Nouvelle production du Théâtre du Capitole mise en scène par Richard Brunel, « Béatrice et Bénédict » d’Hector Berlioz est dirigée par Tito Ceccherini.
«À mon sens, cette partition est l’une des plus vives et des plus originales que j’aie produites», écrivait dans ses « Mémoires » Hector Berlioz à propos de « Béatrice et Bénédict ». Créé en 1862, c’est le dernier ouvrage du compositeur, une comédie virtuose pleine de vie et d’humour inspirée de la pièce de William Shakespeare « Beaucoup de bruit pour rien ». Œuvre dans laquelle le génie orchestrateur du compositeur se déploie avec aisance et légèreté, l’opéra se concentre exclusivement sur Béatrice et Bénédict, le couple comique du modèle élisabéthain, et sur les intrigues ourdies par leur entourage pour les marier. Cette nouvelle coproduction du Théâtre du Capitole, avec le Théâtre royal de la Monnaie, était déjà à l’affiche de l’opéra bruxellois au début de l’année, dans une mise en scène de Richard Brunel. Ce dernier est donc de retour au Théâtre du Capitole après la réussite en 2013 d’ »Albert Herring », de Benjamin Britten.
À propos de cet opéra-comique irrigué d’une puissante théâtralité et riche de dialogues parlés, le metteur en scène assure : «Je pense que « Béatrice et Bénédict » est essentiellement, structurellement infidèle à Shakespeare et que ce n’est pas grave. Ce n’est pas une adaptation, c’est une recréation. Il prend des personnages, il se saisit de quelques situations, il en change d’autres. Il supprime tous les ressorts de la comédie d’intrigue. C’est un hommage mais un hommage insolent, de loin. Il affirme sa liberté pour raconter autre chose qui l’intéresse lui : la phobie du mariage, l’interrogation sur le lien entre sentiment et engagement. Curieusement, il garde la force des combats linguistiques entre les personnages. On en trouve les traces dans les parties parlées comme dans les parties chantées. C’est une œuvre complexe. Le problème n’est pas tant que Berlioz n’a pas bien adapté Shakespeare mais qu’il n’est pas intéressé par le discours central de la pièce. Il est mobilisé par sa périphérie, sa marge. S’ajoute à cela un sentiment que mon équipe et moi-même avons eu d’emblée, celui que la musique avait une forme de sous-texte. Le livret dit que tout va bien, la musique tente de dire la même chose et en réalité elle recèle une mélancolie qui interroge alors le véritable sens du texte. J’ai travaillé sur la continuité de jeu entre les parties chantées et les parties parlées. Mais j’ai aussi recherché tous les modes de tuilage théâtraux et psychologiques qui fassent en sorte que la musique naisse d’une nécessité, qu’elle surgisse comme un moyen supplémentaire de créer de l’action, de dire une émotion. Je ne souhaitais pas que la musique apparaisse comme une illustration du texte ou que ce dernier soit perçu comme une incongruité.»
Richard Brunel poursuit : «Alors que la musique est sublime, le livret est souvent critiqué. De fait, l’intrigue ne laisse pas de place au suspense. Le danger présent dans la pièce de Shakespeare a été complètement effacé. Face à ce constat, nous avons choisi de faire ce qu’avait fait Berlioz : rêver sur cet opéra comme lui-même a rêvé sur Shakespeare. Nous avons pris acte du fait que le personnage de Somarone, créé par Berlioz pour régler ses comptes avec le milieu musical de son époque, ne pouvait plus être compris dans sa dimension parodique. Nous avons décidé d’en faire le creuset d’une histoire qui permette de résoudre d’autres mystères musicaux, par exemple l’absence de duo entre Héro et Claudio. Nous avons donc décidé, non pas d’aller chercher par principe chez Shakespeare pour compenser le travail d’adaptation de Berlioz mais de partir de la musique de Berlioz pour retrouver chez Shakespeare le moyen de la sublimer. Ainsi, nous avons rétabli la scène du stratagème ourdi par Héro et Ursule pour piéger Béatrice – alors que le compositeur l’avait réduite à un résumé. Or, elle est indispensable pour comprendre que l’air que commencent à chanter les deux jeunes femmes fait partie du stratagème. Elles l’utilisent pour surprendre la jeune femme qui découvre, en reprenant les paroles, qu’elle est amoureuse. Elle se laisse traverser par les paroles. Pour le reste, nous avons puisé chez Shakespeare pour révéler la dimension mélancolique de la musique qui nous fascinait, en assumant le centon, la citation», termine le metteur en scène dans un entretien réalisé par le Théâtre du Capitole.
