Le solo de cor réveille une à une lanternes, enseignes, persiennes.
On baille, on époussette, on sort de son trou, on déménage Rossini. Les carottes sont bien alignées à la devanture de l’échoppe.
Début de service pour la ligne de tramway Coulisses – Scène. Vespa et vélos passent.
Les locataires de l’hôtel ont fenêtre sur cour et jardin, spectateurs au balcon du théâtre qui s’écrit dans la rue.
La Pizza Rustica Vulcano sert Cinzano et café, mais pas de pizzas. Les garçons en terrasse aiment regarder les filles qui marchent sur la place.
Un petit navire glisse, tous feux allumés, sur une mer de rideau bleu. L’accompagne le ressac magnifique des marins fatigués, laissant sur le rivage du Vulcano le Turc, vu de dos, fumant négligemment.
On prédit l’avenir sur les tréteaux d’un théâtre dans le théâtre dans le théâtre. Le poète écrit ce théâtre dont il se mêle lui-même. Abîme des cinq actes requis par Horace que cette chute dans les égouts ? Il sera soigné par une infirmière – muse au secours d’un Hoffmann en panne d’inspiration.
Le crêpage de chignons au finale du I dégénère en bataille générale avec tirs nourris de carottes, à tel point que le magasin de munitions fermera définitivement. Plus tard, le tram prendra feu, on ne sait trop pourquoi. Le point de vue hyperréaliste d’Emilio Sagi se construit sur des événements obligés, souvent drôles, parfois bruyants : les ballons sont-ils périssables au point de devoir absolument les livrer, avec mille manières aguicheuses, pendant que Narciso crie vengeance ? Non sans humour, le metteur en scène fait sa propre critique : « on travaille ici ! » proteste Pietro Spagnoli ? ou Selim ? quand une fille au téléphone parle haut dans sa chambre d’hôtel.
Rien d’étonnant à ce que les femmes se disputent le Turc de Pietro Spagnoli, qui allie la noblesse du chant et une irrésistible séduction naturelle. Alessandro Corbelli semble effacé en début d’ouvrage, puis s’affirme avec une intelligence du comique nonpareille. Le duel en terrasse des barbons phallocrates disputant des coutumes est irrésistible. La Fiorilla de Sabina Puértolas a la voix et le jeu de la peste piquante, mais devient moins crédible dans la scène sérieuse de la fausse rupture. Belle Zaida de Franziska Gottwald.
On retrouve avec grand plaisir Yijie Shi, cette fois sans sa valise favorite, qui campe un chevalier servant téméraire ; malgré les ballons qui passent, son air de vengeance, avec les aigus qu’il faut, est captivant. Bien qu’affublé d’un polo orange très laid, Anton Rositskiy ne se contente pas d’être l’amoureux transi de la belle bohémienne : son unique air, l’air de rien, est magnifique. Pour sa part privé d’air, ZhengZhong Zhou rend cependant son poète remarquablement présent.
Les chœurs sont, comme toujours, parfaits – et particulièrement émouvants dans le chant des marins -, le maestro Caiani sera d’ailleurs mitraillé par les flashes des garçons aux saluts. La direction d’Attilio Cremonesi est souriante et attentive, malgré un orchestre écrasant quelque peu le plateau au I. Le continuo de Robert Gonella et Christopher Waltham est toujours très à propos, quelques dissonances soulignant les désaccords des cœurs.
Si tout semble se résoudre « comme il faut » sous le masque et l’imbroglio des guirlandes, la séance photo avec Rossini soi-même devant le cœur de ballons rouges, joyeusement kitch, ne fait, on le sait, que figer l’instant. Cosi…
Théâtre du Capitole, 20 novembre 2016
Photos © Patrice Nin
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.