Avec « L’Homme de Hus », Camille Boitel enchante à nouveau le public du théâtre Garonne.
Les spectateurs toulousains n’avaient pas revu Camille Boitel depuis « L’Immédiat ». C’était en 2011, au théâtre Garonne. En cette fin de saison, le théâtre, en partenariat avec l’Usine*, accueille à nouveau cet artiste acrobate, jongleur, danseur, formé à l’école d’Annie Fratellini, avec une pièce créée en 2003. « L’Homme de Hus » qui avait révélé l’immense talent de Camille Boitel raconte dans une forme burlesque entre pantomime et acrobatie, les péripéties et les ratages d’un homme venu de la nuit des temps en lutte avec le monde. Un monde représenté ici par des tréteaux de bois, une multitude de tréteaux qui empilés les uns sur les autres, se transforment en une foule menaçante ou dépliés les uns derrière les autres, en une armée de bestioles géantes, comme sorties de « Starship Troopers »… Au gré de leur disposition, ces mêmes tréteaux deviennent cabane ou maison (« hus » en scandinave) au sein de laquelle notre personnage se retrouve pris au piège. Car dans l’univers de Camille Boitel, les objets, aussi quotidiens soient-ils, sont récalcitrants et menacent de l’écraser, de l’engloutir. L’artiste pratique l’art absolu de l’encombrement et de l’équilibre précaire. Camille Boitel ou la virtuosité de la maladresse. Fascinés, nous suivons en trois tableaux cet être lunaire et aérien qui vêtu d’une robe rouge, puis d’une camisole blanche et enfin d’une improbable carapace noire, se débat avec des chaises pliantes et des tréteaux, mais aussi avec lui-même. Un exercice vertigineux où l’on ne sait plus si Camille Boitel jongle avec les éléments du décor ou avec son propre corps ! Comme lors de cette séquence stupéfiante et hilarante, où sous un manteau noir démesuré lui donnant l’allure grotesque d’un père Ubu et qui ne laisse dépasser que sa tête, ses mollets et ses mains, il manie de façon troublante l’illusion du corps disloqué, démembré, étêté, rapetissé.
Dans ce spectacle très visuel et quasi-muet, chacun invoquera ses propres images. Par la présence des tréteaux et des planches de bois, on pensera bien sûr à la figure du comédien face à lui-même, s’apprêtant à en découdre avec le plateau, mais apparaîtra aussi la vision du martyre Jan Hus supplicié au bûcher, qui fera place à la folie d’un homme égaré en lui-même. Toutes ces situations ont un point commun : la vulnérabilité et la fragilité de l’être humain y sont mises à mal. On rit alors le cœur serré face à la tragédie de cet elfe pugnace, devant sa résistance au chaos, devant son combat solitaire dans ce monde implacable. Même lorsque Camille Boitel déclenche des éclats de rires en créant des scènes hors champs à l’extérieur du théâtre, dans la rue, ou au dessus de nos têtes, sur le gril, quelque chose de poignant se joue dans cette solitude de clown triste rappelant Buster Keaton, Harold LLoyd ou Charlie Chaplin. Le comédien renouvelle sans cesse son rapport au public, instaurant une empathie mêlée de crainte et de tension. Esthétiquement sublime et d’une inventivité folle, « L’Homme de Hus » n’est est pas moins un spectacle artisanal, ancestral fabriqué de matériaux pauvres, de quelques lampes – manipulées à vue par trois complices – et de corps au plateau. Un poème simple, tendre, absurde et tragiquement humain.
Une chronique de Sarah Authesserre pour Radio Radio
* Centre national des arts de la rue et de l’espace public (Tournefeuille / Toulouse Métropole)
> Du 1er au 10 juin, au Théâtre Garonne (1, avenue du Château d’eau, 05 62 48 54 77, theatregaronne.com )