Soyons plus clair, et disons que le cycle Grands Interprètes convie en ouverture de saison, ce samedi 7 octobre à 20h, à la Halle, l’ONF, Orchestre National de France placé sous la direction de son nouveau directeur musical, Emmanuel Krivine. Le programme comporte le fameux Concerto pour piano et orchestre en sol majeur de Maurice Ravel, œuvre fétiche de Martha Argerich qui s’approprie complètement la partition avec un plaisir non dénué d’ivresse passagère.
Ouverture du concert avec Variations pour orchestre sur un thème de Niccolò Paganini de Boris Blacher, compositeur du XXe siècle dont le fils Kolja est un violoniste réputé entendu à la Halle. Pour suivre donc, l’irrésistible concerto dans lequel, si on doit s’attarder sur les qualités nécessaires du pianiste, on n’oubliera pas celles indispensables du chef mais aussi des solistes sollicités.
Ce Concerto en sol, dédié à Marguerite Long, incarne l’esprit français, la lumière, la fête. Ce n’est pas un drame que Ravel pose ici mais tout le folklore et toute la vie bruyante et joyeuse du pays basque. Puissamment colorée, l’œuvre comprend trois mouvements très distincts dont la forme et l’équilibre caractérisent bien l’esprit français discursif et bien ordonné ayant pour seul objectif de charmer, d’amuser ou d’émouvoir, mais toujours avec retenue et mesure, et en effet, le concerto est éblouissant de vie, débordant de gaieté, un grouillement de costumes, de musique et de danse folklorique. Ce concerto et le Concerto de la main gauche sont les deux seuls concertos de Maurice Ravel, les deux composés à près de 56 ans par un musicien qui décèdera cinq ans plus tard.
En deuxième partie, la suite symphonique, Shéhérazade de Nikolaï Rimski-Korsakov, monument de musique pour tout orchestre de renom, détaillée un peu plus loin.
De ce premier concert, vous aviez pu lire sur Culture31, ces quelques mots : (…) samedi 7 octobre, c’est l’ONF, Orchestre National de France et son nouveau chef Emmanuel Krivine. Un orchestre qu’on ne présente plus, vu son niveau d’excellence, et un chef au sujet duquel on a pu lire, « sa gestique est tout simplement fascinante. Il ne dirige pas, il sculpte les sons, les phrasés, les articulations. Ses doigts indiquent mille détails, depuis l’entrée d’un instrument jusqu’à un changement harmonique. » Pas spectaculaire pour deux sous, il a horreur de tout aspect démonstratif. Shéhérazade sera un grand moment qui suivra un autre sommet, à n’en pas douter, le Concerto pour piano et orchestre en sol majeur interprété par…Martha Argerich ! Grâce à ses moyens pianistique inouïs et sa virtuosité toujours intacte, la “lionne du clavier“ au “toucher de velours“ saura donner tout le souffle, la vie intense, la sève qui coule tout au long des mouvements rapides et la poésie qui étreint l’adagio de ce concerto de Ravel.
On ne vous fera pas l’offense de raconter la bio de notre pianiste née à Buenos Aires, et couverte de gloire depuis son tout jeune âge. Non plus pour l’orchestre si ce n’est ces quelques mots : Formation de Radio France, l’Orchestre national de France est le premier orchestre symphonique permanent créé en France. Fondé en 1934, il a vu le jour par la volonté de forger un outil au service du répertoire symphonique. Cette ambition, ajoutée à la diffusion des concerts sur les ondes radiophoniques, a fait de l’Orchestre national une formation de prestige. Sa résidence principale depuis novembre 2014 est l’Auditorium de Radio-France.
Sur Emmanuel Krivine, d’origine russe par son père et polonaise par sa mère, il commence très jeune une carrière de violoniste. Il sera Premier prix du Conservatoire de Paris à seize ans. Après une rencontre essentielle avec Karl Böhm en 1965 il se consacre peu à peu à la direction d’orchestre, tout d’abord comme chef invité permanent du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio France de 1976 à 1983, puis en tant que directeur musical de l’Orchestre national de Lyon de 1987 à 2000 ainsi que de l’Orchestre français des jeunes. De 2006 à 2015 il est directeur musical de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg. Il est “patron“ de l’ONF depuis cette année.
Nikolaï Rimski-Korsakov, le conteur de la mer et des voyages imaginaires se retrouve membre du Club des Cinq à dix-sept ans, mais oui, puis plus tard du Cercle Belaïev. Il sera professeur du tout jeune Stravinski. Il va jouer un rôle essentiel dans la vie musicale russe à partir des années 1860, jusqu’à sa mort en 1908.
