Auteur et performeuse toulousaine, Catherine Froment proposait au théâtre Sorano une pièce qu’elle a écrite et mise en scène : « le Retireur des eaux », interprétée avec deux trublions de sa trempe.
C’est un fait : notre époque est en crise. Crise économique, politique, idéologique, climatique, migratoire… Comédienne-performeuse et auteure du texte du « Retireur des eaux », Catherine Froment s’interroge dans cette pièce créée en janvier au théâtre Sorano: comment en est-on arrivé là ? Pour tenter de donner des explications aux dérapages de notre société, elle partage pour la première fois le plateau avec deux autres comédiens ultra engagés en couple fondateur – celui d’Adam et Eve – pour revenir aux sources de l’Histoire : Séverine Astel – diablement burlesque et fascinante – et Alex Moreu.
«Pour comprendre la crise
Faut revenir à la source de la putain de source dans la montagne
Le moment pendant la baise».
Une femme et un homme s’inventent chevaliers, se lancent à l’assaut de la vie, perdants et abonnés au ratage, mais acharnés à tenter quelque chose contre cette grande marche catastrophique qui n’en finit pas d’écraser l’homme.
«Attache-toi à la bagnole
et fais-toi traîner sur le parking de ta résidence ou du pôle emploi de long en large
Peinturlure de rouge le parking des assassins de l’homme (…).»
Cette exhortation folle furieuse invite les spectateurs à un exil intime : trouver des portes de sorties pour inventer sa propre route, être acteur de son temps sans craindre d’être hors cadre. Tels des Antonin Artaud et Jeanne Hébuterne, suicidés de la société, que Catherine Froment invoque dans la scène finale qu’elle porte – au sens propre du terme – magistralement. Mais qui est ce Retireur des eaux ? Dans la Bible, il s’agit du prophète Moïse, celui qui, sauvé des eaux, ouvrit celles de la mer Rouge au peuple hébreu après les avoir libérés de l’esclavage.
Aujourd’hui, les retireurs des eaux, ce sont eux ces trois-là, sur le plateau, mais c’est chacun de nous à notre échelle…. Se retirer des eaux, c’est nager à contre-courant, être un nageur plutôt qu’un noyé. Le spectacle est structuré en plusieurs fragments textuels, donnant lieu à différents tableaux dans lesquels des êtres, dans le refus de tout euphémisme de la parole et de l’action, vont jusqu’au bout d’eux-mêmes en livrant leur corps à des performances physiques intenses.
Comme toujours chez Catherine Froment, un corps à nu, clownesquement martyrisé, réceptacle des maltraitances infligées par notre société, mais ressuscitant sans cesse, increvable. Soutenu par une écriture généreuse en forme de chant incantatoire et des images saisissantes, le spectacle impose une poétique, drôle, exaltante, vivante, puissamment plastique et organique. Il est servi par un trio d’acteurs à la démesure jubilatoire, de celle des actions poétiques de son auteure-metteuse en scène et comédienne.
Voilà une proposition réellement très personnelle. Mais au soir de la toute première représentation, le manque de fluidité et de rythme entre chaque scène tendait à perdre en tension et à diluer le sens du propos. Chaque tableau du « Retireur des eaux » constitue une performance plastique et politique à part entière, que l’on verrait davantage hors les murs, en extérieur. À l’air libre, comme ces électrons.
Sarah Authesserre
photo © Jean-Pierre Montagné