Cette édition du Printemps de septembre confiée au commissaire principal Christian Bernard et que nous qualifierons dans son ensemble de très réussie, est bien terminée. Il reste cependant jusqu’au 27 novembre l’installation-création au Couvent des Jacobins dans l’immense salle du Réfectoire, œuvre de Hans op de Beeck, intitulée The Garden of Whispers. Incontournable.
Mais aussi, et ce, jusqu’au 8 janvier, l’exposition Aurélien Froment et Raphaël Zarka sur une proposition d’Olivier Michelon, ex-directeur du Musée parti sous d’autres cieux artistiques. « Leur exposition découle d’une invitation mutuelle que les deux artistes se sont formulée… »
Dans un article précédent, Marjorie Lafon vous l’a présentés dans toute sa complexité car elle se déploie sur un vaste espace de près de 2000 m2 et regroupe une centaine d’œuvres.
Raphaël Zarka est un artiste-sculpteur-archéologue-dessinateur-vidéaste-collectionneur, un collectionneur de formes géométriques d’abord. Formes minimales, idéales, elles ont été pensées, construites et théorisées dans les siècles passés comme des modèles de mesure et de compréhension du monde. Elles traversent les siècles, les domaines d’activité et les sphères de connaissance. Elles sont reconnaissables mais « isolées de leur contexte comme des parenthèse dans un récit ». L’artiste constitue ainsi une vaste collection de formes issues d’époques, de cultures et de territoires variés. Zarka est catégorique, il ne veut pas inventer ou créer mais bien redécouvrir, réemployer, réécrire. Il parle souvent de son travail comme un art de “seconde main”.
Par exemple, les rhombicuboctaèdres qui le fascinent, ces formes géométriques, étudiées par Archimède, redécouvertes par Luca Pacioli et Léonard de Vinci, elles ont ressurgi différemment au cours du temps et ont été pensées et/ou utilisées pour répondre à différentes questions ou fonctions. Raphaël Zarka les inventorie ou en réalise des répliques.
Vous aurez, peut-être comme moi, plus de difficultés avec les réalisations d’Aurélien Froment, son comparse pour cette exposition. Sachez que l’artiste tout juste du haut de sa quarantaine a déjà participé à un nombre très conséquent d’expos, installations, un peu partout dans le monde. Quelques interrogations trouveront sûrement réponse avec un petit effort de réflexion supplémentaire, mais n’oubliez pas que tout, absolument tout est étudié, calculé et n’est pas le simple fait du hasard.
Sachez que le petit livret donné à l’accueil est indispensable si vous voulez ne rien oublier, et appréhender au mieux l’œuvre de chacun des acolytes, mais aussi vous rendre compte de leur travail qui semble indispensable de l’un pour l’autre, comme si l’un ne pouvait pas exposer sans le travail de l’autre.
Ils ne sont pas seuls. Ils vous convient aussi dans leur foisonnement et vous invitent à participer à leur musée imaginé. Plongez vous dans chaque salle, et dans le petit livret, et si vous ne saisissez pas tout ! peu importe, imaginez et laissez votre pensée vagabonder de cette boule à telle photo, de cette maquette de bateau peut-être connue de certains à telle autre petite maquette de meuble fabriquée avec tant de méticulosité, ces maquettes, témoins de la série “Reconstructions” où Zarka s’emploie à reconstruire des éléments de mobilier repérés dans des peintures datant du Quattrocento. Ses reproductions en contreplaqué sont à mi-chemin entre la maquette architecturale, la sculpture minimale et l’objet scientifique. En un mot, décidez de votre parcours, et revenez en arrière autant de fois que nécessaire.
Les sculptures de bois vont sûrement vous décontenancer de même que les photos de ces skaters qui récupèrent les surfaces les plus improbables pour s’adonner à leurs exercices surprenants. Raphaël Zarka est un artiste passionné de skateboard. Il a d’ailleurs écrit deux livres sur le sujet : Une journée sans Vague : Chronologie lacunaire du Skateboard 1779-2005 et La conjonction interdite : Notes sur le skateboard. Lui-même skateur durant sa jeunesse, il a délibérément mis le skate de côté quand il a commencé ses études d’art.
The Garden of Whispers ou Jardin des murmures et chuchotements
L’installation-création est l’œuvre de l’artiste flamand Hans op de Beek. Entre réalité et fiction, à la marge de l’extraordinaire, vous serez happé par la toute première vision de cet immense lieu qui se révèle différent suivant la lumière qui pénètre par les immenses vitraux. Jour ? Nuit ? Un étrange paysage monochrome dans lequel un chemin tracé vous invite à le traverser de part en part.
Il est jalonné par quelques abris qui se ressemblent, sorte de lieu de repos, d’abri pour se nourrir, faire chauffer un plat, mais de façon bien précaire. C’est une traversée d’une sorte de désert, sans oasis, aux arbustes squelettiques. Poussière, sable, sables plus grossiers, graviers, tout d’une couleur sable. Quiétude ? mélancolie ? Silence d’abord, et chuchotements si on veut bien tendre l’oreille, car des sons viennent du sol et ne peuvent perturber l’invitation à la méditation et à la rêverie. Un étrange voyage dans un étrange paysage qui n’est pas sans interrogation. Le “to be or not to be“ n’est pas loin, passablement teinté d’une forme, bizarre, d’angoisse. Au bout de l’introspection, on est assez subjugué par l’imagination créatrice d’ne telle installation dans un tel lieu, et sa réussite à des titres divers.
Michel Grialou
photos @ MG