Dans le cadre du cycle Grands Interprètes de Toulouse, Jean-Sébastien Bach est à l’honneur avec la Passion selon Saint-Jean. Elle est donnée en deux parties sans entracte. C’est à la Halle, à 20h, le 31 mars. Marc Minkowski choisit une formation qu’il affectionne, à l’effectif très resserrée, et limitée à huit chanteurs, tous les solistes participant aux chorals. Il estime que ce type de formation se révèle plus expressive, plus porteuse d’émotions.
Il faut être fin limier pour s’y reconnaître dans le maquis des partitions du Cantor. Un célèbre chef baroqueux écrira même : « Quand on veut arriver au plus près de la vérité historique la plus probable, le travail tient toujours un peu du roman policier. Tous les détails ne seront toutefois jamais éclaircis. » Le musicien a beaucoup plagié, s’est beaucoup plagié lui-même, le verbe ayant alors un sens qui est à des années-lumière de celui dont il est affublé de nos jours. Il a beaucoup repris, remanié, écarté puis reconsidéré. Durant la vie même de Bach, pas moins de quatre versions de cette Passion virent le jour, présentant à chaque fois des adaptations aux circonstances de l’exécution, aux musiciens et aux instruments que le compositeur avait à disposition, sans oublier les chanteurs, concertistes et ripiénistes, des éléments essentiels à prendre en compte. Intention plus que louable et que l’on serait bien avisé de ne point critiquer sous peine d’anachronisme intellectuel. Mais, chaque version – de la I de 1724 à la IV de 1749, peu avant sa mort, en passant par la II de 1725 et la III de 1732 – est susceptible elle-même de présenter des variantes !
Sachons aussi que le livret de cette Passion est une mosaïque, un véritable puzzle, peut-être assemblé par Bach lui-même à partir de textes existants : récit des évangiles, anciens chorals, des textes de poètes contemporains comme Barthold Heinrich Brockes, Postel…et des textes de Bach lui-même. (Voir plus loin). Ceci, entièrement dans la tradition d’alors. Des textes incroyablement baroques, naturellement complètement imprégnés des textes bibliques.
Au sujet de la religion de J.S. Bach, sa foi et sa piété sont évidentes : une foi viscérale, inaltérable, dont l’expression naturelle est une piété permanente. Pour lui, l’art est un don de Dieu, et sa fonction première est d’honorer Dieu…C’est par la permanence de sa piété, par la convergence vers Dieu de tous ses actes et de toutes ses pensées, que se révèle la foi de J.S. Bach.
La croix, la Passion et la mort du Seigneur sont ainsi au centre spirituel et musical de l’œuvre de Bach. Des cinq Passions que le Cantor de Saint-Thomas a peut-être écrites, deux seulement nous restent : celle d’après l’évangile selon saint-Matthieu et celle d’après l’évangile selon Saint Jean. Mais, dans la première exécutée, celle selon Saint Jean, Bach avait déjà inséré nombre de versets du texte de Saint Matthieu. Et dans la deuxième, il insère plus tard l’un des plus beaux chœurs écrit primitivement pour la Passion selon Saint Jean. Cette dernière est surtout dramatique, et son lyrisme même, là où il apparaît, est de caractère passionné. L’une comme l’autre ne sont rien d’autre que deux gigantesques cantates dont les éléments caractéristiques, airs et chorals, sont reliés entre eux par le récit dramatique. Des deux, c’est bien celle qui nous occupe qui est une cantate résolument théâtrale, et même, le seul témoignage de la musique dramatique de la première moitié du XVIIIe siècle qui fût demeuré vivant pour nous. En cela, le compositeur nous montre qu’il aurait pu être un génial compositeur lyrique, devenir un prodigieux musicien de théâtre.
La version de cette Passion présentée fut donnée lors des vêpres du Vendredi-Saint, le 7 avril 1724, à l’église Saint-Nicolas, non sans éviter un conflit avec le Conseil municipal, l’auteur ayant d’abord ardemment souhaité qu’elle soit au contraire donnée à l’Eglise Saint-Thomas où il avait été nommé Cantor, il y a peu. On vous épargnera les différences qui ne peuvent intervenir dans le plaisir d’écoute que vous aurez à la Halle, en sachant que, de plus, Marc Minkowski peut vous compliquer la tâche en rajoutant, qui sait, certains numéros. Par exemple, va-t-il nous révéler aussi le secret du bassono grosso ou de son ancêtre sensé intervenir dans cette version ?
Sommaire très succinct pour éviter l’énumération d’une cinquantaine de numéros.
