« Né le 28 juin 1979, Florian Zeller est beau, on peut encore le vérifier sur une grande quantité de magazines, et sur la photographie qui figure au dos de ses livres où il a l’oeil blond et le cheveu profond (ou l’inverse). En dehors de cela, Florian Zeller a pour principales caractéristiques, au début du XXIe siècle, d’être plutôt beau garçon et d’avoir beaucoup de cheveux. »
C’est par ces phrases que commencent les pages consacrées à Florian Zeller dans le Jourde & Naulleau publié en 2004, année où l’écrivain à l’opulente chevelure recevait le prix Interallié pour son roman La Fascination du pire et où paraissait L’Autre, sa première pièce. Une entrée en littérature rapidement saluée par les prix littéraires, de nombreuses apparitions dans les médias… et quelques railleries, d’aucuns attribuant la réussite du jeune homme à son physique avantageux plus qu’à ses talents de plume. Il est vrai qu’avec ses longs cheveux blonds et ses airs de fils de bonne famille droit sorti d’un casting d’Hélène et les garçons, Florian Zeller avait tout du produit de marketing éditorial tel qu’on en voyait au début de ce siècle. L’intéressé flaira-t-il le danger et le risque de devenir un auteur jetable vite oublié après un début de carrière en trombe ? Toujours est-il qu’il se fit plus rare à la télévision et délaissa le genre très médiatisé du roman pour se consacrer essentiellement au théâtre. Un registre dans lequel il s’est montré prolifique en écrivant dix pièces entre 2004 et 2015 dont quelques-unes furent de réels succès publics récompensés par plusieurs distinctions. Parmi elles, on citera Le Père (avec Robert Hirsch), Molière de la meilleure pièce en 2014, et La Vérité créée en 2011 avec Pierre Arditi dans le rôle principal.
Après l’avoir découverte à Paris, Alexandra Pons et Claude Hélias, les fondateurs de Cœur & Jardin, ont proposé aux autres membres de leur compagnie de monter la pièce à l’occasion de leur grande création annuelle. Mise en scène par Francis Azéma et interprétée par Alexandra Pons, Anne-Sophie Delahaye, Philippe Canizarès et Claude Hélias, La Vérité est donnée jusqu’au 31 décembre au Grenier Théâtre. Un titre emprunté à un des plus grands films d’Henri-Georges Clouzot (peut-être pas tout à fait par hasard) pour une sorte de vaudeville moderne sans portes qui claquent mais où Zeller revoit à sa façon le thème inépuisable de l’adultère en milieu bourgeois.
Michel (Claude Hélias) trompe depuis quelques mois son épouse Laurence (Alexandra Pons) avec Alice (Anne-Sophie Delahaye), la femme de Paul (Philippe Canizarès), son meilleur ami. Menteur impénitent incroyablement inventif, Michel accumule sans vergogne les mensonges pour retrouver Alice dans des chambres d’hôtel. Éviter d’éveiller les soupçons de sa femme et de son ami Paul est son seul souci et tous les stratagèmes, aussi grossiers soient-ils, lui sont bons pour y parvenir. Jusqu’à ce qu’un des sentiments les plus bêtement humains vienne s’en mêler, la culpabilité que ressent Alice vis-à-vis de son mari et dont elle s’ouvre auprès de Michel, provoquant chez lui la réaction d’un vampire auquel on présente une gousse d’ail. Bien qu’ayant essayé, en bon manipulateur, de dissuader sa maîtresse de révéler la vérité à Paul en la culpabilisant à son tour (« Il ne faut pas le lui dire, ce serait ignoble. Si tu lui mens, c’est pour l’épargner, le protéger »), Michel sent que la situation qu’il croyait contrôler lui échappe. Le poison du doute s’insinue un peu plus lorsque, après leur partie de tennis hebdomadaire, Paul lui fait part de sa conviction que sa femme le trompe, sans lui révéler le nom de son amant mais en le regardant droit dans les yeux, la raquette menaçante…
A partir de là, de révélation en révélation, le spectateur va découvrir une immense partie de poker menteur dont celui qui croyait mener et bluffer tout son monde pourrait bien être le dindon de la farce. Le lisse et gentil Paul, avec ses sous-entendus et son calme apparent en surface, est si stoïque qu’il en devient inquiétant. L’absence de réaction de la pauvre et douce Laurence face aux dénégations de son mari pourrait bien cacher quelque chose. Et si finalement Michel, plus lâche que méchant, était le moins cruel et le moins pervers de tous ? Pièce sur l’omission plus que sur le mensonge, La Vérité nous tend le miroir dans lequel notre époque répugne à se regarder, celui où l’inauthenticité des relations humaines apparaît dans toute sa triste réalité. On rit tout au long du spectacle de voir Michel s’empêtrer dans ses tentatives de manipulation, notamment lorsqu’il explique à Alice que « si tout le monde disait toujours la vérité, si on arrêtait de se mentir, ce serait la fin de la civilisation ». Et pourtant… n’énonce-t-il pas là la règle plus ou moins tacite qui rend possible et supportable la vie en société ?
Le théâtre de Florian Zeller est parfois comparé, toutes proportions gardées, à celui de Feydeau pour son rythme, et à celui de Guitry pour l’acuité du regard qu’il porte sur ses personnages et le milieu qu’il radiographie. L’oeuvre et le nom d’Henri Bernstein, dramaturge hélas oublié et contemporain de Guitry, avec son petit zoo d’humains où le pire de tous n’est jamais celui que l’on pense, viennent aussi à l’esprit. Pour ces illustres références, pour l’engagement des comédiens et pour la mise en scène habile de Francis Azéma, il faut se confronter à La Vérité.
Du vrai théâtre, le nôtre, celui de la comédie humaine.
La Vérité, pièce de Florian Zeller
mise en scène de Francis Azéma
avec Anne-Sophie Delahaye, Alexandra Pons, Philippe Canizarès et Claude Hélias
au Grenier Théâtre, 14 impasse de Gramont 31200 Toulouse
jusqu’au jeudi 31 décembre, du mardi au samedi à 20h30, le 31 décembre à 18h et 20h30
Emission « Les Feux de la rampe – Radio Présence » avec Philippe Canizarès (Cie Coeur et Jardin)
Vidéo LA VERITE au Grenier Théâtre
Avec : Claude Hélias, Anne-Sophie Delahaye, Alexandra Pons et Philippe Canizarès
Mise en scène : Francis Azéma Décors et lumières : Erwan Guillou
Photos / Vidéo : Itata’e Hoho’a
INFOS & RESERVATIONS : http://www.greniertheatre.org/
Posté par Grenier Théâtre sur mercredi 9 décembre 2015