Invité à mettre en scène « Iolanta » au Palais Garnier, Dmitri Tcherniakov a choisi d’associer cet opéra de Tchaïkovski à un célèbre ballet du compositeur, « Casse-Noisette ». Une production hors du commun à découvrir en direct dans les cinémas UGC.
Jeune soprano bulgare, Sonya Yoncheva interprète au Palais Garnier le rôle-titre de « Iolanta ». Le chef français Alain Altinoglu dirige les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, à l’occasion des représentations de cette nouvelle production parisienne confiée au metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov. Artiste majeur de la scène internationale, ce dernier a choisi d’associer le ballet de Piotr Ilitch Tchaïkovski « Casse-Noisette » (photo) à cet opéra du même compositeur. C’est donc un programme extraordinaire qui est actuellement à l’affiche du Palais Garnier, les deux œuvres ayant été créées toutes les deux lors d’une même soirée à Saint-Pétersbourg, le 18 décembre 1892.
Opéra en un acte et un seul tableau, « Iolanta » s’appuie sur un livret de Modeste Tchaïkovski, frère du compositeur, inspiré de « la Fille du Roi René ». Paru en 1853, ce poème de l’auteur danois Henryk Herz raconte l’histoire d’une jeune fille aveugle de naissance que son père garde dans son palais. Il a interdit à quiconque de révéler à sa fille l’existence de la lumière et de la vision. Appelé par le Roi, un célèbre médecin peut rendre la vue à la princesse, mais à la condition qu’elle le souhaite et soit enfin consciente de son infirmité. Chef-d’œuvre de dramaturgie dans lequel chaque note sert le propos du conte philosophique, l’opéra de Tchaïkovski se caractérise par une profonde richesse expressive.
Originellement chorégraphié par Marius Petipa et Lev Ivanov sur la musique de Tchaïkovski, le ballet « Casse-Noisette » est inspiré de « Histoire d’un casse-noisette » d’Alexandre Dumas. Publié en 1845, ce conte était une adaptation édulcorée de « Casse-Noisette et le Roi des rats », de l’écrivain allemand Ernst Theodor W. Hoffmann, datant de 1816. Le livret mêle le merveilleux et le fantastique dans une ambiance d’inquiétante étrangeté. L’histoire débute au cours de la veillée de Noël. Une petite fille reçoit en cadeau un casse-noisette, mais son frère le brise aussitôt. Tentant de le réparer, elle s’endort auprès de lui. À minuit, les jouets s’animent : à la tête des soldats de plomb, Casse-Noisette triomphe de l’armée du roi des rats grâce à l’intervention de Clara. Devenu un beau jeune homme, il emmène la petite fille au merveilleux pays de Confiturembourg où règne la Fée Dragée. Voyageant de la Russie vers le Confiturembourg, en passant par la Chine, l’Espagne et l’Arabie Heureuse, la partition de Tchaïkovski brille par la richesse de ses coloris et de ses mélodies.
Le metteur en scène Dmitri Tcherniakov raconte la genèse de cette production extraordinaire: «Tout a été pensé et relié de manière assez inhabituelle. C’est d’abord l’idée de l’opéra qui a surgi. Un titre russe. J’ai cherché un opéra qui pourrait former un couple avec « Iolanta », ce dernier ne pouvant remplir à lui seul une soirée. J’avais bien sûr en tête qu’historiquement, « Iolanta » avait été commandé avec le ballet « Casse-Noisette » par le Théâtre impérial de Saint-Pétersbourg pour être donné en 1892. Allez savoir pourquoi, l’idée de reprendre ce diptyque avait par la suite semblé impossible : ce n’est pas un hasard si, au cours de ces cent vingt-cinq dernières années, il n’y a eu aucune tentative, ou presque, de réunir ces deux ouvrages.»
Le metteur en scène constate : «J’ai dû me rendre à l’évidence : il était impossible de trouver meilleur partenaire pour « Iolanta » que « Casse-Noisette ». Surtout quand j’ai compris que ces deux ouvrages de Tchaïkovski appartenaient au même monde, relevaient de la même substance musicale. En consultant les carnets du compositeur conservés aux archives du musée de la ville de Kline, on s’aperçoit que les inspirations musicales pour « Iolanta » et « Casse-Noisette » cohabitent sur les mêmes pages, comme les parties d’une même entité. Il s’agissait de ses dernières œuvres pour le théâtre musical. Il les a composées un an avant sa mort : c’est le Tchaïkovski de la Sixième symphonie, et « Iolanta » et « Casse-Noisette » forment une autre symphonie tragique distribuée entre l’opéra et le ballet. Ces deux histoires si différentes sont liées par la musique».
Dmitri Tcherniakov (photo) poursuit : «Ce projet est également le fruit de mon désir de marier les genres de l’opéra et du ballet. Ces deux arts si différents coexistent depuis des siècles sous le même toit tout en s’intéressant finalement assez peu l’un à l’autre. Les relier par un même thème, au service d’un objectif commun, m’a paru une idée formidable. C’est la raison pour laquelle, j’ai veillé à ne pas isoler « Iolanta » de « Casse-Noisette » par un entracte : il s’agit d’un spectacle, d’une même histoire où le ballet prend le relais en développant ce qui a déjà été dit et entendu dans l’opéra. Mais il le développe à un autre niveau, plus général, en repoussant les limites, en allant au-delà des frontières du thème proprement dit.» Notons que c’est déjà la seconde fois cette saison qu’un metteur en scène réunit deux œuvres distinctes dans un seul et unique spectacle au Palais Garnier. Cet automne, le Polonais Krzysztof Warlikowski avait en effet enchaîné sans entracte « le Château de Barbe-Bleue » à « la Voix humaine », l’interprète de l’œuvre de Poulenc, Barbara Hannigan, entrant alors sur scène alors que l’opéra de Bartók n’était pas encore achevé.
«Je pense que pour tout le monde ou presque, la musique de « Casse-Noisette » va au-delà d’une simple musique “utilitaire”, une musique destinée à accompagner les danses selon le chronométrage précis de Marius Petipa. Cette musique est plus grande que le sujet au service duquel elle existe. Je perçois toujours dans ce que j’entends quelque chose de plus grand et de plus vaste que ce que la scène me présente, comme si le théâtre et la danse étaient incapables d’arriver à de tels sommets, faute d’avoir les outils nécessaires. Dans notre spectacle, nous avons renoncé au sujet traditionnel du ballet inspiré du conte d’Hoffmann et de Dumas. L’idée d’inventer des circonstances scéniques nouvelles pour « Casse-Noisette » est la conséquence de cette nécessité d’essayer de trouver un procédé pour capter tout ce que l’on entend dans la musique : la douleur, la perte, la peur, la plénitude, l’allégresse débridée, la fragilité, le déchirement, la suffocation, la compassion…», termine Dmitri Tcherniakov. Cette production fera l’objet d’une diffusion en direct dans les cinémas UGC, et d’une retransmission sur France Musique.
Jérôme Gac
Jusqu’au 1er avril, à l’Opéra Garnier, place de l’Opéra, Paris.
Tél. 08 92 89 90 90 (0,34 euros la minute depuis un poste fixe en France).
Jeudi 17 mars, 18h45, en direct dans les salles UGC.
Diffusion de l’enregistrement d’une représentation,
samedi 26 mars, 19h00, sur France Musique.
–
photos:
« Casse-Noisette » © Agathe Poupeney / ONP
D. Tcherniakov © Pierre-Philippe Hofmann