Une Passion de chair, d’âme et de larmes.
Passe ton Bach d’Abord, sorte de folie toulousaine baroque toujours consacrée à Jean Sébastian Bach sur un week-end de juin, a fêté ses dix ans. Michel Brun, son fondateur, a su marquer d’un lustre particulier cet anniversaire en offrant un majestueux concert à la Halle aux Grains avec une Passion selon Saint Matthieu qui restera dans toutes les mémoires et fera date.
Les idées simples ne sont pas les plus partagées et plus d’un s’est demandé pourquoi personne n’avait pensé plus tôt a sous-titrer les mots si théâtraux de Picander, de son vrai nom Christian Friedrich Henrici mis en musique par un Bach à son sommet d’inspiration. Le choc issu de la lecture en temps réel des mots de la magnifique traduction de Gilles Cantagrel est ineffable. Le drame humain du « Fils de l’homme », prend une dimension personnelle pour chaque auditeur et les larmes ont embués bien des yeux tout du long du concert. Il fallait le sens instinctif de la rhétorique, la générosité et la rigueur de Michel Brun pour galvaniser ainsi cette masse d’artistes, chanteurs, choristes et musiciens. Car si certains osent encore le un par voix, la majesté et la théâtralité spatiale de cette Grande Passion ne s’expriment que dans un effectif généreux, comme cela. C’est donc la générosité qui a envahi la Halle-aux-Grains et a ému aux larmes le public.
Deux orchestres dirigés chacun par un violoniste qui a ébloui tout particulièrement dans son air accompagné. Orchestre Un avec la délicieuse Marie Rouquié dont les volutes dans l’air avec d’alto a été un véritable ensorcèlement. Tandis que Gabriel Grosbard dirigeant l’orchestre Deux a, avec une male virtuosité, entrainé la basse avec une fougue irrésistible dans son air « Gebt mir meinen Jesum wieder ».
Tous les instrumentistes ont été magnifiquement concernés par la rhétorique si vive demandée par Michel Brun, leur virtuosité au service de l’émotion comme rarement. L’écoute attentive, les signes de complicité ont été un spectacle charmant tout du long de cette Passion. Il faudrait les citer tous…
Dès le chœur d’entrée la spatialisation subtile de Bach a fonctionné pour saisir le public et tout s’est enchainé ensuite pour un extraordinaire voyage. Le chœur d’enfant installé au fond, chaque chœur de part et d’autres des deux orchestres et c’est ainsi que le son a gagné toute la Halle-aux-Grains sans difficultés. La beauté des chœurs, leur implication totale et leur ductilité méritent de prendre le temps de détailler leurs fonctionnements. S’agissant de trois chœurs amateurs il convient de rendre hommage aux chefs de chœur qui font un travail si enthousiasmant. Le Chœur Baroque de Toulouse est dirigé par Michel Brun, assisté avec passion par Clotilde Daubert. Un résultat vocalement si subtilement nuancé repose sur un travail de fond impeccable, patient et régulier. Les deux autres chœurs : Les Conférences Vocales et La Lauzetta sont dirigés de main de maitre par Laëtitia Toulouse. Cette jeune chef de chœur a un talent rare pour obtenir dans l’enthousiasme un résultat digne de professionnels. Les chanteurs adultes des Conférences Vocales, habitués au répertoire A Capella, ont été le Chœur Deux. Ils ont tout particulièrement été admirables de présence exacte. Sachant être second dans les interventions courtes mais s’équilibrant parfaitement avec le Chœur Un, et ce malgré leur plus petit nombre. La Lauzetta est un Chœur d’enfants auquel il n’est pas demandé de savoir lire la musique. Les voir ainsi en des habits blancs divers, sans partitions, détendus et concentrés est une expérience réjouissante. Beauté des timbres, engagement total, et plaisir à chanter : Voici un exemple admirable. A nouveau il s’agit du travail de Laëtitia Toulouse mais également celui d’Anne-Claude Gérard son assistante, elle qui sait si bien transmettre à chacun la joie de chanter.
Une passion repose également sur un soliste hors norme qui peut se charger du rôle écrasant de l’Evangéliste. Ce commentateur doit avec facilité affronter des récitatifs variés, tendus et vivants, chargés d’interventions et de sentiments contrastés. Le ténor Suisse Raphael Höhn est tout simplement parfait. Il est engagé et porte à bout de voix toute la dramaturgie de l’oeuvre. Il sait enlaidir son timbre sous la colère, mais la noblesse de ton du chanteur est un atout majeur. L’alto Caroline Champy-Tursun aura la palme de l’émotion. Avec un engagement total et des gestes d’une théâtralité pondérée elle touche au cœur le public et tout particulièrement dans le si sensuel air des larmes. Son timbre est prenant et sa diction est merveilleuse. En Jésus le baryton Philippe Estèphe fait de sa jeunesse et une certaine fragilité des atouts de poids. Ce Jésus est vraiment le « Fils de l’homme » dans une vulnérabilité totale qui est la notre. Matthieu Toulouse d’une voix de basse bien timbrée sait incarner une pléthore de personnages avec chaque fois un engagement mémorable : Pierre, Judas, le Grand Prêtre, Pilate et dans son bel air il a toute l’élégance requise. La jeune soprano, Clémence Garcia, un peu impressionnée au début se détend au fur et à mesure. La fraicheur du timbre fait merveille. Seule le deuxième ténor Guillaume François est en de ça, par la modestie du timbre et des moyens vocaux.
Un seul regret, que Bach n’ai pas écrit d’avantage pour le Chœur d’Enfants, absent de la deuxième partie.
Je dois reconnaître que jamais je n’avais entendu une Passion si émouvante. Michel Brun a su mobiliser avec une totale abnégation tout son monde qui a comme le public fait un voyage inoubliable dans la fabuleuse rhétorique et la beauté de Bach. Les sous-titres ont été impeccablement réalisés. Voilà ce qui sera une exigence du public à l’avenir tant cela permet un gain d’émotion incroyable par le sens gagné à chaque instant. Le public a ovationné tous les artistes debout. Michel brun n’a pas manqué de lever la partition pour dire son amour pour la musique du Cantor et lui en attribuer le succès. Bach magnifié par la passion folle de Michel Brun qui a passé très brillamment son Bach avec éclat.
Hubert Stoecklin pour Classiquenews.com
Compte-rendu Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 4 juin 2017. Johann-Sebastian Bach (1685-1750) : Passion selon Saint Matthieu, BWV 244. Raphael Höhn, ténor, l’Evangéliste ; Philippe Estèphe, Baryton , Jésus ; Clémence Garcia, soprano ; Caroline Champy-Tursun, alto ; Matthieu Toulouse, basse ; Guillaume François, ténor. Ensemble Baroque de Toulouse ; Chœur Baroque de Toulouse ; Chœur Conférences Vocales, chef de chœur, Laëtitia Toulouse ; Chœur d’enfants la Lauzetta, chef de chœur, Laëtitia Toulouse, assistée d’Anne-Claude Gérard. Direction, Michel Brun.