Schéhérazade, suite symphonique, opus 35 durée ~ 47 mn
- Largo e maestoso – Lento – Allegro non troppo – Tranquillo
La mer et le vaisseau de Sindbad
- Lento – Andantino – Allegro molto – Vivace Scherzando – Moderato assai – Allegro molto ed animato
Le récit du Prince Kalender
III. Andantino quasi allegretto
Le jeune Prince et la Princesse
- Allegro molto – Lento – Vivo – Allegro non troppo e maestoso – Lento – Tempo come I
Fête à Bagdad – La mer – Naufrage du vaisseau sur un rocher surmonté d’un guerrier de bronze – Conclusion
« Il n’y a pas de musique qui ne soit nationale. La musique qu’il est convenu de considérer comme commune à toute l’humanité est quand même au fond, nationale. La musique de Beethoven est une musique allemande, celle de Wagner aussi, celle de Berlioz est française, celle de Meyerbeer aussi. » Nikolaï Rimski-Korsakov – Journal de ma vie musicale.
Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus sur la suite symphonique :
SCHEHERAZADE, suite symphonique
Eau de rose, guimauve, accents martiaux, concerto pour violon non avoué,…tout a été tenté pour détourner la partition de sa vraie nature : une grande partition de musique russe qui se suffit à elle-même, sans dépendre des intentions programmatiques qui lui sont accolées, des sous-titres qui se sont maintenus, bien que le musicien y fût opposé, ne voulant pas donner aux mouvements de programme trop précis. Au départ, il voulait même se contenter d’indications formelles et intituler les quatre mouvements Prélude, Ballade, Adagio et Final.
La note publiée jointe à la partition fixe simplement le climat général de l’œuvre, à l’exclusion de tout détail : « Le sultan Shahriar, persuadé de la perfidie et de l’infidélité des femmes, jura de faire mettre à mort chacune de ses épouses après la première nuit. Mais la sultane Shéhérazade réussit à sauver sa vie en le captivant par des histoires qu’elle lui raconta pendant mille et une nuits. Pris par la curiosité, le sultan remettait de jour en jour l’exécution de son épouse et finit par y renoncer définitivement. Schéhérazade lui conta bien des merveilles en citant les vers des poètes et les textes des chansons, et en imbriquant les histoires les unes dans les autres. »
D’autre part, Rimski insiste sur le fait qu’il ne faut pas chercher à prendre les récits à la lettre, s’expliquant dans ses Chroniques de ma vie musicale sur la structure thématique de l’œuvre : « C’est en vain que l’on cherche dans ma suite des leitmotive toujours liés à telle idée politique ou à telles images. Au contraire dans la plupart des cas, tous ces semblants de leitmotive ne sont que des matériaux purement musicaux des motifs de développement symphonique. Ces motifs passent, se répandent à travers toutes les parties de l’œuvre, se faisant suite et s’entrelaçant. Apparaissant chaque fois sous une lumière différente, dessinant chaque fois des traits différents et exprimant des situations différentes, ils correspondent chaque fois à des images et des tableaux différents. »
- Largo et maestro – Lento – Allegro non troppo – Tranquillo
La mer et le bateau de Sindbad
Le premier mouvement s’ouvre sur une introduction présentant les deux protagonistes, le sultan et Schéhérazade. Le thème initial, fortissimo à l’unisson et dominé par les cuivres, campe le redoutable personnage de Shahriar. Après une pause, transition en cinq longs accords aux bois créant un contraste saisissant et établissant le climat d’évocation féerique. Aussitôt après, un violon solo, ponctué par la harpe, trace dans l’aigu la fine mélodie orientale qui unira tous les mouvements – en même temps qu’elle servira de support à d’autres thèmes : C’est le leimotiv de Schéhérazade.
C’est à l’indication Allegro non troppo que débute le tableau de la mer : le thème qui était celui du sultan prend là une nouvelle attribution, doucement balancé par des arpèges de cordes. Après une montée en douceur d’accords et un gracieux dessin à la flûte comme thème secondaire, celui de Schéhérazade revient donnant bientôt une nouvelle figuration aux bois.
L’orchestre doit illustrer ensuite une tempête qui se lève, ballotant le navire sur les vagues. C’est avec un puissant crescendo amenant la superposition des deux motifs. Le caractère de tout le mouvement fait alterner la description haute en couleurs.
- Lento – Andantino – Allegro molto – Vivace Scherzando – Moderato assai – Allegro molto ed animato
Le récit du Prince Calendar
Après une citation du thème de Schéhérazade, un basson exécute un nouveau motif qui en est issu, mais d’un caractère différent, plus rythmé, enjoué. Il est repris par hautbois, violons, l’ensemble des bois avant d’amener un brusque changement d’atmosphère. Des fanfares d’appel retentissent (trombones puis trompettes), se multipliant, se répercutant à tout et donnant la vision d’une bataille. Une longue phrase très analyse cadencée à la clarinette, sur la répétition rapide et obsessionnelle d’une formule, prépare un nouvel épisode. Volètements aux bois, trémolos de violons dans l’aigu évoquent le passage de l’Oiseau Roch.
