L’association Traverse Vidéo fête cette année son 20ème anniversaire. Pour ses vingtièmes Rencontres, elle propose cinq jours de projections, performances, installations et expositions photographiques. Construites comme un itinéraire, les Rencontres dévoileront du 8 au 12 mars (puis jusqu’au 31 mars ensuite), cette part du cinéma inséparable des arts plastiques et des arts visuels, qui invente de nouvelles formes et qui témoigne de la « musicalité de l’image ».
Simone Dompeyre, directrice artistique des Rencontres Traverse Vidéo évoque avec Culture 31 l’approche de l’édition 2017.
Comment délimiteriez-vous l’art expérimental ?
Dans une mouvance très politique des années 60, on est à New-York mais aussi en Allemagne, au cœur des revendications des minorités raciales et sexuelles. Le corps est reconnu à part entière comme un médium : c’est le début de la performance. Aujourd’hui, les performances sont aussi nombreuses qu’il y a d’expérimental. Il y a aussi le cinéma élargi. C’est la réflexion selon laquelle le cinéma ne s’arrête pas à l’écran. D’autres choses peuvent se faire. On est donc arrivé à l’installation. Le cinéma n’est pas simplement vu sur un écran, là face à nous, il existe une démarche au sens « autour » ou « avec » nous : on devient alors « spect’acteur ». Mais finalement, l’installation est un mauvais mot, il n’y a rien de moins installé qu’une installation. Elle est toujours renouvelée par rapport au lieu. […] Dans les années 70, il y a eu l’art vidéo. L’art vidéo a pris ce nom par refus du cinéma. Il y a aussi un art expérimental qui pensait que l’on pouvait travailler à la télévision et un autre qui refusait tout à fait cela.
L’essence même du cinéma c’est l’expérimental. Sans faire l’amalgame que tout est expérimental, je dis que l’essence est un cinéma qui prend à cœur la matérialité de la pellicule et qui la travaille comme un peintre qui choisit sa toile. Les préoccupations sont donc bien différentes mais le point commun de tout cela est l’expérimental. La posture reste la même : expérimenter.
Pourquoi l’association Traverse Vidéo porte-t-elle une attention toute particulière aux rencontres ?
Les rencontres sont indispensables. Pour Traverse Vidéo, c’est le moment de se confronter à ce qui est rare. C’est une nécessité dans la mesure où notre œil est totalement phagocyté par les images du quotidien, il voit mais ne sait plus regarder. Il faut apprendre à regarder et j’insiste sur le « re » : « revenir à ». C’est donc une rencontre avec des œuvres, avec des essais parfois car on propose des travaux d’étudiants ou de jeunes artistes. Ce sont des rencontres avec des artistes aussi avec une limite financière qui ne permet pas de les faire tous venir.
Les Rencontres Traverse Vidéo, c’est se laisser étonner, ne pas chercher à se sécuriser et à avoir une réponse. C’est au contraire réapprendre à ne pas avoir une réponse fermée sur les éléments du monde et sur l’art. L’art est là pour nous inquiéter. Ce n’est pas une assurance mais un lieu de remise en pensée, remise en émoi : le cinéma, le ciné m’a, le cinéma m’émeut.
Comment sélectionnez-vous les œuvres et les artistes programmés lors des Rencontres Traverse Vidéo ?
Il y a un appel d’œuvres sur internet. Il y a beaucoup d’artistes qui parlent à d’autres artistes et aussi des fidèles. On voit près de 1 000 propositions chaque année. La préoccupation expérimentale doit être première. On ne refuse pas la narration alors que certains refusent mais elle ne doit pas être première, elle peut être éclatée ou transformée. […] Il peut arriver que l’on soit plus dans la recherche que dans l’œuvre. Le terme qui ne dit rien et qui dit tout en même temps est la cohérence. Il faut qu’il y ait une cohérence interne. Aussi, la musique est absolument liée à l’expérimental. Le silence est un son donc l’expérimental peut être sans son. La musique n’est pas un hasard. La musique ne se rajoute pas. Les films doivent avoir une écriture, qui travaille son et image, une écriture qui est un discours, et par forcément quelque chose qui est dit avec des paroles : sans parole, il peut y avoir un discours.
Je pense que l’expérimental est aussi présent dans cette réflexion de savoir où va le monde et qu’est-ce que le monde ? Je ne pense pas que l’art soit ce qui va transformer le monde mais il faut s’habituer à regarder différemment les éléments, que l’on apprenne à penser par soi-même. Je ne dis pas que vous allez aimer les œuvres que l’on va présenter mais venez et peut-être que vous n’aimerez qu’un artiste, qu’une œuvre, qu’une musique. Confrontez-vous à d’autres pensées que la vôtre ! C’est en ce sens que je dis que c’est indispensable : se confronter à d’autres idées que les idées arrêtées. Les gens doivent venir et se dire « tiens, ça existe ».
Que prépare l’équipe de Traverse Vidéo pour cette vingtième édition ?
Le projet des 20 ans est d’avoir retrouvé des œuvres : c’était une enquête. Il a fallu partir en quête des œuvres, des artistes et des objets. On trouvera des œuvres du passé pour les confronter avec celles du présent. Des œuvres de plus de 150 artistes seront exposées et soixante de ces artistes feront le déplacement. Parmi les fidèles, il y aura Charles Ritter, Dania Reymond, Sandrine Deumier, Kamil Guenatri,… C’est très important qu’il y ait des artistes internationaux. Il y aura une vingtaine de films canadiens, des films allemands, des artistes italiens, des Belges, un Ukrainien, un Israélien, une Mexicaine, une Coréenne, …
La manifestation sera construite selon un jeu de piste. C’est une traverse : aller d’un lieu à un autre. L’idée est de rassembler des lieux que tout le monde connait et qui font quelque chose ensemble. On déambule avec un itinéraire.
En vingt années, depuis la création de l’association, l’art expérimental s’est-il démocratisé ?
Je regrette un peu que les formes spectaculaires se soient elles démocratisées, les choses faciles et consensuelles alors qu’il existe, je le vois avec tout ce que je reçois une teneur, une recherche, une grande respiration et aspiration, qui est peu reconnue. L’art expérimental ne s’est pas démocratisé au sens où on ne lui donne pas suffisamment. On me demande ce que c’est que l’art expérimental alors que si on fait une interview sur le cinéma on ne va pas me demander ce que c’est que le cinéma, donc non il ne s’est pas vraiment démocratisé.
En revanche, beaucoup plus d’artistes pratiquent cet art ou tentent de le pratiquer mais très peu en vivent. « Démocratiser » ce n’est donc pas le mot et je vais dire, hélas ! Et tant mieux. Sinon, ce n’est plus de l’expérimental. Donc tant mieux qu’il ne se démocratise pas et hélas car comment les artistes en vivent-ils ? Il est indispensable que cet art existe. Le cinéma actuel se ressource de cela. L’art expérimental est retenu partout.
Beaucoup lui est emprunté mais peu lui est rendu.
Propos recueillis par Marjorie Lafon
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Les Rencontres Traverse Vidéo
Programme
Du 8 au 31 mars 2017, à Toulouse