La direction artistique des Grands Interprètes est soumise comme de coutume aux paris sur l’excellence bien avant le début de la saison.
Si la saison 2016/2017 est globalement magnifique les deux derniers concert mettent en lumière un point intéressant. Le paris sur deux chefs de grande réputation, le choix d’œuvres qu’ils affectionnent tout particulièrement ont donné deux résultats opposés que l’applaudimètre n’a pas assez souligné.
LE CIEL
Le ciel c’est ouvert pour un concert mémorable des forces moscovites dirigées comme un dieux par Tugan Sokhiev. Peut être le plus beau concert de ces dernières années. Une œuvre aussi rare que belle et des interprètes survitaminés pour leur première apparition à Toulouse. Mon compte rendu est ici en intégralité.
mais je signalerai juste ce qui concerne le chef :
Il nous reste à évoquer le Grand Vainqueur de la soirée. L’audace n’est pas mince. Tugan Sokhiev est chez lui dans cette Halle-aux-Grains depuis 2005. Il a été nommé en 2014 au Bolchoï. Il vient donc en ambassadeur de poids. Mais cela peut aussi provoquer craintes et jalousies. Pourtant il nécessaire d’accepter qu’un artiste de cette trempe, -qui partout où il passe séduit orchestres, critiques et publics, même si un lien profond existe avec son orchestre de Toulouse-, ne peut s’en contenter. Ecouter et voir son engagement avec les forces du Bolchoï est donc un exercice ambivalent. Pour ma part, il confirme ce sentiment d’avoir la chance de pouvoir suivre l’évolution d’un chef qui deviendra l’un des tous premiers dans un avenir proche. L’aisance avec laquelle il empoigne ce grand opéra à la française, avec un coté meyerbérien, voir wagnérien, et même italien tout en restant si admirable dans les équilibres, reste un grand moment. La direction est comme nous savons, un ballet de tout son corps avec des regards profonds. Les gestes anticipés permettent de comprendre chaque instant de cette partition fleuve. Les récitatifs sont mordants, les moments orchestraux splendides, les grands airs tiennent en des arcs infinis, les grandes fresques chorales sont terrifiantes. Les finales des derniers actes sont sensationnels. Cette conception dramatique si intelligemment menée permet de terminer sur un final d’une puissance, d’une violence incroyable. Tugan Sokhiev sait construire le dernier crescendo pour laisser le public haletant devant le supplice et la mort de Jeanne d’Arc. L’orchestration de Tchaïkovski ose pour terminer son chef d’œuvre des audaces d‘écritures particulièrement évocatrices de la cruauté du peuple utilisée par les puissances religieuses et temporelles en assassins associés. Après ce grandiose finale si dramatique le public rend les armes et applaudit à tout rompre une équipe soudée et victorieuse. Tugan Sokhiev offre avec cet opéra si rare un complément de choix aux autres ouvrages lyriques de Tchaïkovski qu’il a déjà dirigés à Toulouse pour le ravissement d’un public conquis.
Le Bolchoï est un géant mondial incontournable et Tugan Sokhiev sait faire la plus belle musique possible avec des forces si difficilement domptables.
L’ENFER
Compte-rendu, concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 31mars 2017. JS Bach: Passion selon Saint-Jean. Fabio Trümpy, ténor ; Les Musiciens du Louvre ; Marc Minkowski, direction.
L’autre concert a été confié à un chef d’expérience aussi engagé que Tugan Sokhiev qui lui est directeur artistique au Bolchoï et de l’ Orchestre du Capitole quand Marc Minkovski est à la tête de l’Opéra National de Bordeaux et dirige les Musiciens du Louvre. L’amour de Marc Minkovski pour Bach n’est pas en cause. Lorsqu’il dirige il se régale. Mais las, las, las, il n’y comprend rien et s’entête dans des choix artistiques composites sans direction sensée. Des tempis excentriques, des chanteurs malmenés par un orchestre trop fort. Il passe à coté de la passion selon Saint Jean, la plus émouvante de Bach! Certes le public a entendu des moments musicaux de qualité et qui ne vient que pour la beauté a pu trouver de quoi se réjouir. Mais ceux qui sont sensibles au message, à la direction humaniste et aux choix interprétatifs informés ont été déçus.
Voici après ce préambule un peu long, ma chronique. Et il est possible de lire en lien au bas de l’article combien l’enregistrement de cette belle passion est lui aussi raté.