Mais le développement va ramener les fanfares abondamment exploitées par l’orchestre. Retour de la formule déjà donnée à la clarinette et reprise ici par le basson puis plus brièvement par d’autres instruments, hautbois, clarinettes, flûte…et réapparition du premier thème qui alternera avec elle jusqu’à la fin du mouvement. On réentendra encore le thème du sultan, ou de la mer.
L’immense talent de coloriste éclate au service d’une véritable splendeur orchestrale, un enchantement pour les oreilles comme pour les yeux quand l’orchestre va jouer devant vous comme ce soir.
III. Andantino quasi allegretto
Le jeune prince et la princesse
Il en est de même pour cette merveilleuse page lyrique successivement dominée par deux thèmes qui, n’étant pas des mélodies orientales authentiques, s’apparentent fort à celles du recueil de Salvador Daniele, utilisées dans l’autre poème symphonique Antar. C’est Borodine, un des membres du Club des Cinq qui possédait un exemplaire de ce fameux Recueil de chansons algériennes, mauresques et kabyles.
Le thème du Prince, fait l’entrée, exposé aux violons, paraphrasé ensuite par des guirlandes de gammes à la clarinette, à la flûte et aux violons. Vient alors le thème de la Princesse, de la même veine, mais plus alerte, au rythme marqué par le tambourin puis par la trompette.
La réexposition du premier thème intercale la cadence de violon solo avec le motif de Schéhérazade prolongé par « un bariolage d’arpèges ». Les dernières mesures seront discrètement arrivées par des accords descendants aux bois et par le pianissimo de la percussion.
IV Allegro molto – Lento – Vivo – Allegro non troppo e maestoso – Lento – Tempo comeI
La fête à Bagdad ; la mer; naufrage du bateau sur les rochers.
L’introduction va faire entendre alternativement le thème modifié du sultan et celui de Schéhérazade en accord au violon. C’est là que le violon solo doit affronter le pire des passages ! des accords dignes des plus grandes difficultés que peut rencontrer l’instrument dans certains concertos ou œuvres de chambre.
La Fête débute à l’indication Vivo, avec un motif rapide en rythme pointé : tout ce qui est thème sera ici caractérisé par des mouvements serrés et tourbillonnants, certains issus du mouvement précédent. La transe collective couve. La montée s’effectue par un crescendo orchestral, avec des interventions de plus en plus fréquentes de toutes les percussions.
Judicieusement, Rimski-Korsakov sait placer quelques moments de détente assurant la respiration des pupitres, et de l’œuvre. Un ultime crescendo va enfin conduire sans interruption au dernier tableau : c’est à nouveau la mer avec sa mouvance d’arpèges et son animation progressive, avec le ballottement des vagues et les sifflements du vent en gammes chromatiques aux bois, jusqu’au choc du Naufrage, marqué par un coup de tam-tam.
La reprise d’un fragment du premier mouvement recrée ensuite un climat d’onirisme. L’œuvre se clôt sur le thème de Schéhérazade, qui meurt dans l’extrême aigu du violon (encore une note!). Finalement, Rimski-Korsakov était bien fait pour être marin, voyageur, musicien, et compositeur !!
« Comme le sultan écoute les passionnants récits de Shéhérazade la conteuse, ou comme Iaromir de Mlada, spectateur en pleine tragédie regarde défiler devant lui les images de ses propres songes, comme l’Astrologue du Coq d’Or, selon Vladimir Bielski, déroule dans sa lanterne magique le film des aventures tragiques et loufoques du tsar Dodon, ainsi Rimski-Korsakov, émerveillé par ses propres visions, contemple la grande image de la Russie varègue et de l’Orient slave, qu’il a lui-même composée. Il feuillette d’une âme sereine, le beau livre d’images, le livre céleste où sont les icones multicolores de l’hagiographie, le livre bleu où se déroule la fresque de l’épopée. Ce ne sont que villes magiques, bourdonnantes de leurs bulles d’or, mers d’azur, archipels fabuleux, trésors rutilants et princesses aux yeux de turquoise. » Vladimir Jankélévitch. La musique et les heures – Ed. Seuil 1988
Michel Grialou
Orchestre National de France
samedi 07 octobre 2017
Halle aux Grains (20h00)
Mécénat / Partenariats
Nathalie Coffignal
ncoffignal@grandsinterpretes.com
Tel : 05 61 21 09 61
Crédit photos
Martha Argerich © Adriano Heitman
Emmanuel Krivine / ONF © Radio France – Christophe Abramowitz