L’Emetteur compagnie présente deux pièces de Spiro Scimone, à voir indépendamment ou en diptyque au théâtre du Pavé. Rencontre avec Olivier Jeannelle aux commandes de « Bar » avec Laurent Perez et Denis Rey.
Pour quelles raisons avoir eu envie de revenir à Spiro Scimone deux ans après “Nunzio” ?
> Olivier Jeannelle : « Son œuvre m’enseigne quelque chose de quasi organique : la possibilité de créer une communauté basée sur le réconfort, l’affection. Je suis touché par cette solidarité d’homme, instinctive, rugueuse. Scimone met en mot des silences, il met en scène des taiseux qui parlent. J’ai le sentiment de comprendre de mieux en mieux cette mécanique d’écriture : des mots qui ne disent pas grand chose mais font émerger des icebergs lourds! Je crois que la vérité se situe dans ce territoire qui relie les mots aux silences. Je dirais que chez Scimone, on entend penser les personnages. Et puis je réapprécie chez lui son souci du détail, du réalisme. »
Comment s’inscrit cette pièce “Bar” dans son œuvre ?
« Bien que “Bar” soit postérieure à “Nunzio”, son intrigue elle, pourrait être antérieure, comme un « prequel ». Elle adopte cette même poésie du réel en dialecte de Messine que Scimone abandonnera pour une écriture plus abstraite. Nous sommes encore dans ces terres siciliennes, hostiles dominées par l’église, l’État, l’image de la mère. Ici, l’action a lieu dans une arrière-salle de bistrot vouée aux magouilles et aux rêves. Mais Scimone y creuse ses mêmes obsessions : comment rester un être humain dans un monde oppressif ? Est-ce que deux solitudes peuvent s’additionner pour former le début de la solidarité ? La mafia est juste un accélérateur de particules dans une société gangrenée par la course au profit, dans laquelle l’humain n’est qu’une variable d’ajustement. Dans ce contexte, deux hommes vont tisser une relation virile et forte pour ne pas perdre pied. L’attention qu’ils vont recevoir et donner constitue une dignité retrouvée, ce qui est un exploit dans ce monde sacrément penché! La forme d’un diptyque s’est imposée naturellement tant les filiations entre ces deux pièces sont évidentes. »
Qu’ont en commun les deux personnages de “Bar”, Nino et Petru, avec ceux de “Nunzio” ?
« On imagine bien ces quatre hommes issus du même village, échoués dans une ville bétonnée par la mafia. Une mafia omniprésente mais dont il vaut mieux ne pas parler, par prudence. Nino et Petru comme Nunzio et Pino, sont deux loosers magnifiques. Ils ont de grands rêves mais de trop petites épaules pour les porter. Ce sont des gars pleins de fêlures — dans “Bar” l’un rêve d’être quelqu’un qu’il n’est pas et l’autre ne parvient pas à s’émanciper d’une « mamma » castratrice. Ils sont embourbés dans des problèmes de fric mais leurs réactions pour maintenir l’équilibre sont touchantes et drôles. On a envie de les aider et de les aimer. »
Quel sera le dispositif scénique de ce spectacle ?
« Il s’agit du même mode bi-frontal que “Nunzio”, afin de placer toujours le spectateur dans un rapport intimiste avec les personnages ; le public doit tout voir, la moindre miette de pain sur la table, comme au cinéma. La scénographie sera épurée : des lignes blanches tracées au sol suggèreront les espaces. Une porte et une fenêtre constitueront les deux axes verticaux sur le plateau. Philippe Ferreira et Margot Falletty signent les lumières, Brigitte Tribouilloy la création des costumes et Mathieu Hornain l’univers sonore. Certains accessoires sont personnels : je les ai ramenés de Sicile cet été! Jean Castellat intervient dans la reconfiguration du décor de la version diptyque qui permettra aux deux spectacles de s’enchaîner dans un intervalle de quinze minutes d’entracte. De l’arrière-salle du bistrot de “Bar”, le spectateur sera plongé dans l’appartement de “Nunzio”. »
“Bar” est-il aussi envisagé comme un spectacle nomade, comme “Nunzio” ?
« Oui absolument! La pièce a été conçue pour voyager hors les murs. Si “Nunzio”, qui continue sa route, se joue en appartements (comme lors de sa création, NDR) ou dans des locaux associatifs, “Bar” s’adaptera aux arrière-salles de café, aux ateliers industriels, aux caves viticoles. Nous allons d’ailleurs créer cette version avec la MJC de Rodez qui accompagne notre compagnie L’Émetteur. »
Pourquoi ne pas avoir repris le duo que vous formez avec Denis Rey dans “Nunzio” ?
« Parce que j’avais très envie de voir sur scène le duo Laurent Perez et Denis Rey ! Denis étant le pivot entre les deux spectacles. Amis sur scène et à la ville, Spiro Scimone et Francesco Sframeli avaient l’habitude de jouer ces pièces ensemble, un schéma que je ne souhaitais pas reproduire car trop évident. Et puis, être à l’extérieur me permet d’avoir une vue globale cohérente. Je peux avoir ce regard parce que je ne suis pas impliqué dans le jeu. Un regard passé au filtre des polars d’Henri Verneuil, des films italiens néoréalistes de Vittorio De Sica, ou encore du cinéma d’acteurs de John Cassavetes qui traite des rapports entre hommes. J’avais envie de réalisme cinématographique. L’écriture fine de Scimone le permet : on n’est ni dans le burlesque ni dans le tragique, mais dans cet entre-deux douloureux qui serre le cœur en même temps que l’on rit. On pense aux héros en perdition de “Husbands” qui s’enivrent et dansent avant qu’il ne soit trop tard! »
> Propos recueillis par Sarah Authesserre pour le mensuel Intramuros
“Bar”, du 4 au 6 octobre, “Bar” & “Nunzio”, du 7 au 15 octobre, au Théâtre du Pavé (34, rue Maran, 05 62 26 43 66, theatredupave.org)