Voilà terminée la dernière production de la saison du Théâtre du Capitole, Le Prophète de Meyerbeer. Il fallait du culot pour mettre à l’affiche un opéra disparu des écrans “capitolins“ depuis plus de quatre-vingt ans, et des écrans français, itou ou presque. Qui plus est, un opéra de plus de trois heures quarante. Et au mois de juin ! Qui donc alors aurait parié il y a un an sur le triomphe de la dernière représentation, ce dimanche après-midi 2 juillet, triomphe précédé de francs succès à chacune des représentations depuis la première ? Mais pourquoi donc la mayonnaise a-t-elle décidé de prendre ? De quelle alchimie relève une telle réussite que les absents ne peuvent imaginer même si on sait qu’il y a eu captation d’images pour les consoler, éventuellement ? Mais les images ne suffiront pas.
Voir mon annonce complète du 18 juin qui nous disait l’essentiel sur cet opéra de 1849, catalogué “grand opéra français“, parmi les plus donnés en ce temps-là, et puis disparu, comme pour laisser place à d’autres pour des raisons diverses.
C’était mal parti. Un des rôles principaux, Fidès, devait échoir à Ekaterina Gubanova, la mezzo qui, comme on dit, est valeur montante. Las, peu importe les raisons, forfait de l’artiste. C’est Kate Aldrich qui relève le défi. La chanteuse a l’habitude ! Elle avait déjà relevé un autre défi, remplacer Sophie Koch dans La Favorite il y a trois ans. On peut dire que le Capitole lui doit une fière chandelle. Mais, aurait-elle les graves du rôle ? Surtout pour ceux qui ont les oreilles, comme les miennes, polluées par ceux de Horne ? Allez, droit au but : elle nous a enthousiasmés dès les premières notes – « Ah, mon fils, sois béni ! » et elle ne pouvait que triompher dans les deux derniers actes avec ces deux airs redoutables « O prêtres de Baal, » suivi de « Comme un éclair précipité ». Certains lui reprochaient un manque d’investissement comme dans ses Carmen, lui préférant des hystériques. Au bilan, quelle leçon. Kate Aldrich est Fidès, point. J’en oublie la diction que je qualifierai d’irréprochable. Compliment valable pour d’autres participants mais là, je soupçonne le rôle qu’a dû jouer un certain chef de chant, il ne peut en être autrement.
Mais il n’y a pas que Fidès. Il y a la musique et Claus Peter Flor a fait la démonstration que, non, la musique de Meyrebeer n’est pas lourdingue, pas plus que celle des premiers Verdi et de certains Donizetti. Sa direction des différents pupitres et le soutien aux chanteurs et la balance furent sans reproches, mes appréhensions après le Faust, effacées. Oui, il y a de très beaux moments, comme tous les passages avec harmonium, sans parler de ceux avec clarinette basse. Oui, l’acte incluant le ballet fut à la hauteur sans que l’on soit comme à l’époque obligé de se réfugier dans l’arrière-loge ! la petite pincée d’ironie dans le mouvement chorégraphique de Pierluigi Vanelli m’a paru fort bien vu. Oui, les Chœurs du Capitole furent magnifiques, aussi bien dans la douceur que dans le déchaînement, magnifiques dans le chant comme dans la présence scénique. De même pour la Maîtrise du Capitole. Oui, les scènes se succèdent sans soucis, les coupures ne se repérant pas, à part dans la tête de quelques prétentieux qui couchent avec les partitions piquées.
Oui, la mise en scène de Stefano Vizioli ne nous a pas gâché le spectacle, les décors et costumes non plus et les lumières nous ont paru fort adéquates. Oui, les interventions ponctuelles pour juste quelques répliques de paysans, bourgeois, anabaptistes, soldat ne méritent qu’éloges, tout comme le trio que je surnomme ping pang pong, les deux basses Mathisen et Zacharie, Thomas Dear et Dimitry Ivaschchenko encadrant le ténor Jonas Mikeldi Atxalandabaso qui furent irréprochables. Glissons sur un comte d’Oberthal de Leonardo Estevez qui avait fort à faire question comparaison mais qui a tenu sa place sans faillir surtout dans la fameuse scène Trio bouffe de l’acte III.
Autre surprise, et le mot est faible, c’est Berthe, rôle chanté, et interprété de bout en bout, par Sofia Fomina, soprano russe dont la voix nous a laissés, sans voix !! Un timbre, une projection, une aisance dans l’émission, un ensemble de qualités qui la conduira à aborder tous les rôles relevant de sa tessiture dès maintenant. C’est absolument sidérant. La dernière scène où, hallucinée, elle se poignarde dans les bras de Jean……
« Roi du ciel et des anges », par ces mots s’amorce l’Hymne de Triomphe, triomphe du Prophète et de l’américain John Osborn confondant d’aisance, de chant, de présence : « je suis le fils de Dieu », on en redemande tous les matins !! Quant au « Adieu, ma mère… » qui se conclut par un « adieu » je ne sais plus à quelle hauteur. John Osborn est Jean de Leyde. Et comme on ne peut comparer avec le créateur du rôle et quelques suivants, on se contente de dire qu’il a chanté ce qui était écrit par Meyerbeer, et c’est une performance. D’autres rôles l’attendent, à la mesure de son talent, Pollione dans Norma, Benvenuto Cellini, Léopold dans La Juive, Rodrigo dans La Donna del Lago. Ce grain de voix fera merveille.
Voilà une production que je ne pensais pas voir, et revoir, et revoir encore et davantage. Mais, quand tant d’ingrédients sont réunis, on se dit qu’il ne faut pas rater de tels moments, qu’ils ne se reproduisent pas aussi fréquemment, ce qui n’empêche pas d’en espérer d’autres à venir.
Michel Grialou
photos © Patrice Nin