La rencontre avec Monsieur Pierre Etaix a commencé le 28 avril, quand il est venu sur Toulouse pour discuter de son livre « C’est ça Pierre Etaix » de Marc et Odile Etaix avec le public de la librairie Ombres Blanches et présenter son film « Le Grand Amour » à la Cinémathèque de Toulouse. Elle devait se terminer le mois dernier, lors du FIFIGROT, où il était président du jury. Sa santé l’ayant retenu à Paris, il a assuré ses fonctions présidentielles à distance. Même s’il m’avait proposé le plus gentiment du monde de finir notre rencontre de la même façon, j’ai préféré décliner cette invitation téléphonique, pensant qu’il avait mieux à faire, et je le pense toujours. L’article devait paraître lundi 17. C’est aujourd’hui.
L’avantage que j’ai avec vous est que vous avez de nombreuses casquettes, acteur, réalisateur, mais j’aimerais bien entendre votre point de vue sur le métier d’affichiste. Vous aviez un talent pour faire des affiches. Quand on voit celles actuelles…
On ne sait pas si c’est une publicité pour un soutien-gorge ou c’est une affiche de film. Elles se ressemblent toutes. Les techniques ont changé. J’ai fait de la lithographie, je sais la technique et la difficulté que cela représente. Mais c’est un apprentissage, qui justement le jour où arrivent des procédés nouveaux, peut être très utile. Si on est plongé dans un procédé qu’on ne connaît pas, je ne vois pas comment on peut faire. C’est la facilité la plus crasse…. enfin bon, je ne veux pas accabler les pauvres gens qui vivent de ça.
Albert Dupontel avait eu un coup de cœur pour le projet qui allait devenir l’affiche de 9 mois ferme mais les producteurs l’avaient trouvée clivante. Il avait rajouté « Je l’aime bien car elle a un côté Tati déviant. L’affiche de Mon oncle était un peu comme ça en ombres chinoises »
L’affiche du film d’Albert Dupontel est très réussie. Un grand affichiste que j’avais rencontré quand j’étais tout jeune homme m’avait dit « pour l’affiche, je vais vous donner un secret : c’est noir sur blanc ou blanc sur noir ». Et c’est vrai, ça doit être simple. Les éléments doivent être évidents et attirer l’œil.
Pouvons-nous parler de l’humour dans le cinéma français ? J’ai du mal à trouver un qualificatif pour vos films, un burlesque poétique peut-être…
Difficile de donner une définition parce que quand on est animé par ce métier, qui est d’une ambition folle de vouloir faire rire les autres, comme disait Molière, ce n’est pas évident. Mais quand on a cette ambition, on ne cherche pas un style particulier. Toute sorte de chose vous amuse. Je n’ai pas fait un seul film qui ressemble à un autre. C’est d’une logique absolue, parce que, en plus, la société bouge et les choses fondamentales subsistent. Or aujourd’hui, je ne vois aucun film basé sur le slapstick, qui était les origines du cinéma comique avec Max Linder, Charlie Chaplin. Et ce que je vois aujourd’hui, en France particulièrement, sont des comédies bavardes. Ça ne s’exporte pas des comédies bavardes. Je ne sais pas ce qui anime les gens, si c’est le désir d’avoir du succès, de ne pas prendre tel risque en choisissant tel casting et croire que ça va marcher… Ce n’est pas ainsi que ça se passe. Dans la réalité, on peut faire un film avec des inconnus. Moi, je n’ai jamais eu de gens connus dans mes films. J’ai engagé des clowns qui étaient des amis. Dans le film Tant qu’on a la santé, un chasseur maladroit tire et les fils électriques tombent sur une clôture de barbelés. Pendant très longtemps, on pense qu’il va s’électrocuter, et pas du tout. Au moment où on n’y pense plus, une dame appuie sur le bouton de sa radio, un rock commence, et il fait un rock. Il n’y a qu’un clown qui a fait de l’acrobatie et de la danse pour faire ce qu’il fait. C’est extraordinaire.
Le corps des comédiens dans le cinéma français est très peu utilisé
Comme tout doit passer à la télévision, le plus payant est le champ contre-champ, plan américain, donc filmer le corps n’est pas possible. Je ne blâme personne, je trouve juste dommage ces formatages, comme l’utilisation systématique du scope. Fritz Lang disait que le scope était bien pour filmer les serpents et les enterrements. Chaplin, dans Un Roi à New York dénonce le scope, et c’est une vérité.
Le film qui vous a causé votre premier choc cinématographique
C’est Chaplin. Mon père m’avait acheté un Pathé Baby quand j’étais gosse et on projetait des films de Charlie Chaplin. C’était un enchantement, et je passais mon temps à imiter Charlot. Et curieusement, je suis resté longtemps avant de voir le premier long-métrage Modern Times. Ce film m’a bouleversé littéralement. Il y avait toutes ces choses plutôt impressionnantes que drôles. Il y a des choses drôles, bien sûr, mais toute la scène du début où il est pris dans les mécanismes, où il sert les boulons, où le patron qui l’engueule quand il va se reposer, tout ça m’a foutu une trouille terrible. Et l’histoire la plus importante est l’histoire sentimentale avec cette fille… ils s’en vont sur la route tous les deux… Moi, je pleurais la nuit. Mes parents venaient me voir dans ma chambre « Mais qu’est-ce que t’arrive ? – Charlot, il est malheureux » J’ai vu le film quand j’avais 8 ans. L’enfance à cette époque-là n’était pas celle d’aujourd’hui. Et découvrir le cinéma à l’âge de 8 ans. Quel est l’enfant aujourd’hui qui découvre les images cinématographiques à 8 ans ? Il n’y en a pas. Dès qu’ils sont tout môme, ils ont la télévision. C’est horrifiant.
