Il dit qu’il est devenu écrivain pour avoir du temps libre. Et le temps justement irrigue son dernier roman, tranche de vie plus sombre que jamais mais où tintent, comme des glaçons dans un long drink, les deux ingrédients que l’on aime tant dans tous ses livres : une désespérante inaptitude au bonheur et l’exacte dose d’humour qu’il faut a priori pour y survivre. Rencontre avec Jean-Paul Dubois à propos de La Succession.
Le décor : Euskadi ou Miami
Jean-Paul Dubois : Depuis le début, beaucoup de mes livres même si ce n’est pas toujours dit se déroulent au Pays basque. Quant à Miami, j’y ai débarqué quand j’avais 22 ans, en 1972. Ce n’est pas vraiment les Etats-Unis et ce n’est pas si éloigné du Pays basque.
Il y a ce même côté atlantique, l’humidité dans l’air, la chaleur, l’océan, un climat qui favorise un rapport au temps plus élastique. Il y a des endroits comme ceux-là où il est plus facile de raconter des histoires. Ecrire, c’est comme quand vous filmez, c’est le même principe : choisir le lieu où va se dérouler l‘histoire, cela détermine la façon dont vous écrivez.
Au fur et à mesure je vois des plans, des images, qui ne sont pas de même nature, n’ont pas la même atmosphère selon les paysages, le climat. La neige, le froid ou les tropiques, n’induisent pas la même esthétique, le même rythme, la même lumière.
Le matériau : la mémoire du détail et l’usage du monde
Les moments du livre qui se déroulent à Toulouse sont plus secs, c’est difficile de décrire une ville qu’on connaît parfaitement, et en même temps je vis aussi en partie ailleurs. Pourquoi devrait-on être attaché uniquement à la ville où l’on est né ? Pour moi ce qui importe, c’est l’usage des villes et les moments que l’on y vit.
Les lieux font appel à beaucoup de choses en nous : la mémoire, les sentiments, les émotions, les gens qu’on y a connus, etc. Et c’est ce temps passé à observer, à y vivre, à y traîner, cette attention au monde qui réactive ensuite des choses au moment d’écrire.
De la même manière que je passe un temps infini à essayer de comprendre mon chien, à l’écouter, à observer les efforts qu’il fait lui-aussi réciproquement pour communiquer avec moi. Quand vous faites des livres, les détails, les souvenirs, les anecdotes, tout revient naturellement, sans que ce soit forcément délibéré. C’est une attitude, une manière de vivre.
Le métier d’écrire : discipline et autodérision
Comprendre aide à vivre, qu’il s’agisse des animaux, de soi, des autres, du fonctionnement d’un ascenseur ou d’un moteur de tondeuse. Et pour moi, adopter cette posture c’est écrire avec une forme de loyauté. On n’a pas besoin de truquer, tout est là, chacun de nous est plein d’histoires, il faut juste savoir organiser et retranscrire ce qu’on a à dire. écrire, c’est une discipline comme le sport, j’écris un mois durant à raison de huit à dix pages, 14 heures par jour pour fabriquer un roman de 250 à 300 pages.
C’est se contraindre à une routine et se mettre en condition pour que le cerveau optimise tout ce que vous avez engrangé. Bien sûr, ça n’est pas qu’une technique mais il faut désacraliser l’image des auteurs. Et c’est tout sauf l’inspiration.
Au contraire c’est un travail assez polluant : être écrivain, c’est être propriétaire de son temps mais accepter de vivre dans ses propres miasmes, dans ses névroses (rires).
Cécile Brochard
Une chronique de FLASH le mensuel
EN SAVOIR + sur le dernier livre de Jean-Paul Dubois, La Succession
Jean-Paul Dubois © Patrice Normand – Opale/Leemage/éditions de L’Olivier