Remarque : le sujet tenait tellement à cœur au compositeur qu’il écrira lui-même le texte de certains des numéros de l’œuvre. Par exemple, (« Ach, mein Sinn »), (Ah ! mon âme), air de ténor sur le reniement de Saint-Pierre dans la première partie. Mais encore, la deuxième partie présente, elle, un arioso de basse (« Betrachte, mein Seel ») (Contemple, mon âme), une aria de ténor (« Erwäge, wie sein blutgefärbter Rücken », (Considère comme son dos teinté de sang), l’une des rares qui soient développées, sur la flagellation de Jésus), un air d’alto (« Es ist Vollbracht ! ») (Tout est accompli), sommet de l’ouvrage, un air de basse (« Mein teurer Heiland, lass dich fragen ») (Mon cher Sauveur, laisse-moi te demander) sur la Crucifixion. Ce sont, certainement, les moments culminants de l’œuvre.
Comme un fil rouge, le récit évangélique traverse l’œuvre entière, le plus souvent sous forme de monologue, parfois sous forme de dialogue avec Jésus, parfois aussi sous forme de véritable scène dramatique, avec intervention, en dehors de Jésus, de personnages comme Pierre ou Pilate. L’Ouverture de cette Passion célèbre, d’emblée, la gloire définitive du Fils de Dieu et Rédempteur : « Herr, unser Herrscher, dessen Rhum ». un rythme de clavecin, scandé, donne au sujet son dynamisme exaltant, tandis que la flûte, dominante à l’orchestre, lui ajoute un cachet affectif et pastoral. Inspiration directe de la foi victorieuse, vision céleste.
Première partie
Acte I : L’arrestation
Acte II : Interrogatoire chez Anne et Caïphe. Reniement de Pierre~ 30’
C’est l’évocation de l’arrestation au Jardin des Oliviers. Un début d’émeute : « Qui cherchez-vous ? Jésus de Nazareth ! » La paix du Christ l’endigue. L’air de contralto du « von den Stricken » unit les deux sentiments de la complainte aux pieds de la divine victime et de la confiance en la satisfaction infinie du Sauveur. Hautbois et contrebasses créent le fond sonore le plus adéquat : l’un par sa clarté lumineuse, l’autre par sa profondeur sourde.
Puis, selon Saint-Jean, un air de soprano – « Ich folge dir » – doublé à la flûte, peint les sentiments de Saint-Pierre, sans arrière-pensée, alors qu’il se met à la suite du divin prisonnier…Après son triple reniement imprévu, les larmes de l’apôtre coulent, et sa tristesse s’exhale sur un ton d’amertume virile : « Ach, mein Sinn », tendu vers la réparation. Trois chorals successifs relèvent la gloire du Seigneur : « Ach, grosser König ! »
Oeuvre anonyme du XVIIè, peintre flamand. il représente la crucifixion du Christ,la Vierge et Saint Pierre
Deuxième partie
Acte III : Interrogatoire chez Pilate. Flagellation et couronnement d’épines
Acte IV : Crucifixion et mort de Jésus
Acte V : L’ensevelissement ~ 90’
Le jugement de Pilate reçoit son illustration principale d’un arioso pour basse et d’un ario pour ténor : le premier est une nouvelle, mais brève complainte. Le deuxième, beaucoup plus abondant, un autre hymne du salut : du contraste procède l’équilibre du raccourci doctrinal. Le couronnement d’épines n’interrompt pas le récit, mais l’excitation inconsciente des Juifs revêt une force impressionnante.
Le crucifiement selon Saint-Jean comporte une invitation collective à se hâter et à voler vers le sommet du Golgotha : « Eilt…flicht ! ». Les soldats romains eux, dansent une ronde, une carmagnole autour de la tunique sans couture. L’air du « Tout est consommé » pour contralto, orgue et viole de gambe, cristallise à un niveau suprême, la fusion de la mystique et de l’esthétique. Trois autres airs successifs pour basse, ténor et soprano et un chœur en transposent les résonances.
Un chœur et un choral terminent cette Passion. La première partie du chœur a le caractère enveloppant d’une divine « berceuse de la mort » pour le repos du Rédempteur. La seconde partie y superpose l’idée de la gloire.
« Ici, la Passion prend fin et la compassion continue. Le Christ n’est plus sur la croix, il est avec Marie qui l’a reçu…L’Eglise, entre ses bras, à jamais prend charge de son bien-aimé…Ici finit la croix et commence le tabernacle.
Le tombeau où le Christ qui est mort ayant souffert est mis,
Le trou à la hâte descellé pour qu’il dorme sa nuit,
Avant que le transpercé ressuscite et monte au Père… »
Paul Claudel.
Marc Minkowski
Marc Minkowski se passionne très jeune pour la direction d’orchestre. Il fonde Les Musiciens du Louvre à 19 ans, ensemble qui prend une part active au renouveau baroque défrichant le répertoire français et Handel, avant d’aborder Mozart, Rossini, Offenbach ou Wagner. En 2012, il a fêté les 30 ans de son orchestre.