La direction musicale est assurée par Tito Ceccherini (photo) qui a déjà dirigé avec brio à Toulouse « les Pigeons d’argile », de Philippe Hurel, et « le Château de Barbe-Bleue », de Béla Bartók. Selon le chef italien, «aucune figure n’émerge véritablement comme un modèle dans les chefs-d’oeuvre de Berlioz. C’est peut-être là une spécificité de son parcours artistique que d’avoir toujours créé de manière aussi autonome – souvent visionnaire. La comparaison de ses pièces théâtrales (les trois opéras, « Benvenuto Cellini », « Les Troyens » et « Béatrice et Bénédict », sans compter « Lélio » et « La Damnation de Faust »), révèle un panorama unique, d’une réussite extraordinaire – tant dans la dramaturgie que dans la musique – mais qui ne permet en rien de faire émerger un quelconque “modèle”. Dans la liberté et la souplesse des instruments formels, dans la radicalité et la profondeur exemplaire des thèmes et des personnages, dans les équilibres souvent profonds et inusités des types psychologiques et des situations, Shakespeare invente un théâtre aux antipodes de l’équilibre et de la symétrie du classicisme», constate Tito Ceccherini.
«Il n’est guère étonnant que Berlioz ait été sensible à une telle dramaturgie, bien qu’il n’arrive pas à en trouver le pendant opératique – « Béatrice et Bénédict », comme je l’ai dit, renonce à la globalité du drame, tandis que « Roméo et Juliette » relève du domaine symphonique plutôt que du théâtre. Il n’en demeure pas moins que Berlioz anticipe l’esprit des générations suivantes pour lesquelles il demeure un exemple unique de romantisme directement versé dans la modernité. Chez Berlioz, comme je l’ai déjà dit, me frappent les traits les plus originaux et par-dessus tout, les “irrégularités”. C’est là peut-être l’aspect le plus caractéristique du style français. La faculté d’imaginer et de donner sans cesse corps à une solution moderne pour les couleurs et les timbres, sans hésiter à transgresser les habitudes et les conventions, tient vraiment du génie», assure le chef.
Les rôles-titres de cette série de représentations seront interprétés par Julie Boulianne et Joel Prieto. La mezzo-soprano québécoise fait ses débuts sur la scène du Capitole avec l’un de ses rôles fétiches, après avoir déjà chanté dans « Roméo et Juliette » de Berlioz avec l’Orchestre national du Capitole, sous la direction de Tugan Sokhiev, à la Halle aux Grains. Quant au ténor espagnol, il aborde pour la première fois le rôle de Benedict pour sa troisième invitation au Théâtre du Capitole. Soprano américaine, Lauren Snouffer incarne Hero sur la scène toulousaine, et le baryton français Aimery Lefèvre – familier du Théâtre du Capitole – interprète son fiancé Claudio.
Jérôme Gac
Du 30 septembre au 11 octobre,
au Théâtre du Capitole,
place du Capitole, Toulouse.
Tél. : 05 61 63 13 13.
Conférence,
jeudi 29 septembre, 18h00 ;
Rencontre,
avant la représentation, 19h00.
Au Théâtre du Capitole.
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photos:
– « Beatrice et Bénédict »
© Bernd Ulhig / La Monnaie
– T. Ceccherini © Daniel Vass