Heureux privilège donc pour les aficionados. Quand on sait le prix du billet pour cette première, soit l’équivalent d’un SMIC, mieux vaut être confortablement installé dans une des salles du CGR, en attendant qui sait ? de voir un jour sur la scène capitoline cet opéra peu donné, car sa seule présence ici remonte à… 52 ans !!
La Scala eut bien le privilège de la création de cet opéra le 15 février 1845. C’est le septième de Giuseppe Verdi, venant à la suite d’Attila, I Due Foscari, mais encore Nabucco, Ernani pour ne citer que les plus connus. Inutile de vous plonger dans la vie de notre héroïne française car, Verdi et son librettiste Temistocle Solera ont pris de grandes libertés avec ce que l’on sait de notre Pucelle d’Orleans, ex-bergère de Donrémy. Au diable les connotations politiques et patriotiques, Solera va choisir l’efficacité et laisser de côté la vraisemblance : Carlo VII, dauphin de France est tout simplement amoureux de la vierge guerrière venue lui prêter main forte, au péril de sa vie puisqu’elle meurt au combat. Point de bûcher ! Sachons que du temps de Verdi, Jeanne n’ pas encore été béatifiée, ni canonisée. Mais, sa vie a été portée maintes fois à la scène lyrique.
Le méchant, puisqu’il en faut un, c’est le père de Jeanne, Giacomo, qui la dénonce comme sorcière. Là, on s’est rapproché d’un fait réel historique puisqu’il a bien dénoncé sa fille comme étant prisonnière d’actions sataniques.
Giovanna, c’est Anne Netrebko, la soprano qui fait grimper le prix des places, la coqueluche des plus grandes scènes lyriques du monde !! Son rôle nécessite des qualités de phrasé et d’émotion, qualités qui lui sont entièrement reconnues. Une vraie soprano “sfogato“ (éthérée) quand la partition l’exige. Le ténor, plus amoureux transi qu’amant, c’est Francesco Meli, valeur montante du chant verdien, et le méchant baryton c’est Carlos Alvarez, à la réputation sans faille. C’est ici un rôle parfaitement adapté pour l’émotion, le jeu scénique, et assez sage dans la tessiture.
Avec une telle révision historique, il est difficile de ne pas sombrer dans le ridicule. C’est là tout le talent du librettiste, qui, en fin connaisseur des ressorts de l’écriture d’un livret d’opéra, va trouver quelques ficelles. Ainsi, dans le prologue, va-t-il presque flirter avec le surnaturel, alors que la jeune fille, endormie, est guettée à la fois par des démons tentateurs et des anges salvateurs, ce qui va permettre au compositeur de tirer des chœurs des effets saisissants. Le méchant est simplement brossé à gros traits. Mais Carlo, dans sa royale fragilité vous fera penser, plutôt deux fois qu’une, au Don Carlo à venir.
Quant à Giovanna, c’est, à n’en pas douter un de ses plus jolis portraits féminins. Est-il sous le charme de la créatrice du rôle, Erminia Frezzolini ? Il lui a bien réservé des airs exaltant tout à la fois sa vaillance et sa pureté. Dès le premier acte, le fameux « O fatidica foresta » ne peut que retenir toute votre attention.
L’ouverture, dont la troisième partie est assez tonitruante ! donne une idée exacte de cette partition : inégale, c’est certain, sans difficultés, c’est sûr mais remarquablement orchestrée, et donc un excellent exercice pour chef et musiciens. Pour mener les troupes au combat, rien de tel qu’un combattant comme Ricardo Chailly qui aura la charge de l’Orchestre et des Chœurs du Théâtre de la Scala de Milan. Pour le meilleur moment, il faudra attendre le dernier acte. Faire commenter la bataille par le père, revenu à la raison – véritable contresens historique – est une trouvaille, un procédé dramatique original et efficace. Et la mort de sa fille, soutenue par un tissu instrumental d’une rare finesse – écouter flûtes et clarinette solo très présente – c’est annonciateur des plus belles pages verdiennes.
Pour cette nouvelle production, sont en charge de la mise en scène, Moshe Leiser et Patrice Caurier. L’ouverture de la saison de la Scala est un événement, depuis toujours. Les saluts à la fin sont particulièrement redoutés. Les artistes peuvent être chahutés alors que toutes les autres représentations se passeront sans soucis ! Nous suivrons sur l’écran ! Bien sûr, à ne pas rater, mais aussi pour l’œuvre elle-même, plus rarement donnée.
Michel Grialou
All’Opéra
Jeanne d’Arc
Teatro alla Scala Milan
En direct le lundi 07 décembre 2015 à 18h00
Diffusé dans votre cinéma Mega CGR Blagnac
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