Manon Lescaut e la “passione disperata“. Dès 20h, ce seront les premières notes de la musique de Giacomo Puccini, ce maître-queux du drame humain, qui captiveront la salle sûrement comble du Teatro Regio Torino. Et, en même temps, les mélomanes de dizaines de salles bénéficiant de la retransmission en direct de l’événement. Un événement rendu ainsi accessible de la meilleure manière possible à un plus grand nombre. Et empressons de reconnaître la qualité du son de cette salle, et le confort des fauteuils, et…le prix du ticket !!
« Et faire pleurer, toujours, mais avec quelque chose de merveilleux, séduisant et gracieux. », telle était la devise alors de notre compositeur, dont la Manon Lescaut constituera la révélation d’un jeune compositeur.
Quand le 1er février 1893, le compositeur crée à Turin son troisième opéra, personne n’aurait parié sur un pareil triomphe. Ce seront trente rappels qui saluèrent le jeune musicien. Son rêve est exhaussé, il fera carrière dans l’opéra. Manon Lescaut sera le premier d’une série ininterrompue de chefs-d’œuvre, lui offrant immédiatement une renommée internationale. Ne dit-on pas à ce sujet qu’il compose en cinémascope, en juxtaposant les plans dans un montage serré,
sans tisser une fibre symphonique continue ? Puccini a joué la carte de la sensualité. Ses phrases présentent des courbes plus floues, souvent descendantes et chromatiques, très agréables à l’écoute, ce qui a pour résultat une harmonie éclatante dans sa captivante beauté, et qui ravit le public turinois, et les autres. Puccini ne l’oubliera pas et campera sur son éloignement des réflexions métaphysiques que Wagner traduit dans sa musique y préférant toute l’italianità de sa propre musique animant les drames lui servant de livret.
« Il nous faut trouver une histoire qui nous retienne par sa poésie, et nous inspire au point que nous en fassions un opéra. » G. Puccini
Le dernier tome des célèbres Mémoires de l’Abbé Prévost parues en 1731, et intitulées : « Mémoires d’un homme de qualité et qui s’est retiré du monde. » est le roman, L’histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut. Pas sûr que l’ouvrage se retrouve fréquemment sur les tables de chevet actuelles, mais il eut un succès certain lors de sa parution et tout au long du XIXè. Ce roman va inspirer au moins deux ouvrages lyriques, le Manon Lescaut (1893) de Puccini, et quelques années auparavant, pour Jules Massenet, Manon, tout court (1884). Si la musique du premier est de Puccini, par contre, il est bien difficile d’accoler un seul nom au livret. On parlera plutôt d’une étroite collaboration à plusieurs (cinq ?) dont… Laissons la Manon de Massenet, et occupons-nous de la Manon Lescaut, ce drame intérieur, drame des sentiments. C’est peut-être au quatrième et dernier acte qu’il s’exprimera le mieux, dans cet acte où finalement il ne se passe rien, mais qui est d’une très grande émotion quand les protagonistes sont chanteurs et acteurs. « Sola, perduta, abbandonata… », sachez que son interprète, Maria José Siri, meurt, dans les plaines désertes de la Nouvelle-Orléans, dans les bras de son amant éperdu, le Chevalier des Grieux, rôle tenu par Gregory Kunde.
Avec Puccini, nous voilà en plein vérisme. Manon Lescaut est bel et bien une fille perdue, certainement cupide, qui peut aimer Des Grieux, certes, mais qui aime bien aussi les espèces sonnantes et trébuchantes. Un tel tableau du personnage est fort bien traduit par la musique d’une étonnante noirceur. Comme plus tard dans La Bohème, l’auteur excelle à peindre un monde où le plaisir et la corruption, le jeu et, la prostitution vont de pair avec la grandeur d’âme en même temps que la faiblesse d’un Des Grieux, le vrai désespoir d’une Manon Lescaut lorsqu’elle se voit perdue. C’est ainsi qu’elle atteint une véritable grandeur tragique dans le dernier acte. Un récit en quatre actes qui décrit le triomphe de la passion sur la raison, comme une sorte de marche au supplice, de descente aux Enfers : prise de conscience de l’amour, reconquête par jalousie, avilissement et mort.
La mise en scène se doit de traduire au mieux cette évolution dans l’ouvrage, une tâche redoutable à laquelle s’est attelé Jean Reno, assisté de Didier Flamand. Comme beaucoup, vous vous étonnerez de retrouver ici notre illustre acteur. Un peu moins quand vous saurez que, grand ami de Roberto Alagna, ce dernier devait faire une prise de rôle avec Des Grieux dans une nouvelle production pour Turin en 2006, et qu’il a annulé pendant les répétitions. Or, c’était Jean Reno qui avait relevé le défi de la mise en scène. C’est cette production qui est reprise. Les décors sont de Thierry Flamand. L’héroïne, Maria José Siri, est la nouvelle étoile montante dans le registre des sopranos dramatiques. Quant à son amant, le ténor Gregory Kunde, il fut un excellent Nadir sur la scène du Capitole il y a quelques années.
Ce drame lyrique “puccinien“ reste avant tout un drame intérieur, un drame des sentiments, et c’est peut-être au dernier acte qu’il s’exprime le mieux, dans cet appendice si décrié un temps car il ne s’y passe rien. Manon Lescaut est embarquée au Havre sur un bateau en partance pour la Louisiane pour rejoindre le bagne avec quelques autres “courtisanes“. N’ayant pu la soustraire à l’embarquement, son amoureux réussit à apitoyer le Commandant du navire qui le prend à bord en tant que…mousse. La tragédie traverse l’Atlantique. Dans Manon, la malheureuse était restée sur les quais du port, et mourrait avant d’avoir quitté le sol natal. Ici, après une longue scène, elle meurt de soif de l’autre côté de l’Atlantique, dans les bras de son amant.
Cette reprise de production avec sa nouvelle distribution vocale, est placée sous l’autorité du maestro Gianandrea Noseda, aussi Directeur musical du Théâtre de Turin. Il aura la lourde charge de faire sien ces mots du compositeur : « Les passions, qu’elles soient ou non violentes,…ne doivent jamais cesser d’être de la musique. » Sachez que ce chef est bien connu des habitués de concerts à la Halle, et qu’il nous revient dans le cadre de Grands Interprètes pour diriger un concert le 18 avril. On désespère de le retrouver à l’affiche du Théâtre du Capitole, hélas.
Michel Grialou
All’Opéra
Manon Lescaut (Puccini)
Théâtre Royal de Turin
mardi 14 mars 2017 à 20h00
Diffusé en direct dans votre cinéma Mega CGR Blagnac
Gregory Kunde © Chris Gloag