Le film qui vous a fait dire « je veux être réalisateur »
Je n’ai pas eu l’idée de faire du cinéma. Après avoir quitté Tati avec qui j’avais travaillé pendant quatre ans et demi, j’ai fait du music-hall et du cirque. Un jour, je me suis dit que l’idée que j’avais n’était pas une idée adaptable ni sur scène, ni sur une piste. C’était un homme qui veut répondre à une lettre de rupture. Tout se passait avec les objets qu’il a entre les mains et tout devient comique. C’est comme ça que j’ai fait mon premier film Rupture et derrière j’ai fait Heureux anniversaire. On a eu un Oscar avec… une belle jambe (rires).
Le film que vous offrez le plus
Il y en a tant. C’est difficile de faire un choix car un choix c’est sélectif. Moi j’ai été attiré par Chaplin au départ, Buster Keaton que j’ai rencontré ensuite, Hitchcock, Fellini… Fellini a été déterminant dans ma carrière. Quand il a fait 8 et demi, il remettait en question le langage cinématographique tel qu’on le pratiquait. On ne pouvait pas faire un flash-back sans voir un flou artistique pour quitter le présent. Et là, dans ce film, simplement l’acteur tourne la tête et se revoit enfant. Mais il y a des gens qui n’ont rien compris à l’époque, je m’en rappelle (rires). C’était d’une audace formidable. Fellini a une importance capitale. Kubrick bien sûr. Orson Welles… Comment faire un choix… vous allez dans un musée où il y a Rembrandt, Rodin et compagnie. C’est très difficile de dire « c’est celui-ci que je préfère ».
Le film que vous ne vous lassez pas de revoir
Limelight. Je peux le revoir à perte la vue, et à chaque fois, je pleure comme un veau. C’est un film qui me touche parce que d’abord, il raconte l’histoire d’un clown qui déchoit, Calvero. On le voit travailler dans sa jeunesse et puis d’un seul coup, il a vieilli. Alors, il ne sait plus où il en est. Et puis il boit, ce qui doit être un hommage à Keaton, je pense. Keaton a bu parce qu’il était désespéré. Et puis un beau jour, la jeune danseuse lui est présentée par son imprésario. Il est fasciné par ce qu’elle fait, et il tombe amoureux d’elle. C’est magnifique.
Le film qui vous fait dire « il devrait être obligatoire au Bac ! »
C’est le côté intellectuel qui me désarme le plus. Imposer un sujet, c’est difficile. Il faut ouvrir la curiosité des jeunes. On ne peut parler d’une chose qu’à partir du moment où on l’a aimée et où on la connaît parfaitement. Au Bac, je ne vois pas aujourd’hui les élèves qui auraient un regard sur le cinéma sur toute sa largeur. La réponse peut-être la même que pour « les films que j’offre le plus »
Le film qui vous fait dire « c’est mon histoire, ça ! » – un film dont vous êtes le réalisateur serait une réponse trop facile.
Ah mais bien sûr. Un film que j’ai réalisé n’est jamais mon histoire, c’est une partie de soi. On se retrouve toujours pour des raisons complètement abstraites pour moi, dans les films de Chaplin. Il n’y a aucun doute. On retrouve des choses qui ont une résonance par rapport à la vie, à l’amour, à la mort.
Le film dont vous avez repoussé le visionnage à cause d’un gros préjugé et qui vous fait dire « les préjugés, c’est tout pourri »
Cela ne s’est jamais produit, dans la mesure où je n’ai jamais eu de préjugés. La découverte de Clint Eastwood pour moi est une surprise, une merveille. La carrière de cet homme est faite de choses très différentes. Je n’aurais jamais imaginé un jour que celui qui joue l’inspecteur Harry devienne réalisateur et fasse les films qu’il a faits, Sur la route de Madison est une merveille.
Le film qui vous fait voyager et qui vous a décidé à aller dans les lieux décrits
Pierre Etaix : Il y a tant de films qui m’invitent au voyage… mais aller dans un lieu précis, je ne vois pas. Mais par contre, je suis allé aux Antilles pour tourner un spot publicitaire, qui n’en finissait pas d’ailleurs. Ça a été un moment extraordinaire de découvertes. Quand je suis arrivé, il y avait un cimetière, avec un enterrement, avec des gens joyeux. Je me suis dit que j’aimerais mourir là. Les gens étaient formidables. Parfois, j’y repense, et j’aimerais bien y retourner.
Marc Etaix : Tu aurais pu répondre L’Île du Docteur Moreau
Pierre Etaix : J’ai un fils qui adore tous les films d’horreur. Moi, c’est pareil : dès qu’il y a une image horrible, ou ça me fait rire, ou ça m’émeut, au premier degré. C’est construit de la même façon. La Nuit des morts-vivants est incroyable. Romero est extraordinaire. Les gens qui voient ce film ne s’en rendent pas suffisamment compte.
Le film qui est votre dernier coup de cœur
Victoria est d’une audace folle, avec le talent. C’est remettre en question le langage cinématographique car faire un film d’un seul plan qui dure deux heures, qui change de lieux, c’est hallucinant. C’est un film d’une grande beauté. Les astuces qui sont dedans sont très subtils. Le changement d’axe permet de mettre du sang au mec qu’on a vu sur le canapé, le temps du mouvement.
Depuis, Monsieur Pierre Etaix avait vu le film Willy 1er, qui a été son film préféré de la compétition du FIFIGROT. Voici le message qu’il a fait pour la cérémonie de clôture du festival, où il parle de Willy 1er.