Pierre Béteille et Stéphane Giner sont photographes. Ensemble, ils ont fondé le Studio O.H.
L’un est grand, l’autre pas. L’un est tatoué, l’autre non. L’un est drôle et l’autre aussi. Tous deux portent une barbe.
Autour d’une tasse de café sucré pour l’un mais pas pour l’autre, ils discutent du métier d’artisan photographe, de la différence entre être et faire, des passions qui les animent et de l’amitié qui les lie.
Culture 31 vous offre un guide en quatre étapes.
1- Commencer quelque part
Stéphane Giner: Mon beau-père était photographe de quartier. A sept ans, il m’a offert un appareil photo. J’ai pris l’habitude de photographier tout ce et ceux qui m’entouraient. Mon père est programmeur et analyste. Très tôt, il m’a offert un ordinateur. Au départ, il n’y avait pas de connexion entre photographie et informatique. Puis les premiers appareils photos numériques sont apparus, et très vite, je me suis intéressé à leurs possibilités.
J’ai créé ma première entreprise de retouche numérique. Ça ne marchait pas du tout. Mais étant l’un des plus jeunes artisans de Midi-Pyrénées, j’ai obtenu un article de trois lignes dans La Dépêche, que ma mère a encadré. Par chance, une deuxième personne a lu cet article, car j’ai reçu un appel de la Mairie de Toulouse, qui souhaitait préserver des clichés datant de la fin du dix-neuvième siècle. J’y ai travaillé pendant deux ans. Au bout de ce contrat, je me suis tourné vers le graphisme, en indépendant ou pour des agences. En 2005, je me suis retrouvé au chômage, et j’ai décidé de revenir à la photographie.
Pierre Béteille: Comme Stéphane, j’ai toujours fait de la photographie, mais c’est devenu mon métier après beaucoup d’autres expériences. Il y a des années, je faisais de la radio libre. Je travaillais en binôme. Un jour, je pars en vacances. A mon retour, mon binôme me dit : « C’est bien que tu sois rentré. Demain, on débute à Radio France. » Il leur avait envoyé des cassettes sans me prévenir. Radio France partageait ses locaux avec FR3. FR3 aimait ce qu’on faisait. Ils nous ont proposé de réaliser des pastilles pour eux. Quand Radio France a fermé, on devait faire la rentrée sur Europe 1. Mais pendant l’été, le directeur des programmes qui nous avait engagé a été remercié -et nous avec. Comme il se sentait un peu coupable de nous avoir fait monter à Paris, il nous a présenté Stéphane Collaro. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler à la télévision.
Au fil de mon parcours, je suis devenu directeur artistique d’une entreprise qui faisait de l’internet. C’était extrêmement bien payé et assommant. Un jour, je me suis dit : « Si je reste, je vais finir cinquantenaire avec un ulcère». Je me suis mis à la photographie sans espérer en vivre. Je me contentais de poster mes clichés sur Flickr. Là, deux choses se sont produites. D’abord, j’ai été contacté par la Fondation Annenberg, qui m’a exposé lors d’un grand show à Los Angeles. Ensuite, j’ai rencontré Stéphane.
2 – Rencontrer la bonne personne au bon moment
Stéphane : J’avais créé un groupe sur Flickr, pour fédérer toutes sortes de créatifs autour de Toulouse. J’espérais créer une émulation, permettre le rapprochement de personnes faisant des travaux complémentaires. Ça a abouti sur de nombreuses rencontres et de nombreux apéros chiants comme la pluie. Ça devenait une bataille d’ego.
Pierre : Finalement, on est deux ou trois à être restés potes, parce qu’on était les seuls à discuter d’autre chose que de photo. Au départ, Stéphane et moi avons eu l’idée de monter un studio ensemble pour des raisons financières : chacun de son côté, c’était impossible. Mais ça l’aurait été tout autant si nous n’avions pas été amis.
Stéphane : Je n’aurais jamais proposé à quelqu’un d’autre que Pierre de monter un studio.
Pierre : On a la même façon de fonctionner. Chacun est venu avec son matériel et on en a racheté ensemble. On partage tout, sans regarder qui travaille avec quoi, qui a payé quoi, quand, comment.
Stéphane : On met tout en commun, c’est une gestion communautaire. Nous sommes très attachés à notre indépendance : on spécifie toujours que nous ne sommes pas associés : nous sommes camarades ou collègues. Pourtant, nous travaillons souvent ensemble. J’aide Pierre et vice versa. C’est par amitié, parce qu’on a envie de le faire, pour le plaisir. Tu peux trouver ce genre de relation à vingt ans, quarante ans, soixante ans ou jamais. Nous, ça fait deux ans.
Pierre : D’ailleurs, en deux ans, on ne se s’est jamais embrouillés. On s’est déjà embrouillés ?
Stéphane : Non, jamais. Et même, on se réjouit de la réussite de l’autre. C’est une histoire de confiance et d’amitié.
Pierre : Il y a peu de gens avec qui tu peux avoir ça.
Stéphane : C’est très précieux.
