C’est une nouvelle coproduction qui va s’en charger avec l’aide du Théâtre municipal de Santiago du Chili et l’Opéra d’Oviedo. C’est parti pour six représentations à partir du vendredi 18 novembre, avec à la direction musicale de l’Orchestre du Capitole et des Chœurs du Capitole Attilio Cremonesi, Emilio Sagi à la mise en scène avec les membres de son équipe, aux décors, costumes et lumières, Daniel Bianco, Pepa Ojanguren, Eduardo Bravo.
Pour la distribution vocale, pas de souci, avec certains noms que l’on retrouve avec grand plaisir, et l’assurance que le chant sera bien au rendez-vous.
Pietro Spagnoli Selim, le Turc naufragé – dans une mise en scène impossible, sa prestation dans L’Italienne n’en fut que plus méritoire.
Sabina Puértolas Fiorilla, fille de Don Geronio.
Alessandro Corbelli Don Geronio – est-il utile de présenter cet immense chanteur ?
Yijie Shi Narciso, l’amant de Fiorilla – il fut l’heureuse surprise du Fernando de la Favorite remplaçant au pied levé Saimir Pirgu.
Franziska Gottwald Zaida, la bohémienne, ex-promise de Selim et repoussé par celui-ci
Anton Rositskiy Albazar, ami de Zaïda.
ZhengZhong Zhou Prosdocimo, le poète et ami de Don Geronio.
Avec cet ensemble, gageons que Gioacchino Rossini tient sa vengeance, à n’en pas douter.
Nous sommes en 1814. Rossini vient d’écrire pour la Scala, l’opéra L’Auréliano in Palmira. Et à l’automne, il n’hésite pas à proposer Le Turc en Italie, pour faire une sorte de pendant à L’Italienne à Alger donné à Venise. L’illustre Galli, grand triomphateur du bey dans l’Italienne, est chargé d’interpréter le jeune Turc Selim qui, poussé par la tempête, débarque sur les côtes italiennes et, “tombe“ amoureux de la première jolie femme que le hasard lui fait rencontrer. Malheureusement, cette jolie femme a non seulement un mari – don Geronio – mais encore un amant – don Narciso – qui n’est nullement disposé à laisser la place à un Turc. Donna Fiorilla, la jeune femme, du genre coquette et légère, est ravie de plaire à ce bel étranger, et saisit avec empressement l’occasion de tourmenter un peu son amant attitré et de se moquer de son mari.
Une folle journée…Ainsi Beaumarchais avait-il baptisé ses Noces de Figaro et ainsi Rossini aurait-il pu désigner son Turco in Italia…C’est toute une aventure insensée qui se déroule en quelques brèves heures, du grand soleil qui inonde la baie de Naples à la longue nuit du bal masqué, des rendez-vous secrets, de la confusion des intrigues et des cœurs et de la réconciliation finale. L’aube verra Fiorilla et Don Geronio rentrer chez eux pendant que le bateau de ce Turc bien importun mais bien séduisant s’éloigne avec Zaïda à son bord, la bohémienne, autrefois esclave et épouse promise à Selim, tout ce petit monde, sous le regard complice d’Albazar, le confident de Selim et l’ami de Zaïda.
Tandis que le poète Don Prodoscimo, ami de Don Geronio aura son sujet de comédie tout écrit.
« Ah ! se di questi Zingari l’arrivo
Potesse preparar qualche accidente
Che intrigo sufficiente
Mi presentasse per un dramma intero ! »
Si dans l’oreille du “petit Tedeschino“ résonne encore le métier de ces compositeurs du XVIIIe, les Cimarosa, Paisiello, Pergolese, où l’alternance d’airs et de récitatifs ponctués au clavecin répondait au culte d’une forme rigoureuse, Rossini va estomper les figures rhétoriques du genre et étoffer les profils psychologiques : chez lui, la musique ne commente pas le drame, elle devient elle-même le théâtre des passions. Les airs s’attaquent dans la grandeur et se concluent dans la ferveur d’ornements variés. Les récitatifs se resserrent dans la nervosité, soutenus, portés, presque chantés par l’orchestre tout entier. Ce dernier se convertit ainsi en une source inépuisable d’idées et d’énergie dynamisante.
Côté direction musicale, nous sommes rassurés avec Attilio Cremonesi qui a dirigé dans la fosse du Capitole, trois œuvres de Mozart, Cosi, Don Juan et les Noces, donnant toute satisfaction. Il nous dit : « La musique transmet en permanence les émotions du livret, et pas uniquement le comique et l’humour. Et selon moi, ce commentaire du texte chanté passe d’abord par l’instrumentation. Il me semble que Rossini donne tout particulièrement ce rôle aux bois : régulièrement, ils soulignent les moments comiques, offrant ensuite un contrepoint sérieux aux situations les plus drôles dont ils transforment le sens. Dans les moments d’une plus grande émotion, ils amplifient les sentiments plus profonds. En 1814, l’orchestre de la Scala devait compter dans ses rangs, outre un groupe de bois homogène et de haute tenue, un premier cor exceptionnel : c’est à son intention que Rossini écrit une remarquable partie soliste dans la sinfonia et des solos dans le final de l’Acte I et dans le duo de l’Acte II. »
Encore faut-il que la mise en scène, décors et costumes, et lumières, ne dénaturent pas l’œuvre dans son ensemble, et que le Turc reste ce que son auteur a bien voulu en faire : une sorte de pochade, une farce, brillantissime musicalement. Stendhal affirmait alors que « Rossini, seul au monde pouvait faire cette musique… ». Espérons que pour s’en délecter, de la musique comme du livret, Emilio Sagi ne va pas faire du turc un migrant échoué sur les rochers de Lampedusa, et de Don Geronio, le énième Berlusconi de service. Terminées les potions imbuvables et grotesques dans le genre de la dernière Italienne à Alger, où les moments les plus géniaux qui se trouvent dans les ensembles sont complètement assassinés par des idées saugrenues. On a tous hélas en mémoire cette Ouverture de l’Italienne anéantie par ces images projetées, immondes. Sans parler du sextuor. On a envie de déployer une banderole avec écrit dessus “plus jamais ça !!“.
Emilio Sagi nous rassure quand il confie : « J’ai souhaité, avec mon équipe, chercher à recréer un petit bout de ville, d’une ville italienne, bien sûr, puisque le livret dit que l’action se passe à Naples, avec ses magasins et tout le côté bouillonnant de la vie quotidienne dans ce quartier avec ses échoppes, ses bicyclettes, ses Vespas, le tramway, les « vitelloni1 » qui attendent aux terrasses des bars de voir passer les jolies filles… Si j’ai choisi de replacer la scène dans les années 1960, c’est pour donner plus d’éclat à toutes ces diverses scènes de l’opéra. »
Ne pas oublier toutes les manifestations qui tournent autour de chaque ouvrage présenté, sans oublier le Midi du Capitole qui sera donné le jeudi 24 novembre par Anton Rositskiy, ténor qui assume le rôle d’Albazar dans la production.
Michel Grialou
–
Le Turc en Italie (Rossini)
Théâtre du Capitole
du 18 au 29 novembre 2016
__
Crédit Photos
Photos Turc en Italie © Patricio Melo
Attilio Cremonesi © Flavio Gallozzi
Emilio Sagi © E.Moreno Esquibel