Il est régulièrement à l’affiche à Paris : Platée, Idomeneo, La Flûte enchantée, Ariodante, Giulio Cesare, Iphigénie en Tauride, Mireille, Alceste (Opéra national de Paris) ; La Belle Hélène, La Grande-Duchesse de Gérolstein, Carmen, Les Fées (Théâtre du Châtelet) ; La Dame blanche, Pelléas et Mélisande, Cendrillon de Massenet et La Chauve-Souris de Strauss en décembre 2014 (Opéra Comique).
Il est aussi invité dans les plus grandes maisons se consacrant à l’art lyrique que ce soit Salzbourg, Bruxelles, Zurich, Venise, Moscou, Berlin, Amsterdam, Vienne, Aix-en-Provence. Au cours de la saison 2014-2015, il a fait ses débuts à Covent Garden (Idomeneo et Traviata) et à La Scala (Lucio Silla, L’Heure espagnole et L’Enfant et les sortilèges de Ravel). Il dirige la Trilogie Mozart / Da Ponte au Festival de Drottningholm à partir de l’été 2015. Il est également l’invité régulier d’orchestres symphoniques avec lesquels son répertoire évolue vers les XIXe et XXe siècles.
Directeur artistique de la Mozartwoche de Salzbourg de 2013 à 2017, Marc Minkowski y a invité Bartabas pour Davide Penitente et le Requiem de Mozart. Il a fondé en 2011 le festival « Ré Majeure » sur l’Île de Ré. Depuis septembre 2016, il est aussi directeur de l’Opéra National de Bordeaux Aquitaine.
Les Musiciens du Louvre
Fondés en 1982 par Marc Minkowski, Les Musiciens du Louvre font revivre les répertoires baroque, classique et romantique sur instruments d’époque. Depuis trente ans, l’Orchestre s’est fait remarquer pour sa relecture des œuvres de Haendel, Purcell et Rameau, mais aussi de Haydn et de Mozart ou plus récemment, de Bach et de Schubert. Il est également reconnu pour son interprétation de la musique française du 19e siècle : Berlioz (Les Nuits d’été, Harold en Italie), Bizet (L’Arlésienne), Massenet (Cendrillon)…
Parmi ses récents succès lyriques, on remarque Orfeo ed Euridice de Gluck (Salzbourg, MC2: Grenoble) et Alceste (Opéra de Paris), un gala Mozart pour les 30 ans de l’Orchestre, Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach (Salle Pleyel) ; Platée de Rameau (régulièrement à l’affiche de l’Opéra de Paris depuis 1999), Der fliegende Höllander de Wagner (Opéra Royal de Versailles, MC2: Grenoble, Konzerthaus de Vienne, Palau Música de Barcelone, Theater an der Wien) ; La Chauve-Souris de Strauss (Opéra-Comique) ; Lucio Silla de Mozart (Mozartwoche, Festival de Salzbourg, Musikfest Bremen où l’Orchestre se produit depuis 1995) et Le Nozze di Figaro (Theater an der Wien, Opéra Royal de Versailles).
La saison 2016-2017 verra la création du deuxième opus de la Trilogie Mozart / Da Ponte, Don Giovanni à l’Opéra Royal de Versailles. Armide de Gluck, donné en alternance au Staatsoper de Wien avec Alcina de Haendel, sera repris en version de concert à Bordeaux et Paris. Casse-Noisette de Tchaïkovski a fait l’objet d’une tournée européenne. L’Orchestre a interprété Mozart / Haydn à l’Opéra de Lyon et à la MC2: Grenoble, où il partagera également la scène avec Anne Gastinel et l’Orchestre des Campus de Grenoble.
Après les intégrales des Symphonies londoniennes de Haydn parues chez Naïve en 2010, celles des Symphonies de Schubert en 2012, l’Orchestre a publié en 2013 le coffret Vaisseau fantôme de Dietsch et Wagner.
En résidence en Isère depuis 1996, subventionnés par le Département de l’Isère, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et le Ministère de la Culture et de la Communication (DRAC Auvergne-Rhône-Alpes), et soutenus par de nombreuses entreprises (Banque Populaire des Alpes, Deloitte, Air Liquide, Artelia, A2A…), Les Musiciens du Louvre développent de nombreux projets pour partager la musique avec tous les publics sur le territoire rhônalpin.
Michel Grialou
Les Grands Interprètes
Les Musiciens du Louvre
Marc Minkowski (direction)
vendredi 31 mars 2017 à 20h00
Halle aux Grains
Mécénat / Partenariats
Nathalie Coffignal
ncoffignal@grandsinterpretes.com
Tel : 05 61 21 09 61
Marc Minkowski © Marco Borggreve
Musiciens du Louvre © Julien Benhamou