3- Connaître la différence entre être et faire
Stéphane : On a donc créé le Studio O.H. Ça signifie Our House, d’après une chanson de Madness, un groupe qu’on adore tous les deux. Le studio, c’est une troisième entité, où se fédèrent nos compétences et notre envie de faire du bel artisanat pour des commanditaires. Ce n’est pas un lieu où développer notre travail personnel et artistique.
Pierre : Au Studio, il y a la notion de se mettre au service des gens qui est intéressante. Ça a un côté hyper stressant que j’adore. J’ai aussi joué dans un groupe, et avant de monter sur scène, j’avais la peur au ventre, mais j’adorais ça. C’est l’adrénaline, et c’est la même chose avant chaque séance. Tu n’es jamais blasé. Tu dois apporter quelque chose aux autres, il y a cette pression. Je pourrais être hyper célèbre et millionnaire, j’aurais toujours peur avant de prendre une photo.
Stéphane : C’est une autre gymnastique intellectuelle. Quand tu travailles pour toi, c’est instinctif : tu sais ce que tu veux, tu appuies sur le déclencheur ou pas. Quand tu travailles au service d’un client, tu dois avoir une espèce d’hyper-empathie, et te mettre à sa place. C’est ce qui fait que notre métier de photographe n’est jamais répétitif. Même si on reproduit des gestes techniques, chaque sujet est différent, et ce que tu vas en retirer humainement le sera aussi.
Pierre : Oui, c’est une expérience humaine.
Stéphane : En fait, photographe n’est pas juste un métier, c’est un état. Par exemple, quand on regarde un film, on se demande tout le temps où est placée la lumière. Dans la vie, quand on est témoins d’une scène…
Pierre : On regarde toujours la lumière et les détails. On a un regard différent sur tout.
Stéphane : On reste souvent imprégnés par nos séances -toujours par la dernière. Photographier exige de brûler les étapes sociales pour créer une connexion intense avec ton sujet : que ce soit un homme, une femme, un groupe, peu importe. Tu peux rester longtemps sous le charme de l’ambiance ou de cette connexion. Ça marche aussi en sens inverse. Parfois, on reçoit des messages de personnes qui expriment l’importance de cette séance pour elles.
Pierre : Les gens se sentent regardés, mais aussi écoutés. Avant de photographier quelqu’un, on discute pour connaître sa démarche, qui est toujours particulière. Les gens se laissent souvent aller à des confidences, sachant que ça ne sortira jamais du studio.
4- Trouver sa place, et depuis celle-ci , considérer l’avenir
Pierre : Idéalement, j’aimerais ne faire que du portrait. Paradoxalement, depuis que je suis photographe de métier, je prends beaucoup moins de photos personnelles, et jamais en vacances. En vacances, je ne photographiais que ma femme, mais elle m’a demandé de ne plus le faire. Ça ne sert à rien de photographier un paysage. Il y aura toujours quelqu’un qui l’aura fait avant et mieux que toi. Pour moi, une photo n’a d’intérêt qu’à partir du moment où il y a quelqu’un dessus.
Stéphane : J’adorerais faire pour une clientèle ce que je fais déjà pour mes enfants : des photos de famille. Aujourd’hui, on n’imprime plus les photos : on les garde dans des disques durs ou des téléphones. J’aimerais redonner le goût de faire des albums, et offrir un beau travail d’artisanat. Un album, c’est une transmission familiale autant qu’un travail documentaire. J’ai toujours eu ce réflexe, documenter ce qui m’entoure. J’aimerais être le lien invisible entre les générations. Ce serait une manière d’exister petitement dans pleins de vies différentes.
Pierre : Nous allons déménager le studio au mois d’avril, de l’avenue des États-Unis pour la rue Bouquières. Actuellement, notre studio est un atelier : nous nous contentons d’y faire les prises de vues, puis nous travaillons chacun chez nous, soit 80% de notre temps. Là, nous travaillerons complètement sur place. Et l’emplacement en centre-ville offre un rapport à la clientèle très différent : les passants curieux pourront pousser la porte, quand actuellement, tout se fait sur rendez-vous.
Stéphane : Financièrement, ce n’est pas un métier facile, mais je me sens satisfait, à ma place. J’ai l’impression de faire ce que j’ai à faire.
Pierre : C’est ça. D’ailleurs, mon épouse me l’a encore dit : Pierre, tu a rarement été aussi détendu.
Eva Kristina Mindszenti
Studio O.H – 8 Rue Bouquières (ouverture mai 2017)
Tél : 06 51 20 66 94 – Studio O.H – Facebook
Site Pierre Béteille : http://www.pierrebeteille.com/
Site Stéphane Giner : http://stephaneginer.com/
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Actualité
Tonsor & Cie collabore depuis sa génèse avec cette équipe très créative et professionnelle : Studio O. H.
« Deux photographes, un studio. Deux curieux, un labo ». Venez découvrir la nouvelle création artistique de Tonsor & Cie by Studio O.H. sur le mur central du SocialClub…
Tonsor & Cie
31 rue Bouquières – 31000 Toulouse
Tel : 05 61 55 02 31
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