Né en Turquie en 1930, cet agrégé de philosophie s’est particulièrement illustré dans le domaine musical en collaborant à de nombreuses revues telles que L’Avant-scène Opéra et Classica. Aujourd’hui, il vient vers nous sur un tout autre thème, celui de son enfance en Orient. Il écrit ici un livre de confidences sur des lieux qui ont vu passer toute son enfance et qui, aujourd’hui, sont synonymes de violence et de malheur : Istanbul, Alep, Beyrouth.
Nul doute que dans le cœur de cet écrivain, les derniers événements qui endeuillent ces contrées doivent avoir un écho profondément douloureux. D’autant que, entre les deux guerres, la vie là-bas y était fort différente. C’est ce que nous raconte ce fils de Smyrne, avec une précision qui donne une idée de sa puissance mémorielle. Outre nous donner un aperçu autobiographique de son enfance, le souhait d’André Tubeuf est de nous faire partir à la rencontre de ces pays bordant la Méditerranée et la Mer noire. Il nous décrit les paysages, les cultures et les religions qui ont jalonné sa prime adolescence. Il nous parle aussi de ses premières expériences humaines, lui qui était particulièrement protégé par une mère, en fait la véritable tour de contrôle de cette famille, qui passait son temps à faire et défaire des valises, au gré des nominations du père et des conflits plus ou moins latents qui commençaient à agiter ce bassin fertile en agitations millénaires. La magie opère au bout de quelques pages.
Par la simplicité des propos, la naïveté touchante de certaines scènes, le talent de cet écrivain pour nous faire sentir, à tous les sens du terme, cet air extraordinaire qui baigne le Bosphore, par son habileté à souligner l’hospitalité, la générosité et la tolérance qui régnaient alors au sein des expatriés et des autochtones, ce livre devient un confident que vous retrouvez le soir avec un plaisir incroyable. André Tubeuf, sans voile aucun, nous amène dans cet itinéraire d’un enfant étranger dans un pays, des pays plutôt, au cœur desquels il s’est « incorporé », comme il dit, de manière définitive. A jamais enfant de Smyrne. Et l’on tourne la dernière page avec un sentiment troublant, celui d’avoir fait un voyage aussi étrange qu’inattendu, dans une mémoire vive d’une formidable intensité émotionnelle.
Robert Pénavayre
Une chronique de ClassicToulouse
L’Orient derrière soi, Actes Sud