qualités sont dans son domaine du possible, et nous les attendons impatiemment.
Pour l’autre général du roi Duncan, la basse In Sung Sim chante Banco. Macduff est un noble écossais chanté par le ténor Wookyung Kim tandis que Malcolm, le fils du roi Duncan assassiné est chanté par un autre ténor Boris Stepanov.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
Macbeth • Giuseppe Verdi
du 18 au 29 mai 2018
Béatrice Uria-Monzon © Zakari Babel