Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
Il est loin le temps où Mel Gibson était l’une des plus grandes stars mondiales, une véritable icône du box-office grâce notamment à deux personnages mythologiques du septième art : le héros de la série des Mad Max de George Miller (trois films) et le sergent Martin Riggs dans la série de L’Arme fatale de Richard Donner (quatre films). Loin de se contenter d’être un héros de film d’action, le comédien se tourna assez tôt vers la mise en scène en signant dès 1993 L’Homme sans visage, un mélodrame tout en retenue et en finesse où il interprétait un veuf à moitié défiguré. On le retrouva devant et derrière la caméra pour Braveheart en 1996 qui récolta cinq Oscars dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur. Au début des années 2000, sa carrière d’acteur le mène aussi bien chez Wim Wenders (The Million Dollar Hotel) que chez M. Night Shyamalan (Signes). Il s’illustre dans la comédie (Ce que veulent les femmes de Nancy Meyers) comme dans le film de guerre (Nous étions soldats de Randall Wallace) avant de se lancer dans un projet rompant radicalement avec les codes hollywoodiens.
Mel Gibson veut tourner la Passion du Christ dans les langues parlées à l’époque (Araméen, Hébreu et Latin) et en proposant uniquement une version sous-titrée (les sous-titres sont quasiment bannis aux Etats-Unis). Aucun studio ne veut financer ce suicide commercial. Peu importe, Gibson pioche quarante millions de dollars dans ses propres deniers. Porté par la présence de Jim Caviezel (déjà héros christique de La Ligne rouge de Terrence Malick), le film en rapporte dix fois plus rien qu’aux Etats-Unis.
Deux ans plus tard, en 2006, le metteur en scène récidive dans le registre du projet risqué en produisant, coécrivant et dirigeant Apocalypto, film d’aventures se déroulant avant la chute de la civilisation maya avec des acteurs inconnus, parfois non professionnels, là encore seulement en version originale (le dialecte yucatèque) sous-titrée… Cette fable aux échos très contemporains sur la chute des civilisations gangrenées par le fanatisme religieux, la violence et la consommation est un nouveau succès.
Mais c’est du côté de sa vie privée que l’étoile de Mel Gibson, chrétien traditionnaliste qui reconnût des pulsions suicidaires, va pâlir : un divorce après vingt-sept ans de mariage qui lui coûte la moitié de sa fortune (soit 400 millions de dollars), des dérapages verbaux dus à l’alcool et à la drogue (de vieilles addictions), une liaison orageuse avec sa nouvelle compagne et des accusations de violence conjugale… Son retour en tant qu’acteur au bout de huit ans d’absence, avec Hors de contrôle de Martin Campbell, est un cuisant échec. Le film, funèbre et peu spectaculaire, n’attire pas les fans de L’Arme fatale. Son excellente composition de père dépressif et autodestructeur dans le non moins excellent Le Complexe du castor de Jodie Foster ne séduit pas plus les foules. Ostracisé à Hollywood, l’un des acteurs les plus rentables de l’histoire du cinéma, ayant rapporté plusieurs milliards de dollars à l’industrie, est devenu un has been intégral.
Pour preuve, en 2012, Kill the Gringo (titre « français » de Get the Gringo, également baptisé How I Spent My Summer Vacation dans certains pays) sort directement en VOD aux Etats-Unis et ne bénéficie pas non plus d’une distribution en salle dans l’hexagone. Dommage car ce film noir baignant sous le soleil mexicain, réalisé par Adrian Grunberg (premier assistant-réalisateur sur Apocalypto) et coécrit par Gibson, vaut largement le détour. On y découvre un braqueur américain arrêté par la police mexicaine et envoyé par des flics véreux dans une gigantesque prison à ciel ouvert gérée par un mafieux et son gang. Dans ce « village » où les prisonniers circulent librement et où vivent des familles, tous les trafics ont cours (prostitution, drogues, armes), y compris celui d’organes. Le « Gringo » va se lier d’amitié avec un jeune garçon sur lequel veille jalousement le caïd dirigeant la prison… À son habitude, Mel Gibson n’épargne rien au personnage qu’il interprète, mais le chemin de croix de celui-ci est la condition de sa rédemption. Nerveux, rapide, violent, traversé de bouffées d’humour noir, remarquablement photographié, Kill the Gringo est une série B totalement jubilatoire. Mel Gibson vieillissant retrouve l’insolence et l’audace du Martin Riggs de sa jeunesse tandis que des seconds rôles non négligeables (Peter Stormare, Dean Norris, Patrick Bauchau…) enrichissement une redoutable galerie de méchants.
Depuis, on a pu revoir Mel Gibson à travers des apparitions dans Machete Kills ou Expendables 3 tandis que Blood Father de Jean-François Richet, où il tient le premier rôle, devrait sortir en 2016. Par ailleurs, il vient de réaliser son cinquième long-métrage, Hacksaw Ridge, sur un médecin pacifiste américain durant la Seconde Guerre. En attendant tout cela, redécouvrez Kill the Gringo…