Voici ma chronique du spectacle le plus excitant donné au Capitole depuis longtemps. La prise de rôle d’un artiste de rang international relève d’une confiance pleine d’instinct des programmateurs mais également des qualités de temps et de sérieux de la maison de l’opéra toulousaine.
Compte-rendu Opera. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 30 janvier 2018. Richard Wagner : La Walkyrie. Nicolas Joel. Claus Peter Flor sur Classiquenews.com
La Smirnova est une Brünnhilde exceptionnelle voix immense, instinct scénique et générosité. La beauté de la voix égale sa puissance. Elle fera le tour du monde avec ces rôles impossibles si elle arrive a préserver une voix si belle de la fureur de l’époque.
Et toute la distribution est au diapason. C’est beau, fort intense
Il reste encore deux représentations courrez !
La résurrection du chant Wagnérien passe par le Capitole.
Retrouver les meilleures productions de l’ère Nicolas Joel permet de constater l’excellence des choix de cet admirable directeur d’Opéra et metteur en scène de grand talent. Il y a presque 20 ans cette Walkyrie avait fait grand bruit et s’intégrait dans une Tétralogie montée sur plusieurs années avec grand succès.
La Walkyrie est pour moi le joyau de la Tétralogie et cette production peut-être la plus belle de Nicolas Joel. Ce soir elle est admirablement réalisée, avec d’infimes modifications, par Sandra Pocceschi. Son travail semble avoir accentué le jeu théâtral et fouillé les relations entre les personnages. L’engagement scénique des chanteurs, qui ont chacun une partition écrasante, est remarquable. La production n’a pas pris une ride. Le respect devant l’ouvrage est louable, la beauté des décors pré-industriels d’Ezio Frigerio, la somptuosité des costumes de Franca Squarciapino et la vie insufflée par les lumières de Vinicio Cheli permettent un régal constant aussi pour les yeux. Les surtitres sont fort bien coordonnés. La diction des chanteurs, y compris les non germaniques, permet de suivre chaque moment du drame wagnérien. Le théâtre se porte donc bien dans cette production et l’action est limpide sans surcharges inutiles.
L’orchestre dirigé avec passion par Claus Peter Flor, qui chante avec chaque chanteur, épouse la prosodie si particulière et apporte beaucoup de lumière à la partition fleuve, dans un continuum sonore parfait. Ce qu’il réussit le plus admirablement c’est la fluidité du chant orchestral dans les moments chambristes, si nombreux, et les solos somptueux de l’orchestre du Capitole, que ce soit les vents, les cuivres, les violoncelles. Chacun trouve sous sa direction une liberté expressive totale. Les nuances sont très creusées avec des fortissimi à faire trembler les murs mais sans jamais couvrir les chanteurs. Les moments symphoniques attendus sont efficaces. Mais le travail avec les chanteurs et les musiciens est tout à fait envoûtant dans les longs monologues et les duos qui deviennent des grands moments de pure poésie. C’est ce qui va naturellement nous amener à décrire les extraordinaires chanteurs réunis au Capitole. Tout de go nous dirons combien le rang international de cette distribution pourra enorgueillir les maisons d’opéra les plus exigeantes de la planète. Le niveau superlatif de chacun est couronné, et je pèse mes mots, par la découverte de la Brünnhilde de ce siècle : Anna Smirnova, un nom à vénérer pour ce rôle de déesse qu’elle assume comme personne. Certes les conditions acoustiques sont au Capitole superlatives. Cet auguste théâtre permet aux voix de planer jusqu’au paradis sans efforts, la vaste fosse d’orchestre est partiellement couverte et la direction de Claus Peter Flor est particulièrement respectueuse. Mais qui n’a pas encore entendu la Smirnova ne sait combien cette artiste est rare. Le tempérament scénique est fort et son attitude garçonne convient parfaitement à sa Brünnhilde guerrière un rien fanfaronne qui lance son cri avec joie et sans angoisse ! Quelle entrée en scène !!! Le jeu scénique la voit évoluer vers plus d’humanité et de compassions mais ne doutons pas que ce qui représente une prise de rôle va avec le temps s’affiner vers une humanité plus tendre pour le final. Même si une évolution a lieu elle méritera d’être approfondie. Car la puissance vocale est si extraordinaire, son indestructibilité semble si certaine qu’une certaine froideur persiste. La voix de mezzo authentique s’est enrichie d’une quinte aigue splendide, avec des contre-ut dardés et maitrisés d’une grande beauté.
L’homogénéité de la voix sur toute la tessiture au troisième acte laisse pantois. Une coulée d’or rouge la parcourt du grave à l’aigu avec un cœur de diamant. L’effet produit est indescriptible sorte de mélange d’Astrid Varnay, de Birgit Nilsson et d’Inge Bork. Dans le medium et le grave les harmoniques irisent en couleurs mordorées et le soleil de l’aigu éclaire la ligne de chant avec un éclat qui peut être aveuglant. Le souffle infini est le tapis confortable sur lequel repose toute la puissance vocale et expressive. La Smirnova nous offre un moment de beau chant wagnérien des plus rares. Le duo final avec Wotan nous met à genoux.
