Le fameux “opéra-comique“ d’Henri Sauguet va être enfin créé au Théâtre du Capitole, ou plutôt, il va revivre dans quatorze théâtres français, et un suisse. En effet, c’est grâce au Centre Français de Promotion Lyrique, présidé par Raymond Duffaut, l’homme fort des Chorégies d’Orange, que l’œuvre inspirée au compositeur français en 1954 par la célèbre pièce d’Alfred de Musset va revivre dans plusieurs théâtres dont le Capitole. Cette nouvelle production est donc à découvrir, et pour l’œuvre, et pour l’originalité de sa construction.
Lors de cette tournée, quarante représentations sont prévues jusqu’en 2016, avec deux distributions en alternance, des “mix“ étant même possibles ! L’entreprise doit être appréhendée dans sa globalité et non pas simplement au niveau de, simplement, notre cher théâtre, un peu comme un certain Voyage à Reims qui avait pu alors donner toute satisfaction.
Les chanteurs que nous aurons sur scène ici font partie des dix-huit de moins de 35 ans parmi lesquels quatorze français. Ils ont été retenus parmi plus de cent cinquante auditionnés pour l’occasion.
Henri Sauguet, membre de l’Ecole d’Arcueil inspirée par Erik Satie, en est le seul compositeur – de cet école – dont la production ait connu un certain retentissement avec les célèbres Forains. Ne dit-il pas de lui-même : « J’ai appris ainsi à dédier tous mes loisirs à la musique, et elle reste pour moi la récompense et le plaisir. J’ai conservé une mentalité d’amateur qui me garde, je crois, de toute déformation professionnelle. »
D’Henri Sauguet, son contemporain Darius Milhaud pourra écrire en 1927 : « Chez Sauguet, la musique est un sixième sens. Une facilité mélodique d’un intarissable écoulement remplace, pour notre joie, les combinaisons les plus savantes des contrapuntistes les plus célèbres. C’est un intuitif, dont l’intuition est guidée par son instinct, par l’acuité de son intelligence et la sûreté de son goût. Cette espèce d’élégance naturelle est la même que celle d’un joueur de tennis. Sa musique a de la race comme les chats siamois. Ces qualités sportives s’unissent à un cœur tendre que les locomotives ou les machines agricoles effarouchent, mais qui aime la mer, les bateaux, les matelots, leurs pompons rouges, les rubans de leurs bérets et les cadres en coquillage. »
L’œuvre, Les Caprices de Marianne, fut créée au Festival d’Aix-en-Provence le 20 juillet 1954, sur un livret adapté de la pièce éponyme d’Alfred de Musset, et signé Jean-Pierre Grédy, écrivain déjà célèbre à l’époque avec son compère Barillet, le tandem se signalant comme auteur de livrets de nombreuses comédies de boulevard. Remarquons, que c’est l’ensemble des directeurs de salles qui ont pris l’initiative de sortir de l’oubli l’ouvrage en question, appuyé par le CFPL. Le Capitole ne l’avait jamais mis à l’affiche auparavant.
Il faudra en premier vous replonger dans la lecture de ce classique pour retrouver le fil de l’histoire s’il s’est un peu effiloché. A Toulouse, c’est Claude Schnitzler qui dirige l’ensemble. Qualifiant l’œuvre de « maillon dans l’histoire de la musique française », écoutons ce qu’il nous dit de son compositeur : « Sauguet est un compositeur que l’on n’entend pas assez souvent, de manière un peu injuste. Sans doute, a-t-il souffert, et souffre-t-il encore, d’un certain discrédit, dans la mesure où l’essentiel de sa production se concentre sur une période, 1930-60, au cours de laquelle le langage musical, et la conception même de la musique, ont connu une mutation radicale. (…)
Il est vrai que, sur le plan de la structure, Les Caprices de Marianne sont d’une coupe tout à fait traditionnelle. L’écueil à contourner reste la succession de scènes relativement courtes, n’ayant pas de lien réel entre elles. Dans la manière d’agencer le discours musical, le chef doit donc trouver impérativement une continuité là où elle ne va pas de soi. L’écriture de Sauguet présente, par ailleurs, un intérêt évident, en particulier sur le plan harmonique, puisque le compositeur exploite beaucoup, la polytonalité, l’enharmonie et les fausses relations. C’était aussi un formidable orchestrateur, dont la manière de faire sonner une formation de chambre à peine élargie dénote un métier, une science et une inventivité admirables.
