Consulter mon article précédent sur le mythe de Carmen.
Faire un commentaire sur un spectacle qui va drainer près de huit mille spectateurs au Théâtre du Capitole relève de l’exercice bien délicat, voire périlleux. D’autant plus, quand il s’agit d’un opéra parmi les plus joués dans le monde entier et dont l’héroïne a été chantée, jouée par les plus grandes dont la voix pouvait y satisfaire, complètement ou même qu’en partie. Signalons d’emblée le gros travail d’ensemble fait sur la diction, et ce, à tous les niveaux. On parle français, et nous comprenons les chanteurs. Un gros bon point à tous les membres du Chœur et à la Maîtrise du Capitole placés sous la direction d’Alfonso Caiani.
Alors faisons simple. Nous sommes en 1875. C’est avec Carmen, que d’un seul coup, les masques tombent. Avec Carmen, la puissance de l’Eros est apparue dans toute sa violence. Carmen a trouvé le moyen de faire entrer l’Eros sur scène de manière acceptable – mais non sans critiques – pour son époque. Carmen, c’est Clémentine Margaine, mezzo française qui a déjà interprété le rôle plusieurs fois, sur les plus grandes scènes très rapidement, et avec un réel succès. Mérité ? C’est relaté ainsi. En tous les cas, le public de notre Théâtre lui fait un triomphe. Sur l’incarnation du personnage, tout a été dit. Faut-il se rapprocher de la Carmen du livret, ou de celle de la nouvelle de Prosper Mérimée, ou plus loin encore de la Carmen de légende, la sévillane du quartier de Triana, pour la façon d’être évidemment, pas pour la voix ?
Remontons en 1800-1830. Carmen, c’est le drame de la cigarière qui mourut assassinée, après avoir vécu persécutée pour ces cinq motifs, encore d’actualité ? : vouloir être LIBRE, tout en étant PAUVRE, FEMME, OUVRIÈRE et GITANE. Et qui plus est, BELLE, un comble, et d’une sensuelle beauté. Carmen n’est pas Lauren Bacall. C’est l’antithèse. Par contre, Clémentine Margaine est tout cela à la fois. On est même prêt à lui pardonner certains petits excès dans le chant, comme d’autres ont pu le faire auparavant, les Conchita Supervia, Marilyn Horne, Jane Rhodes et sûrement Emma Calvé, …. Mais, Carmen à sa manière, n’est-elle pas finalement une révolutionnaire ?
L’environnement que lui confère la production de Jean-Louis Grinda lui convient au mieux pour incarner son personnage. On retiendra le dispositif à la Richard Serra qui joue surtout de son meilleur effet dans la scène finale. De même que la direction musicale d’Andrea Molino, présent à chaque instant. Dans la fosse, on n’oublie pas que les musiciens de l’Orchestre du Capitole ont enregistré cet opéra de Bizet sous la houlette de Michel Plasson, même si la plupart des musiciens ce soir dans la fosse n’étaient pas encore présents. Mais l’esprit, le son sont là ! Le Prologue tel qu’il est occupé se défend, de même que les dialogues parlés ne posent guère de problèmes dans la progression de l’ouvrage. Et toutes les interventions des “seconds couteaux“, à commencer par celle du fringant Moralès chanté par le baryton Anas Seguin, se distinguent favorablement.
Mais ce qui lui convient le mieux pour s’exprimer, c’est bien son amoureux d’officier basque, Don José Lizarrabengoa. Ce dernier ne comprend pas l’objet de sa rencontre, il ne comprend pas Carmen. Persuadé qu’elle est la femme de sa vie, il ne veut pas s’en séparer. L’homme est violent, il est basque, et possède ce sens de l’honneur mâtiné de pudeur et de timidité. Il sait qu’il a rencontré le démon. Et de solution, il n’en voit qu’une. On pourrait presque dire : “c’est un brave type“. Don José, c’est le magnifique Charles Castronovo, ténor américain au physique adéquat que l’on plaint sincèrement d’être amené à poignarder SA Carmen, tellement son propre chant se révèle plein d’émotions. La scène finale est pathétique à souhait. Il aura droit aux saluts, à un accueil plein d’enthousiasme comme si le public voulait lui épargner le peloton d’exécution qui l’attend.
C’est du picador Lucas que la Carmen de légende s’éprend, picador bien connu à Séville dans l’histoire des courses de taureaux du début du XIXème. Revendiquant son indépendance de femme libre de tout engagement, qui plus est, matériellement libre puisque cigarière, elle décidera de partager sa vie avec le célèbre picador, interprété ici par Dimitry Ivashchenko, Escamillo qui aurait pu se montrer plus flamboyant dans toutes ses apparitions, et ce dès la première. Il fallait accentuer le contraste avec son rival car lui, il est l’artiste qui doit faire se rejoindre l’art et la mort. Dommage.
La soprano Anaïs Constans a assumé au mieux le rôle ingrat de la pauvre fiancée délaissée, Micaëla, un brin mystique, choisie par sa future belle-mère, mais oubliée bien vite par son futur, bien plus sous le charme, ou plutôt les charmes de la cigarière qui sans pudeur aucune, sait rouler avec dextérité les cigares sur l’à-plat de sa cuisse.
Grâce à cette coproduction de Carmen, l’opéra français le plus joué dans le monde sur les scènes lyriques, le Théâtre du Capitole a retrouvé ses travées pratiquement pleines jusqu’aux cintres. Dernière le jeudi 19. Il vous en reste 4 à ce jour.
Michel Grialou
photos © Patrice Nin
Théâtre du Capitole
Carmen (Georges Bizet)
du 06 au 19 avril 2018