Le baryton Tomasz Konieczny est lui aussi admirable et l’apothéose finale est vraiment le point d’acmé de l’ouvrage. La voix du baryton est capable des nuances les plus extrêmes avec une puissance de Titan comme des murmures brisés. Il dit son texte avec une infinie poésie, même ses longs monologues sont passionnants par la vie qu’il y met, associant admirablement mots et ligne de chant : couleurs infinies du chant comme des mots, le tout dans une maîtrise vocale de chaque instant jusque dans les quasi-murmures de la confidence ou de l’abattement. Tomasz Konieczny est un grand Wotan poète de la mélancolie du pouvoir enfui. Son épouse la divine Fricka est incarnée par la très élégante mezzo Elena Zhidkova, belle voix et belle actrice dans sa théâtralité outrée et sa robe d’or. La voix est corsée et sonore sur toute la tessiture mais les nuances sont un peu rares face à un Wotan si subtil chanteur-diseur. Toutefois en guerrière elle gagne le match haut la main, son époux infidèle vaincu, terrassé, prend d’un coup tous les ans perdus à la tromper en parcourant le monde.
Les huit filles de Wotan, les walkyries ont ce soir des voix puissantes et bien accordées. Leurs ensembles sonnent admirablement avec de beaux moments de musicalité. Il convient de citer toutes ces voix admirables de présence : Marie-Laure Garnier en Gerhilde, Oksana Sekerina en Ortlinde, Pilar Vázquez en Waltraute, Daryl Freedman en Schwertleite, Sonja Mühleck en Helmwige, Szilvia Vörös en Siegrune, Karin Lovelius en Grimgerde et Ekaterina Egorova en Rossweisse. Pour certains, La Walkyrie débute par un premier acte si parfait que dans certains concerts il est donné seul. Le début par cet orage spectaculaire, la rencontre des futurs amants, le conflit larvé avec le mari. Tout le trio de marivaudage argué par Fricka, est sublimé par une action resserrée et une partition qui semble s’inventer au fur et à mesure.
Le trio ce soir est fabuleux. Le ténor Michael König est le parfait Heldentenor attendu. Port altier, diction limpide il souffre avec noblesse, s’élève sous le regard de Sieglinde et naît à l’héroïsme avec une évidence qui subjugue. La voix sombre est lumineuse dans l’aiguë avec des appels « Walse » tout à fait spectaculaires. Son magnifique duo avec Brünnhilde a une grande noblesse dans une émotion incroyable. L’amour naissant pour Sieglinde lui permet de se réaliser et le porte. Vocalement l’entente entre les deux amants fonctionne à merveille. Le mari violent et obtus, Hundig a la voix sépulcrale de Dimitry Ivashchenko. Solidité, couleur homogène et puissance sont des atouts de poids dans de rôle court et déterminant. La femme convoitée, Sieglinde, est la merveilleuse actrice chanteuse Daniela Sindram. Actrice expressive mais également cantatrice sublime. Elle aborde Sieglinde avec l’habitude des plus grands rôles de mezzo. Le medium est élégamment timbré, le grave sonore sans poitrinage. Mais la beauté liquide des harmoniques dans l’aigu est une incroyable découverte. Elle arrive à maîtriser sans jamais pousser les longues lignes couronnées par des aigus avec un art du chant parfait. Au dernier acte son cri de désespoir donne le frisson mais c’est son appel à la vie et sa reconnaissance à Brünnhilde qui avec une voix d’une beauté lumineuse porte l’émotion à son comble. Je suis certain qu’à la dernière représentation l’émotion si puissante de Sindram gagnera Smirnova tant ce moment de théâtre vocal est fort.
Nicolas Joel peut être fier d’avoir légué à la ville rose une production si vraie et belle du chef d’œuvre de Wagner. Cette reprise est une apothéose et la distribution est si parfaite qu’elle annonce un âge d’or. La découverte d’une vraie Brünnhilde n’est pas si fréquente.
Pour ces prochaines prises de rôle La Smirnova va interpréter Lady Macbeth et Turandot. Attention : probables merveilles !
Hubert Stoecklin
Compte rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du capitole, le 30 janvier 2018. Richard Wagner (1813-1883) : La Walkyrie, Première journée du Festival scénique en trois actes. Livret du compositeur. Création le 26 juin 1870 à Munich (Théâtre national de la Cour). Nicolas Joel : mise en scène ; Sandra Pocceschi : réalisation de la mise en scène ; Ezio Frigerio : décors ; Franca Squarciapino : costumes ; Vinicio Cheli : lumières. Avec : Anna Smirnova, Brünnhilde ; Michael König, Siegmung ; Tomasz Konieczny, Wotan ; Daniela Sindram, Sieglinde ; Elena Zhidkova, Fricka ; Dimitry Ivashchenko, Hunding ; Marie-Laure Garnier, Gerhilde ; Oksana Sekerina, Ortlinde ; Pilar Vázquez, Waltraute ; Daryl Freedman , Schwertleite ; Sonja Mühleck, Helmwige ; Szilvia Vörös, Siegrune ; Karin Lovelius, Grimgerde ; Ekaterina Egorova, Rossweisse ; Orchestre National du Capitole ; Claus Peter Flor, direction musicale.