Quant à son extraordinaire maîtrise de l’écriture vocale, elle lui permet de demander aux chanteurs des exploits parfois à la limite de leurs possibilités, sans jamais les mettre en péril pour autant. Les Caprices de Marianne sont donc redoutablement exigeants, tant du point de vue de la mise en place que pour essayer d’en dégager l’esprit. » Opéra-Magazine n°99
Laurence Mongeau crée les costumes qui sont confectionnés par les ateliers de l’Opéra Grand Avignon pour les femmes et ceux de l’Opéra de Tours pour les hommes. Les décors sont de Patricia Ruel, scénographe surdouée repérée par une “pointure“ de la mise en scène, un certain Robert Lepage. Les éléments ont été construits dans les ateliers de l’Opéra de Bordeaux. N’oublions pas la contrainte majeure qui est de faire voyager sans trop de difficultés tous ces décors d’une maison d’opéra à l’autre. Sachons que le projet de la jeune équipe québécoise a été retenu parmi 53 propositions, projet auquel participe aussi Etienne Boucher pour les lumières. Mais pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre ? On dit que, sans doute, cette équipe a su résoudre, avec une sensibilité toute contemporaine, « l’équation entre l’époque à laquelle Alfred de Musset a situé sa pièce, “au temps de François Ier“, celle à laquelle il l’a écrite (1833), et enfin, celle de la création de l’opéra.
Oriol Thomas nous informe de ses choix dans la mise en scène : « Nous avons décidé de situer l’action à Naples, d’abord parce que le texte de Musset le prescrit, mais aussi parce que j’aimais l’idée d’un Vésuve menaçant, comme un présage de la mort de Cœlio, l’amoureux fou de Marianne. Nous sommes dans un lieu public, avec une fontaine au centre, qui attire les personnages comme un aimant, et en même temps les repousse. Nous avons choisi de nous référer à la Galleria Umberto I parce qu’elle a un dôme en verre, qui protège en apparence mais en réalité emprisonne, sans espoir de sortie. Ce décor, qui renvoie à la bourgeoisie napolitaine comme à la monumentalité architecturale de l’Italie rêvée des romantiques, n’est qu’esquissé, comme s’il s’effaçait sous les pas d’une jeunesse n’admettant plus les valeurs de l’ancienne génération et cherchant de nouvelles raisons de vivre…et de se battre. » Et, sachons que la comédie finit dans le sang et les larmes de l’amour déçu.
Dernière petite note du metteur en scène au sujet des chanteurs. « J’essaie toujours d’amener le chanteur à devenir le créateur de son propre personnage. Je lui demande d’arrêter d’être égocentrique, pour se mettre au service de l’œuvre et jouer avec ses partenaires. Puisqu’il y a double distribution, je travaille avec l’un et avec l’autre, et pas toujours dans le même ordre, pour que chacun puisse faire des propositions, et ne se retrouve pas cantonné à la position d’observateur ou de doublure. D’une équipe à l’autre, la mise en place sera sensiblement la même, d’autant que la tournée impose d’établir un plan d’éclairages très précis, mais les intentions pourront varier, ne serait-ce qu’en raison de l’énergie des corps et des différences de physionomies. »
Michel Grialou
Théâtre du Capitole – du 22 janvier au 31 janvier 2016
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–> Une belle affiche ? : Toulouse Espace Culture / L’Afficheur Culturel