Même si il aime Bach nous n’aimons pas sa manière de se servir de sa musique, plus que de la servir. Nous n’irons plus l’ écouter à l’avenir, car notre entendement est trop malmené.
Une Saint Jean ratée par un Minkowski en méforme.
Triste concert ce soir pour la Passion selon Saint-Jean, tout à l’opposé de la version humaniste, théâtrale et lumineuse, stylistiquement informée de Jean-Marc Andrieu, donnée il y a quelque semaines à peine dans cette même Halle-Aux-Grains. Marc Minkowski n’est pas chef à s’embarrasser. Il décide que le génie de Bach est à son service et il dispose donc de la vaste partition à sa guise. Dès les premières notes du majestueux chœur « Herr, unser Herrscher », premier pilier de l’œuvre, le ton est donné. C’est la violence qui est à la baguette, demandant aux cordes graves d’appuyer les premiers temps et au clavecin de métalliser des accords terribles, dans un tempo infernal. L’imploration du chœur des fidèles devient abrupte et semble s’en prendre au créateur et sans aucune modestie demander des comptes. Mais peut-on parler d’un chœur avec huit chanteurs ? Avec huit chanteurs, à la fois solistes et chœur, c’est le régime maigre. Ils ont été complètement submergés par les instrumentistes, privés de nuances dans ce combat perdu d’avance. Les voix sont à la peine et à deux par voix ne trouvent pas la cohérence nécessaire. Ainsi l’individualité des voix, chacune reconnaissable, surtout les sopranos, ne permet aucune homogénéité de couleur. Pour être spectaculaire, avant d’être iconoclaste cette entrée en matière est avant tout un véritable contre-sens. Le dernier grand chœur, la berceuse de la mort « Ruht Wohl», si subtilement écrite devient une page ennuyeuse et molle, tant le tempo est étiré. Ainsi le chef arrive à fragiliser les deux sublimes piliers qui structurent le chef-d’œuvre de JS Bach. Sa proposition interprétative s’en trouve très affaiblie.
Mini Saint-Jean de Minkowski
De ce naufrage, l’évangéliste de Fabio Trümpy sort vainqueur. Son ténor chaud et moelleux est une merveille vocale, le diseur est dramatique et son humanisme irradie à chacune de ses interventions redoutables. Le ténor Suisse est un évangéliste absolument parfait. Par chance l’entente avec le continuo est sensationnelle et donne beaucoup de vie et de souplesse à l’ensemble. D’autant qu’ils sont libérés de la main autoritaire du chef. Le Jésus d’Edward Grint, avec noblesse et jeunesse nous rend le Christ particulièrement proche. Mais un pas en avant, puis un en arrière, comme il est compliqué de voir le Christ renter dans les chœurs de foules si hostiles, les terribles Turba.
Les airs sont tous correctement chantés par les solistes en alternance mais l’implication est toujours prudente devant la tache herculéenne demandée. Tous les effets théâtraux liés à la foule tombent à plat, malgré les efforts de Minkowski dont les gestes dévoilent son intense plaisir mais ont peu d’effets. Les chorals sont sans ferveur et souvent ennuyeux. La vaste acoustique de la Halle-Aux-grains reste comme orpheline d’un vrai chant choral.
Reste la musique de Bach qui se déroule avec quelques beaux moments principalement dans les airs, accompagnés par des instruments obligés de grande qualité. Mais ailleurs que de frustrations pour les amoureux de cette Passion si riche en émotions contrastées !
Ce soir Marc Minkowski, sans complexes, offre lui une mini Passion, sans arriver à égratigner le géant Bach dont il snobe le génie dramatique, à moins que ce dernier ne lui ai complétement échappé.
Toulouse. Halle-aux-Grains, le 31 mars 2017. Johann Sébastian Bach (1685-1750) : Passion selon Saint Jean, BWV245. Laure Barras, Hanna Husahr, sopranos ; Owen Willetts, alto ; Alessandra Visentin, mezzo ; Fabio Trümpy, ténor ; Valerio Contaldo, ténor ; Edward Grint, baryton ; Yorck Felix Speer, basse ; Les Musiciens du Louvre ; Marc Minkowski, direction.
CD. Le disque édité par ERATO et paru en avril 2017, confirme aussi le sentiment mitigé face au geste de Marc Minkowski abordant la Saint-Jean de JS Bach. LIRE notre compte rendu critique du cd La Passion selon Saint-Jean / Johannes Passion de Js Bach par Marc Minkowski