Charles Robinson est en résidence au théâtre Le Vent des Signes pour une série de rencontres littéraires et performatives d’octobre à décembre.
Sur la page d’accueil de son blog, on peut lire « Charles Robinson romancier aux aguets », un qualificatif qui n’est pas sans rappeler celui de Bambi « chasseur aux aguets » l’un des très nombreux personnages de son roman « Fabrication de la guerre civile »*.
De sa vie personnelle, on ne saura rien, Charles Robinson préférant laisser vivre ses textes par eux-mêmes, indépendants de tout indice et référence biographiques liés à son auteur. Charles Robinson est entré en littérature en 2008 avec « Génie du proxénétisme »* qui avait fait l’objet d’une création théâtrale à Toulouse, par le Groupe Merci. Son livre suivant « Dans les cités »* amorçait en 2011 son cycle sur les cités, poursuivi avec « Fabrication de la guerre civile » sorti en 2016. La langue de Charles Robinson fouettée, musicale, organique, se lit autant qu’elle s’écoute et se vit, puisque ses écrits prennent tout autant la forme de romans que de lectures « live », d’objets numériques, de créations sonores, ces formes s’interpénétrant le plus souvent.
En décembre 2016, dans le cadre du FIMM (Festival Insolite MusiqueMots), le théâtre Le Vent des Signes accueillait, parmi une dizaine d’artistes invités (auteurs, musiciens-compositeurs électros, vidéastes), Charles Robinson. On se souviendra de sa performance saisissante, aux côtés du créateur sonore Jacky Mérit, sur un texte de sa plume « Cumbia scène politique ». L’on y découvrait que Charles Robinson n’était pas seulement une langue de génie, pulsée par une conscience politique aigue, mais était également doté d’une présence scénique tout autant engagée : un corps félin à l’énergie et puissance martiales, une gestuelle précise et une voix travaillée à la pédale d’effets. Bref : un performeur et, qui plus est, non dénué d’humour.
Sa façon d’explorer les marges de notre monde à travers ses romans et ses performances poétiques, sa générosité et son humanisme auront provoqué chez Anne Lefèvre, directrice du Vent des Signes, l’urgence d’inviter cette saison Charles Robinson en résidence d’écriture dans le cadre de la sixième édition de son festival à la nouvelle typographie « f/mm [+] », manifestation augmentée en amont de rencontres et de performances. Nous retrouverons ainsi le romancier tout au long d’ « Hospitalités », en divers lieux de Toulouse et alentours, où son écriture et sa présence charismatique croiseront celles d’autres artistes et se frotteront à d’autres univers, pour des rencontres buissonnières ouvertes à l’expérimentation autour de « Fabrication de la guerre civile » : à la librairie Floury, à la Maison Salvan, à l’université Toulouse Jean-Jaurès et pour finir au théâtre Le Vent des Signes. Aux côtés de ces « Hospitalités », des « Urgences » imaginées par Anne Lefèvre et son équipe permettront, d’une part, d’entendre son nouveau texte, dans un duo réitéré avec Jacky Mérit – une suite de « Génie du proxénétisme » où nous retrouverons l’entreprise du sexe « La Cité » 10 ans plus tard, produit du libéralisme devenu une institution florissante – et d’autre part, de découvrir quelques passages de « 501 », en live avec le guitariste Michel Cloup (ex Diabologum, ex Experience). Il y a quatre ans, Charles Robinson avait performé ce texte qui avait pour titre « 351 », se référant au nombre de morts de la rue recensés. Aujourd’hui ce chiffre, et par conséquent ce texte, est devenu « 501 », mais nul doute qu’ils sont dix fois plus nombreux. En observateur intranquille de notre monde, l’auteur égrène une litanie funèbre de micro-récits esquissant d’une plume abrupte et incisive les traces de ces vies éphémères avant leur disparition.
Une chronique de Sarah Authesserre pour Intramuros
* Le Seuil (collection Fiction & Cie)
« Fabrication de la guerre civile » nous plonge dans la cité des Pigeonniers, cité HLM fictive de 322 appartements, « un labyrinthe d’hommes, de femmes, d’histoires, de fantasmes, de pulsions et de raisons de pleurer ».
Une exploration courant sur quatre saisons d’un ensemble urbain au cœur d’un projet de rénovation mené par un bailleur et une municipalité qui va entraîner des bouleversements chez ses habitants. Car, qui dit « rénovation » dit « démolition » et forcément « relogement »… Au fil de ses 640 pages, le livre de Charles Robinson multiplie les registres d’écritures et de typographies – la novlangue institutionnelle, l’oralité de la langue des cités et des radios associatives, les tags, l’interview, le journal intime, le questionnaire, les émoticônes, les sms, les slogans publicitaires, les séquences de scénario – dans une forme chorale poétique : un opéra faisant entendre les voix de très nombreux personnages et donnant à voir des destins entrelacés, souvent depuis l’enfance.
Le lecteur est pris dans une montée et une tension narrative, jusqu’à l’explosion, le soulèvement, l’insurrection. Une des nombreuses qualités de ce livre est la façon dont Charles Robinson laisse le lecteur s’approprier son roman, pour mieux le perdre. Il y circule dans un monde de bruit, de fureur et de sexe, qui sent l’humidité des caves, la sueur des gymnases – où l’on décharge sa colère dans la boxe thaï – le sang des règlements de compte et des suicides, les relents de bière et les effluves de « shit ». Ca fait mal, même parfois jusque dans le corps, comme ces tatouages, scarifications et autres empreintes corporelles que s’infligent, pour se réapproprier leur environnement, ceux qui n’ont aucun pouvoir sur la société. De ce réel éclatant et palpable, le lecteur est soudain lâché dans des trous noirs, des absences, des ellipses. Comme plongé dans l’obscurité, il ne sait plus qui parle à qui et qui pense quoi. Il avance à tâtons dans un monde virtuel qui se dérobe à lui : celui des rêves, des cauchemars ou des jeux vidéo. Oui, « Fabrication de la guerre civile » est un roman-monde, un roman-monstre, un projet à la fois littéraire et politique, intense et passionnant.
Sarah Authesserre
Fabrication de la guerre civile – Seuil (640 pages)
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